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Politique

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"Il ne s'est pas rendu, il ne s'est pas vendu, il n'a pas fléchi."

                              
Voici la troisième lettre du Sous-commandant Marcos à don Luis Villoro, que l'association Espoir Chiapas m'a envoyée ce matin. Je ne publie pas les deux premières parties, trop détaillées pour les non assidus à la situation mexicaine. Le reste est, comme chaque fois, passionnant, pour tous.

Don Luis,

 

Recevez un salut de nous tou-te-s et une forte accolade de ma part. Nous espérons que votre santé s’est améliorée, et que la pause dans cet échange aura servi à mettre à l’épreuve de nouvelles hypothèses et réflexions.

 

Bien que la réalité actuelle semble se précipiter de façon vertigineuse, une réflexion théorique devrait être capable de la « geler » un instant pour y découvrir ainsi les tendances qui nous permettent, en révélant leur gestation, de voir vers où elle va.

 

(Et en parlant de la réalité, il me revient que c’est depuis La Realidad zapatiste que j’ai proposé à don Pablo González Casanova un échange : lui devait me faire parvenir un paquet de biscuits Pancrema, et moi, je devais lui envoyer un supposé et improbable livre de théorie politique - pour l’appeler d’une façon ou d’une autre. Don Pablo a accompli sa part de l’accord, et la longue marche de notre calendrier m’a empêché de tenir la mienne... pour l’instant. Mais je crois qu’au cours des prochaines pluies, il y aura davantage de paroles.)

 

Comme peut-être cela a été insinué dans notre correspondance (et dans les lettres de ceux qui, généreux, ont adhéré à ce débat), la théorie, la politique et l’éthique s’entremêlent de plusieurs façons guère évidentes.

Il ne s’agit certainement pas de découvrir ou de créer des VÉRITÉS, ces meules de moulin qui abondent dans l’histoire de la philosophie et de ses filles bâtardes : la religion, la théorie et la politique.

Je crois que nous serions d’accord sur le fait que notre effort vise davantage à essayer de faire ressortir les lignes pas évidentes, mais substantielles, de ces occupations.

Faire « descendre » la théorie vers l’analyse concrète est l’un des chemins. Un autre est de l’ancrer dans la pratique. Mais dans les lettres, on n’accomplit pas cette pratique, au mieux on en rend compte. Ainsi je crois que nous devons continuer à « ancrer » nos réflexions théoriques dans les analyses concrètes ou, plus modestement, délimiter leurs coordonnées géographiques et temporelles. C’est-à-dire insister sur le fait que les paroles sont dites (écrites, dans ce cas) depuis un lieu et dans un temps spécifique.

Dans un calendrier et une géographie.

L’apathie est peu à peu remplacée par la rancœur, et il ne manque pas de rêves où on parvient enfin à enterrer le système politique mexicain, et où des mains plébéiennes gravent sur sa tombe l’épitaphe : « Il a choisi la difficulté, mais tout a une fin. »

 

Pendant ce temps la guerre continue... et avec elle les victimes...

(...)

 

III. Accuser la victime

 

Un psychologue nord-américain, William Ryan, a écrit en 1971 un livre intitulé Accuser la victime (Blaming the Victim). Bien que son intention initiale ait été une critique de ce qu’on appelle le « Rapport Moynihan », qui prétendait rendre responsable de la pauvreté parmi la population noire des États-Unis des conduites et des modèles culturels, et non la structure sociale, cette idée a été employée davantage pour des cas de sexisme et de racisme (plus fréquemment dans des cas de viol, où on accuse la femme d’avoir « provoqué » le violeur par ses vêtements, son attitude, le lieu, etc.).

Bien que l’appelant autrement, Theodor Adorno a décrit cette façon d’« accuser la victime » comme l’une des caractéristiques qui définissent le fascisme.

Dans le Mexique contemporain, ce sont des membres du haut clergé, des autorités gouvernementales, des artistes et des « leaders d’opinion » des médias qui ont eu recours à cette arnaque pour condamner des victimes innocentes (principalement des femmes et des mineurs).

 

La guerre de Felipe Calderón Hinojosa fait de ce trait fasciste tout un programme de gouvernement et d’administration de la justice. Et bien des médias l’ont adopté, pénétrant ainsi la pensée de ceux qui croient encore à ce qui se dit ou s’écrit dans la presse, à la radio ou à la télévision.

 

Quelqu’un, quelque part, a signalé que les crimes contre des innocents renferment toujours une triple injustice : celle de la mort, celle de la faute et celle de l’oubli.

Tout le système dont nous souffrons bichonne, conserve et cultive le nom et l’histoire de l’assassin, que ce soit pour sa condamnation ou pour sa glorification.

 

Mais le nom et l’histoire des victimes restent à l’arrière-plan.

Au delà du cercle de leurs parents et de leurs amis, les victimes sont assassinées à nouveau quand on les condamne à devenir un numéro dans les statistiques. Et beaucoup d’entre elles n’ont même pas droit à cela.

Dans la guerre que Felipe Calderón Hinojosa a imposée à la société du Mexique tout entière, sans distinction de classe sociale, de race, de croyance, de sexe ou d’idéologie politique, s’ajoute une douleur de plus : celle d’étiqueter ces victimes innocentes comme des criminels.

On déguise ainsi l’empire de l’impunité sous la mention « règlement de comptes entre narcotrafiquants ».

Et cette lourde dalle tombe également sur les parents et les amis.

L’injustice régnante ne sert pas seulement à garantir l’impunité à des fonctionnaires gouvernementaux de toute sorte, fédéraux, des États ou municipaux. Elle accable aussi les parents et les amis des victimes.

Leurs morts le sont une deuxième fois quand socialement on se passe de leur nom et de leur histoire, et quand une vie droite est déformée au moyen des qualificatifs prodigués par les autorités et répétés jusqu’à la nausée par les médias.

Les victimes de la guerre se transforment alors en coupables et le crime qui leur coupe les membres ou les assassine n’est rien d’autre qu’une forme quasi divine de justice : « ils, elles l’ont bien cherché ».

On se souviendra de Felipe Calderón Hinojosa comme d’un criminel de guerre, peu importe qu’à présent, entouré d’accolades et de scapulaires, il joue au grand homme d’État ou au « sauveur de la patrie ».

Et on se souviendra de son histoire avec rancœur.

Il n’obtiendra même pas, faute de justice, la raillerie et la dérision populaires qui accompagnent d’habitude la sortie des mandataires.

Ses pathétiques singeries de « guide touristique », l’illégalité et l’illégitimité de son arrivée à la présidence, ses échecs politiques, sa responsabilité dans la crise économique, le fait de s’entourer d’une équipe de gros bras et de porte-flingue déguisés en hauts fonctionnaires, le népotisme, la consolidation de ce qui est déjà connu comme « le cartel de Los Pinos » ; tous ses ridicules demeureront au second plan.

 

Il restera sa guerre, perdue, avec son sillage de victimes « collatérales » : la défaite, l’usure et le discrédit irrémédiables des forces armées fédérales (les séries télévisées ne pourront rien faire, ou bien peu, pour endiguer la chose) ; la cession de la souveraineté nationale à l’empire des barres et des troubles étoiles (on l’a déjà dit auparavant : les États-Unis d’Amérique seront les seuls vainqueurs dans cette guerre) ; l’anéantissement des économies locales et régionales ; la destruction irréparable du tissu social ; et le sang innocent, toujours le sang innocent...

 

Il est bien possible que la mort n’ait pas de remède. Que rien ne puisse remplir le creux de solitude et de désespoir que laisse la mort d’un innocent.

 

Il est bien possible que rien de ce qu’on puisse faire ne ramène à la vie les dizaines de milliers d’innocents morts dans cette guerre.

Mais ce qu’on peut faire à coup sûr, c’est de lutter contre cette thèse fasciste d’« accuser la victime » et nommer les morts, et ainsi retrouver leurs histoires.

Les libérer ainsi de la faute et de l’oubli. Alléger leur absence.

 

IV. Nommer les morts et leur histoire

Mariano Anteros Cordero Gutiérrez, c’était son nom. Il allait avoir vingt ans quand, le 25 juin 2009, à Chihuahua, il a été assassiné.

Le père de Mariano, le licencié Mariano Cordero Burciaga, a rencontré celui qui était alors gouverneur de l’État de Chihuahua, José Reyes Baeza, celui-ci lui a dit que l’assassinat était le produit d’une confusion de rue. Quelques semaines plus tard, des représentants du Barreau de l’État ont demandé une explication des faits aux autorités concernées. Celles-ci ont répondu que cela avait été « un règlement de comptes entre narcotrafiquants ». Accuser la victime.

 

Voici des lambeaux de son histoire :

Mariano étudiait à l’Institut technologique de Parral (ITP), la filière d’ingénierie en gestion d’entreprises, et il avait reçu la lettre d’acceptation pour étudier le droit à l’Université autonome España de Durango, Campus Parral.

Avant ces études, il avait été missionnaire volontaire, à l’internat mariste du village de Chinatú, commune de Guadalupe y Calvo, État de Chihuahua. Il était responsable de trente-deux enfants indigènes qui suivaient leur primaire dans cet internat.

Mariano était un jeune zapatiste, de ceux qui luttent sans passe-montagne. En mars 2001, en compagnie de son père, il a participé comme « ceinturon de paix » à la Marche de la couleur de la terre. En 2002, il a participé aux différentes manifestations altermondialistes à Monterrey (Nouveau León), à l’occasion d’un sommet de chefs d’État où se trouvait Bush, mais aussi Fidel Castro. Au moment de mourir, Mariano gardait dans une sacoche d’usage quotidien la Sixième Déclaration de la forêt Lacandone, le Manifeste du parti communiste, et le dernier livre qu’il avait acheté : Noches de fuego y desvelo.

Quand nous avons fait notre tournée de La Otra Campaña dans le nord du Mexique, à notre passage par l’État de Chihuahua, le jeune Mariano a assisté à une des réunions. À la fin, il a demandé à parler avec moi seul à seul.

La date ? Novembre 2006. Quelques semaines auparavant, le 17 octobre de cette année-là, Mariano avait pris dix-sept ans.

Nous nous sommes assis dans la même pièce où s’était tenue la réunion. En gros, Mariano a manifesté son désir de venir vivre dans une communauté zapatiste. Il voulait apprendre.

J’ai été surpris par sa simplicité et son humilité : il n’a pas dit qu’il voulait venir pour aider, mais pour apprendre.

Je lui ai dit la vérité : que le mieux était qu’il suive des études et les termine, parce que ici (et là-bas, et partout) les gens d’honneur finissent ce qu’ils commencent ; et qu’en même temps il n’arrête pas de lutter ici, sur sa terre, avec les siens.

Nous avons scellé le pacte d’une poignée de main.

 

Sept ans auparavant, le 8 mai 1999, quand Mariano avait neuf ans, je lui avais écrit un message sur une feuille de cahier :

« Mariano, il arrivera un jour (pas tout de suite, mais il arrivera, c’est sûr) où sur ton chemin tu en trouveras d’autres qui le croisent, et tu devras en choisir un. Quand ce moment arrivera, regarde en toi-même et tu sauras qu’il n’y a pas d’options, qu’il y a une seule réponse : être conséquent avec ce qu’on pense et qu’on dit. Si cela est bien ferme, peu importent le chemin ou la vitesse du pas. Ce qui importe, c’est la vérité que marche ce pas. »

Aujourd’hui, nous nommons Mariano, son histoire, et depuis cette géographie nous envoyons à sa famille une accolade zapatiste de frères et de sœurs, qui, même si elle ne soigne pas, soulage quand même...

 

V. Juger ou chercher à comprendre ?

 

Depuis notre géographie aussi, nous avons essayé de suivre avec attention le pas du Mouvement pour la paix dans la justice et la dignité à la tête duquel se trouve Javier Sicilia.

Je sais bien que juger et condamner ou acquitter est le chemin préféré des commissaires de la pensée qui apparaissent de l’un et l’autre côté du spectre intellectuel, mais ici nous pensons qu’il faut faire un effort pour essayer de comprendre diverses choses :

La première est qu’il s’agit d’une mobilisation nouvelle qui, dans son projet de se constituer en mouvement organisé, construit ses propres chemins, avec ses réussites et revers propres. Comme tout ce qui est nouveau, nous pensons qu’il mérite le respect. Les autres peuvent dire, avec raison, qu’on peut toujours remettre en cause les formes et les méthodes, mais pas les causes.

Et il mérite aussi l’attention pour essayer de comprendre, au lieu de lancer des jugements sommaires, si chers à ceux qui ne tolèrent rien qui ne soit sous leur direction.

Et pour respecter et comprendre, il faut regarder vers le haut, mais aussi vers le bas.

Il est sûr que vers le haut les cajoleries que reçoivent les responsables de tant de morts et de destruction attirent l’attention et irritent.

Mais vers le bas, nous voyons que parmi les familles et les amis des victimes le mouvement éveille l’espérance, la consolation, la compagnie. Nous pensions qu’il était peut-être possible que se lève un mouvement qui arrêterait cette guerre absurde. Il semble que ce ne soit pas le cas (ou pas encore). Mais ce qu’on peut apprécier, dès maintenant, c’est qu’il a rendu les victimes tangibles. Il les a sorties des faits divers, des statistiques, des mythiques « triomphes » du gouvernement de Felipe Calderón Hinojosa, de la culpabilité, de l’oubli. Grâce à cette mobilisation, les victimes commencent à avoir un nom et une histoire. Et les balivernes du « combat contre le crime organisé » s’effondrent.

 

Il est vrai que nous ne comprenons toujours pas pourquoi consacrer tant d’énergie et d’efforts à échanger avec une classe politique qui, depuis longtemps, a perdu toute volonté de gouvernement et n’est plus qu’une bande de scélérats. Peut-être qu’ils le découvriront peu à peu par eux-mêmes.

Nous, nous ne jugeons pas, et par conséquent, nous ne condamnons ni n’acquittons. Nous cherchons à comprendre leurs pas et l’élan qui les anime.

En somme, la digne douleur qui les redresse et les meut mérite notre respect et notre admiration, et elle les a.

Nous pensons qu’il est logique de dialoguer avec les responsables des problèmes. Dans cette guerre, il est raisonnable de s’adresser à qui l’a déclenchée et provoque l’escalade. Ceux qui critiquent le fait de dialoguer avec Felipe Calderón Hinojosa oublient cet aspect si élémentaire.

 

Sur les formes qu’a prises ce dialogue, il y a eu une pluie de critiques de toutes sortes.

Je ne crois pas que le sommeil de Javier Sicilia soit troublé par les basses critiques, par exemple celles du Paty Chapoy de La Jornada, Jaime Avilés, aussi frivole qu’hystérique, ou les vilenies du Docteur ORA (dont on ne dit nulle part qu’il soit de gauche ni qu’il soit cohérent) à qui il ne manque plus que d’affirmer que Sicilia a fait tuer son fils pour « impulser » l’image de Felipe Calderón Hinojosa ; ou les critiques qui lui reprochent de ne pas être radical, énoncées précisément par des gens qui arborent comme un succès de « n’avoir jamais cassé un seul carreau ».

 

Dans sa correspondance (et aussi, il me semble, dans certains actes publics), Javier Sicilia aime à rappeler un poème de Cavafis, en particulier ce vers qui dit : « Tu n’as à craindre ni les Lestrygons ni les Cyclopes, ni la colère de l’irascible Poséidon. » Et ces critiques hystériques n’arrivent pas, même de loin, à la cheville des susdits, c’est pourquoi les pathétiques rancœurs de ces petits bonshommes ne dépassent pas le cercle de leurs quelques lecteurs.

 

La réalité, c’est que ce mouvement est en train de faire quelque chose pour les victimes. Et cela, c’est quelque chose qu’aucun de ses « juges » ne peut alléguer en sa propre faveur.

 

Pour le reste, ni Javier Sicilia ni certains de ses proches ne méprisent les observations critiques qu’ils reçoivent depuis la gauche, et il y en a plus d’une, si elles sont sérieuses et respectueuses.

 

Mais il ne faut pas oublier que ce sont des observations, pas des ordres.

 

Je transcris ici la fin de l’une des lettres privées que nous lui avons envoyées : « De façon personnelle, si vous me le permettez, je vous dirais de continuer avec la poésie, et l’art en général, à vos côtés. En elle se trouvent des prises plus solides que celles qui ont l’air d’abonder dans les boniments sans rime ni raison des “analystes” politiques.

 

C’est pourquoi je termine ces lignes avec ces mots de John Berger : “Je ne peux pas te dire ce que fait l’art et comment il le fait, mais je sais que fréquemment il fait le procès des juges, qu’il réclame vengeance pour l’innocent, et qu’il projette vers l’avenir ce que le passé a souffert, de sorte que jamais il ne soit oublié.

Je sais aussi que le puissant craint l’art sous toutes ses formes quand il fait cela, et que parfois cet art court comme une rumeur et une légende parmi les gens parce qu’il donne un sens là où la brutalité de la vie ne peut le faire, un sens qui nous unifie, parce que finalement il est inséparable de la justice. L’art, quand il fonctionne ainsi, se transforme en lieu de rencontre de l’invisible, de l’irréductible, du perdurable, le courage et l’honneur.” »

Enfin, peut-être que tout cela ne vient pas à point (ou à virgule, c’est selon)...

 

VI. Une petite histoire

 

Et peut-être qu’elle ne vient pas non plus à point (ou à virgule, c’est selon), cette petite histoire que je vais vous raconter à présent, don Luis :

 

Le 7 mai 2011, une colonne de véhicules est partie de bon matin de la zone zapatiste Tzots Choj, transportant des hommes et des femmes bases de soutien zapatistes de l’EZLN, qui devaient participer, avec les autres zones, à la mobilisation de soutien au Mouvement pour la paix dans la justice et la dignité dirigé par Javier Sicilia. À 6 heures du matin, un des véhicules s’est renversé et dans l’accident le compañero Roberto Santis Aguilar a perdu la vie. Très jeune, Roberto était devenu zapatiste et avait choisi comme nom de lutte « Dionisio ».

 

L’histoire du compañero Dionisio a l’air toute simple, quand on l’entend raconter par ses parents et son épouse. Son père dit que, dans la famille, Dionisio a été le premier à se faire zapatiste :

« Alors pendant qu’on était en train de travailler la milpa est arrivée l’heure où on va bavarder, là-bas, sur la milpa, lui, il a regardé si les autres étaient partis, et il a dit bon, on va parler un peu, il y a une organisation, j’ai entendu dire que c’est drôlement bien. Alors là, il a commencé à dire, donc, il a commencé à parler avec nous, avec ses frères, alors c’est là qu’il a commencé à dire c’est drôlement bien, cette organisation, on dirait que ça peut nous aider, c’est ce qu’il a dit. Alors c’est comme ça qu’on y est entrés, mais d’abord on avait entendu sa parole, alors on y est entrés tous, et puis petit à petit il a rassemblé tout le monde, les autres aussi. C’est comme ça qu’il est entré à l’organisation.

On y est entrés aussi, faut dire qu’en ce temps-là on était bien emmerdés pour arriver à vivre, y avait pas de terrain à travailler en plus, y en avait pas, on était drôlement pauvres. Après, le mauvais gouvernement a fait ses trucs, on est allés parler pour voir s’il y avait moyen de dégotter un petit bout de terre, pas plus grand que ça, mais pas moyen avec ce foutu gouvernement, c’est pour ça, cette organisation on a entendu dire que c’est ça qu’elle voulait, et c’est comme ça qu’on y est entrés, oui, en 1990, qu’on y est entrés. »

 

Quatre ans plus tard, alors qu’il était déjà milicien zapatiste, le compañero Dionisio a fait partie du régiment qui a pris les chefs-lieux municipaux d’Altamirano, Chanal et Oxchuc, armé d’un fusil de chasse calibre 20. Les garnisons gouvernementales ont été défaites en ces lieux, mais au cours du repli le compañero Dionisio et d’autres miliciens ont été faits prisonniers et torturés par les gens du PRI d’Oxchuc.

 

Peut-être vous souvenez-vous, don Luis, des images qu’ont répétées jusqu’à saturation les médias nationaux et internationaux : les zapatistes, sévèrement frappés, attachés sous un kiosque au chef-lieu d’Oxchuc, la bande de priistes vociférant et menaçant de les brûler vifs.

Un hélicoptère gouvernemental les a transférés à la prison de Cerro Hueco, où on a continué à les interroger par la torture. Ils l’ont gardé quinze jours sans nourriture, avec tout juste de l’eau, et ils le sortaient à 4 heures du matin pour le doucher à l’eau froide. Il n’a donné aucune information. Il a été libéré ensuite, avec les autres prisonniers zapatistes, en échange du prisonnier de guerre, le général Absalón Castellanos.

Ensuite il a suivi le Dialogue de la cathédrale, le Dialogue de San Andrés, la signature des accords, leur non-application par le gouvernement, la résistance zapatiste.

Des dizaines de milliers d’hommes, de femmes, d’enfants et de vieillards ont refusé de recevoir l’aide gouvernementale et ont commencé le processus de construction de leur autonomie, avec leurs propres forces et l’aide de la société civile nationale et internationale.

Le compañero Dionisio a été élu comme autorité d’une Commune autonome rebelle zapatiste et a été président de la commission de production municipale. Quand sont nés les Conseils de bon gouvernement, il a été membre de l’un d’eux. Une fois terminé son service communautaire en tant qu’autorité autonome, il est resté comme promoteur local dans sa communauté.

 

Son épouse nous raconte comment il s’acquittait de ses tâches :

Le compañero, avant d’aller faire ses tâches, il disait que ça ne lui faisait rien, le temps qu’il allait perdre, et puis aussi de ne pas emporter assez d’argent, juste le prix du billet de car pour aller là où il allait faire ses travaux, et ça ne lui faisait rien de perdre du temps, de toute la journée il avalait juste du pozol [1], c’est ça qu’il disait, le compañero, quand il faisait ses tâches, que c’est notre lutte qui veut ça. Et il disait comme ça qu’il était bien convaincu de la lutte, qu’il ne voulait pas l’abandonner, que parfois ça causait des souffrances, mais il était bien convaincu de lutter. Le compañero, c’est ça qu’il préférait, ses tâches, ça ne lui faisait rien de ne pas gagner d’argent, il préférait ses tâches, et quand il allait à sa commission ou faire du travail comme conseil, beaucoup de gens ici, dans cet ejido, étaient contre le compañero, parce qu’il partait pour faire le travail de l’organisation, mais ici dans l’ejido on doit payer une amende si on n’assiste pas aux réunions ou aux travaux qui se font dans la communauté.

Quand le compañero Dionisio faisait son travail en tant que membre du conseil autonome, son épouse restait à travailler la milpa ou à charrier du bois. Et ils partageaient le travail : quand le compañero Dionisio revenait du travail à son bureau, dès le lendemain il était sur la milpa à 4 ou 5 heures du matin, ou sur d’autres travaux, mais son épouse l’accompagnait toujours pour ces travaux, comme ça ils partageaient.

Le jour de la marche, le 7 mai de cette année, ils se sont levés à 2 heures du matin et ont commencé à se préparer : moudre le maïs pour les tortillas, préparer les repas à laisser aux enfants, et préparer le pozol pour emporter à la marche. Et son épouse dit qu’à chaque fois que le compañero Dionisio partait pour la commission il lui disait qu’on ne peut jamais savoir si on reviendra. Ce petit matin-là, il est parti bien content. Le corps du compañero est revenu accompagné de nombreuses bases de soutien zapatistes.

Elles l’ont accompagné jusqu’à chez lui.

Quand nous avons parlé avec les parents du défunt compañero Dionisio, ils nous ont demandé de transmettre ces messages à ceux qui sont en train de lutter contre la guerre du mauvais gouvernement :

 

Le père : ce message est pour le compañero Javier Sicilia et pour d’autres compañeros qu’on a tué leurs enfants parce qu’ils recherchaient le bien, alors je leur envoie ce message : courage dans votre lutte, hein, pour pouvoir vaincre le mauvais gouvernement.

L’épouse : Le message au compañero Javier Sicilia et d’autres compañeros qu’on a tué leurs enfants, eh bien courage dans votre lutte, arrêtez pas de lutter, c’est le message pour lutter ensemble.

La mère : Continuez à lutter, courage dans vos luttes, et puis cette situation, si on est prêts à lutter, eh bien ça va passer, continuez à lutter, vous êtes pas tout seuls. C’est vrai, ils ne sont pas seuls. L’histoire du compañero Dionisio est simple, et comme celle de tou-te-s les zapatistes, elle peut se résumer ainsi : il ne s’est pas rendu, il ne s’est pas vendu, il n’a pas fléchi.

Mmh... Elle est bien longue, cette lettre. Imaginez ce que sera celle adressée à don Pablo González Casanova, à qui je dois non pas une missive, mais tout un livre.

Et maintenant que je la relis avant de l’envoyer, il me vient à l’idée que, peut-être, rien de ce qui y est dit ne vient à point dans notre réflexion sur éthique et politique.

Ou peut-être que si ?

Bon. Salut, et espérons qu’il y ait plus d’entrain pour comprendre et moins pour juger.

 

Depuis les montagnes du Sud-Est mexicain,sous-commandant insurgé Marcos,  Mexique, juillet-août 2011.

Source : Enlace Zapatista.  Traduit par el Viejo.

[1] Boisson à base de maïs.

 

L'Allemagne, la Suisse, l'Italie sortent du nucléaire. Et nous ?


Avec 58 réacteurs dispersés dans l’hexagone, la France fait figure de parc nucléaire à ciel ouvert.


Consommateurs, nous sommes aussi vendeurs, par le biais d’EDF et d’Areva, de technologies dont le développement compromet pourtant l’avenir de l’humanité. Comment vivre autour de Fukushima quand l’eau, la terre, les plantations, les objets sont pollués pour des milliers d’années ? Pourquoi vivre à 50 km d’une centrale nucléaire qui vient de fêter ses trente ans ? Cette question, Alain Juppé a dû se la poser en 1999 quand il s’est préparé à évacuer Bordeaux, parce qu’une vague déferlant dans l’estuaire de la Gironde inondait la centrale du Blayais.

Il n’est pas aisé pour nous citoyens de faire le tri entre les données scientifiques qui nous sont servies en guise d’informations. C’est dès lors au bon sens et au principe de responsabilité qu’il faut en appeler : agir toujours de manière à ne pas compromettre la possibilité même de vie des générations futures.

Plus largement, le débat autour du nucléaire entre les membres de la société, sans intermédiaires médiatiques, doit nous aider à réfléchir à notre mode de vie en changeant de point de vue : plutôt que de penser l’énergie comme un marché fructueux et viser sa croissance, reprenons le pouvoir en économisant nos ressources : chaque action, chaque achat ou non achat peut exprimer un engagement vers la sortie du nucléaire : agriculture biologique et locale, produits manufacturiers responsables, énergies renouvelables, transport pertinent, habitat rationnel, suppression des équipements energivores parasites...

Seule une prise de conscience profonde et individuelle nous amènera à inventer collectivement une société capable de vivre en harmonie et en paix.

 

Pour approfondir ces questions :

  • dans les associations : localement, Tchernoblaye, 06 64 10 03 33
  • au cinéma Le Festival, à Bègles, « The Age of Stupid » (l’ère de la stupidité), en VO sous-titrée, suivie d’un débat puis d’un pot le jeudi 30 juin 2011
  • en librairie, Le choix du feu, d'Alain GRAS...


 

Comprendre la troisième guerre mondiale : lettre du sous-commandant Marcos, janvier 2011.

Notes sur les guerres, Première lettre à don Luis Villoro, début d’un échange épistolaire sur Éthique et Politique, par le sous-commandant insurgé Marcos, lundi 14 mars 2011.

"Armée zapatiste de libération nationale, Mexique. Janvier-février 2011.
À don Luis Villoro.

Docteur, salutations.
Nous espérons sincèrement que votre santé s’est améliorée, et que vous prendrez ces lignes non seulement comme un va-et-vient d’idées, mais aussi comme une embrassade affectueuse du tout que nous sommes.
Nous vous remercions d’avoir accepté de participer en tant que correspondant à cet échange épistolaire.Nous espérons qu’il en surgira des réflexions qui nous aideront, ici et là-bas, à essayer de comprendre le calendrier qui afflige notre géographie, c’est-à-dire notre Mexique.
Permettez-moi de commencer avec une sorte d’ébauche. Il s’agit d’idées, fragmentées comme notre réalité, qui peuvent suivre chacune leur chemin indépendant, ou bien s’entrelacer comme une tresse (c’est là la meilleure image que j’ai trouvée pour « dessiner » notre processus de réflexion théorique),et qui sont le produit de notre inquiétude sur ce qui se passe actuellement au Mexique et dans le monde.
Et c’est ici que commencent ces notes hâtives sur quelques sujets, tous en lien avec l’éthique et la politique. Ou plutôt sur ce que nous parvenons à en percevoir (et à en souffrir), et sur les résistances en général et notre résistance en particulier. Comme on peut s’y attendre, règneront dans ces notes le schématisme et la réduction, mais je crois qu’elles permettent néanmoins d’esquisser une ou plusieurs lignes de discussion, de dialogue, de réflexion critique. Et c’est précisément de cela qu’il s’agit, que la parole aille et vienne, en se jouant des barrages et des contrôles militaires et policiers, de notre ici jusqu’à votre là-bas, même si ensuite il arrive que la parole
s’en aille dans d’autres directions, ce n’est pas grave tant que quelqu’un la recueille et la lance de nouveau (c’est bien pour cela que sont faites les paroles et les idées).
Bien que le sujet sur lequel nous nous sommes mis d’accord soit celui de Politique et Éthique, certains détours sont peut-être nécessaires, ou plutôt des approches à partir de points apparemment distants. Et puisqu’il s’agit de réflexions théoriques, il va falloir commencer par la réalité, par ce que les détectives appellent « les faits ».
Dans Un scandale en Bohème, d’Arthur Conan Doyle, le détective Sherlock Holmes dit à son ami, le docteur Watson : « C’est une erreur capitale que de théoriser avant d’avoir les données. Sans s’en rendre compte, on commence à déformer les faits pour qu’ils s’ajustent à la théorie, au lieu d’ajuster les théories aux faits. » Alors nous pourrions commencer par une description, hâtive et incomplète, de ce que la réalité nous présente de la même façon, c’est-à-dire sans anesthésie aucune, et en retirer quelques indications.
Quelque chose comme essayer de reconstruire non seulement les faits, mais aussi la façon dont nous en prenons connaissance. Et la première chose qui apparaît dans la réalité de notre calendrier et notre géographie est une vieille connaissance des peuples originaires du Mexique : la Guerre.

I. LES GUERRES D’EN HAUT

« Et au commencement étaient les statues. »
C’est ainsi que pourrait commencer un essai historiographique sur la guerre, ou une réflexion philosophique sur la véritable accoucheuse de l’histoire moderne. Parce que les statues guerrières en cachent plus qu’elles n’en montrent. Dressées pour chanter en pierre la mémoire de victoires militaires, elles ne font que cacher l’horreur, la destruction et la mort de toute guerre. Et les figures de pierre de déesses ou d’anges couronnés des lauriers de la victoire ne servent pas seulement à ce que le vainqueur garde la mémoire de son succès, mais aussi à forger l’amnésie chez le vaincu. Mais à présent ces miroirs de roche sont tombés en désuétude. Non seulement ils sont ensevelis jour après jour par la critique implacable d’oiseaux de toute sorte, mais ils ont trouvé dans les médias un concurrent insurpassable.
La statue de Hussein, renversée à Bagdad pendant l’invasion nord-américaine de l’Irak, n’a pas été remplacée par une de George Bush, mais par les publicités des grandes firmes transnationales. Bien que le visage nigaud du président des États-Unis d’alors ait pu servir à faire la promotion de malbouffe, les multinationales ont préféré s’auto-ériger l’hommage d’un nouveau marché conquis. Au négoce de la destruction a succédé le négoce de la reconstruction. Et, même si les pertes continuent parmi les troupes nord-américaines, l’important est l’argent qui va et vient comme il se doit : avec fluidité et en abondance. Ce n’est pas la chute de la statue de Saddam Hussein qui est le symbole de la victoire de la force multinationale qui a envahi l’Irak. Le symbole se trouve dans la hausse des actions des firmes sponsors.
« Dans le passé c’était les statues, à présent ce sont les Bourses de valeurs. » C’est ainsi que pourrait continuer l’historiographie moderne de la guerre. Mais la réalité de l’histoire (cette chaotique horreur regardée tous les jours un peu moins et avec un peu plus d’asepsie) engage, demande des comptes, exige des conséquences, incrimine. Un regard honnête et une analyse critique pourraient identifier les pièces du puzzle et alors entendre, comme un fracas macabre, cette maxime : « Au commencement était la guerre. »


La légitimation de la barbarie.

Peut-être qu’à un moment de l’histoire de l’humanité l’aspect matériel, physique, d’une guerre a été le facteur déterminant. Mais au fur et à mesure qu’avançait la lourde et gauche roue de l’histoire, cela n’a plus suffi. De même que les statues ont servi pour le souvenir du vainqueur et l’amnésie du vaincu, dans les guerres les belligérants ont eu besoin non seulement de défaire physiquement l’adversaire, mais aussi de se bâtir un alibi de propagande, c’est-à-dire de légitimité. Le défaire moralement. À un moment de l’histoire, c’est la religion qui a attribué ce certificat de légitimité à la domination guerrière (même si certaines des dernières guerres modernes ne semblent pas avoir avancé beaucoup dans ce domaine). Mais ensuite il a fallu une pensée plus élaborée et la philosophie a pris la relève.
Je me souviens à l’instant de quelques-unes de vos paroles : « La philosophie a toujours eu un rapport ambivalent au pouvoir social et politique. D’une part, elle a pris la succession de la religion comme justificatrice théorique de la domination. Tout pouvoir constitué a tâché de se légitimer, d’abord au travers d’une croyance religieuse, ensuite d’une doctrine philosophique. (...) Il semble bien que la
force brutale qui soutient la domination manquerait de sens pour l’homme si elle ne se justifiait pas par une fin acceptable. Le discours philosophique, prenant la relève de la religion, a été chargéd’octroyer ce sens ; c’est une pensée de domination » (Luis Villoro, Philosophie et domination, discours d’entrée au Collège national, novembre 1978).
En effet, dans l’histoire moderne, cet alibi pouvait en arriver à être aussi élaboré qu’une justification philosophique ou juridique (les exemples les plus pathétiques ont été donnés par l’Organisation des nations unies, ONU). Mais ce qui était et reste fondamental, c’est s’attribuer une justification médiatique.
Si une certaine philosophie (en vous suivant, don Luis : la « pensée de domination » en opposition à la « pensée de libération ») a pris la relève de la religion dans cette tâche de légitimation, à présent les grands médias ont pris la relève de la philosophie. Qui se souvient que la justification de la force armée multinationale pour envahir l’Irak était que le régime de Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive ? On a construit là-dessus un gigantesque échafaudage médiatique qui a été le carburant pour une guerre qui n’est pas encore terminée, au moins en termes militaires. Qui se souvient qu’on n’a jamais trouvé de telles armes de destruction massive ? Ça n’a plus d’importance qu’il se soit agi d’un mensonge, qu’il y ait eu (et qu’il y ait) horreurs, destruction et mort, perpétrées avec un faux alibi.
On raconte que, pour proclamer la victoire militaire en Irak, George W. Bush n’a pas attendu les rapports disant qu’on avait trouvé et détruit ces armes, ni la confirmation que la force multinationale contrôlait déjà, sinon tout le territoire irakien, au moins ses points stratégiques (la force militaire nord-américaine se trouvait retranchée dans ce qu’on appelait la « zone verte » et ne pouvait même pas s’aventurer à sortir dans les quartiers voisins - voir les excellents reportages de Robert Fisk pour le journal britannique The Independant).
Non. Le rapport qu’a reçu Washington et qui lui a permis de donner la guerre pour finie (en réalité, elle ne l’est toujours pas) est venu des consultants des grandes transnationales : le négoce de destruction peut céder la place au négoce de la reconstruction (voir là-dessus les brillants articles de Naomi Klein dans l’hebdomadaire étasunien The Nation, et son livre La Stratégie du choc).
Ainsi, l’essentiel dans la guerre n’est pas seulement la force physique (ou matérielle), est nécessaire aussi la force morale qui, dans ces cas-là, est fournie par les médias, comme auparavant elle l’était par la religion et la philosophie.

La géographie de la guerre moderne

Si nous appliquons l’aspect physique à une armée, c’est-à-dire à une organisation équipée pour la guerre, plus forte elle est (plus elle possède de pouvoir de destruction), plus elle a de possibilités de succès.
S’il s’agit de l’aspect moral appliqué à un organisme armé, plus légitime est la cause qui l’anime (plus il a de pouvoir d’attraction), plus grandes sont ses possibilités d’atteindre ses objectifs. Le concept de guerre s’était élargi : il ne s’agissait plus seulement de détruire l’ennemi dans sa capacité physique de combat (soldats et armement) pour imposer sa propre volonté, il était possible aussi de détruire sa capacité morale de combat, même s’il avait encore une capacité physique suffisante.
Si les guerres pouvaient se jouer uniquement sur le terrain militaire (ou physique, puisque nous en sommes à cette référence), il serait logique de s’attendre à ce que l’organisation armée avec le plus haut pouvoir de destruction impose sa volonté à l’adversaire (tel est l’objectif du choc entre forces) en détruisant sa capacité matérielle de combat.
Mais il n’est plus possible de situer aucun conflit sur le terrain purement physique. Le terrain sur lequel se réalisent les guerres (petites ou grandes, régulières ou irrégulières, de basse, moyenne ou haute intensité, mondiales, régionales ou locales) est chaque jour plus compliqué. Derrière cette grande guerre mondiale ignorée, que l’historiographie moderne appelle « guerre froide » et que nous, nous appelons la « troisième guerre mondiale », on peut trouver une maxime historique qui marquera les guerres à venir. La possibilité d’une guerre nucléaire (portée à la limite par la course aux armements qui consistait, grosso modo, à savoir combien de fois on était capable de détruire le monde) a ouvert la possibilité d’une « autre » fin pour un conflit guerrier : le résultat d’un choc armé pouvait ne pas être l’imposition de la volonté de l’un des adversaires à l’autre, mais il pouvait signifier l’annulation des volontés en lice, c’est-à-dire l’annulation de leur capacité matérielle de combat. Et par « annulation » je ne veux pas dire seulement « incapacité d’action » (un « match nul », donc), mais aussi (et surtout) « disparition ».
En effet, les calculs géo-militaires nous disaient que dans une guerre nucléaire il n’y aurait ni vainqueurs ni vaincus. Et même qu’il n’y aurait plus rien. La destruction serait si totale et irréversible que la civilisation humaine cèderait le pas à celle des cafards. L’argument récurrent dans les hautes sphères militaires des puissances de l’époque était que les armes nucléaires ne servaient pas à faire la guerre, mais à l’empêcher. Le concept d’« armement de contention » a été traduit alors en celui, plus diplomatique, d’« éléments de dissuasion ». Réduisons. La doctrine militaire « moderne » pouvait être synthétisée de la façon suivante : empêcher l’adversaire d’imposer sa volonté principale (ou « stratégique »), c’est-à-dire remplacer les grandes guerres par des guerres petites ou moyennes. Il ne s’agissait plus de détruire la capacité physique et/ou morale de combat de l’ennemi, mais d’éviter qu’il l’emploie dans un affrontement direct. En revanche, on cherchait à redéfinir les théâtres de la guerre (et la capacité physique de combat) du plan mondial aux plans régional et local. En somme : diplomatie internationale pacifique et guerres régionales et nationales.
Résultat : il n’y a pas eu de guerre nucléaire (en tout cas, pas encore, même si la stupidité du capital est aussi grande que son ambition), mais il y a eu à la place d’innombrables conflits de tous les niveaux, qui ont causé des millions de morts, des millions de déplacés de guerre, des millions de tonnes de matériel démoli, des économies rasées, des nations détruites, des systèmes politiques réduits en
miettes... et des millions de dollars de profits. Mais la maxime était fixée pour les guerres « les plus modernes » ou « postmodernes » : des conflits militaires qui par leur nature, soient insolubles en termes de force physique, c’est-à-dire en termes
d’imposer sa volonté à l’adversaire par la force, sont possibles
.
On pourrait supposer, alors, qu’a commencé une lutte parallèle supérieure aux guerres conventionnelles. Une lutte pour imposer une volonté contre une autre : la lutte du puissant militairement (ou « physiquement » pour transposer au microcosme humain) pour éviter que les guerres ne se livrent sur des terrains où elles ne pourraient pas avoir de résultats conventionnels (du type « l’armée la mieux équipée, entraînée et organisée sera potentiellement victorieuse contre l’armée la plus mal équipée, entraînée et organisée »). On pourrait supposer, alors, qu’il y ait en face la lutte du faible militairement (ou « physiquement ») pour faire que les guerres se livrent sur des terrains où la puissance militaire ne soit pas le facteur déterminant.
Les guerres « les plus modernes » ou « postmodernes », ne sont pas dans ce cas celles qui mettent sur le terrain les armes les plus sophistiquées (et ici j’inclus non seulement les armes comme technologie militaire, mais aussi ce qu’on appelle ainsi dans les organigrammes du commandement : l’arme de l’infanterie, celle de la cavalerie, des blindés, etc.), mais celles qui sont menées sur des terrains où la
qualité et la quantité du pouvoir militaire n’est pas le facteur déterminant. Avec des siècles de retard, la théorie militaire d’en haut découvrait que, l’un dans l’autre, seraient possibles des conflits où l’un des adversaires, d’une supériorité écrasante en termes militaires, serait incapable d’imposer sa volonté à un faible rival.
Oui, ils sont possibles. Les exemples surabondent dans l’histoire moderne, et ceux qui à présent me viennent à l’esprit sont ceux de défaites de la plus grande puissance guerrière du monde, les États-Unis d’Amérique, au Vietnam et à la baie des Cochons. Mais on pourrait y ajouter quelques exemples de calendriers passés
et de notre géographie : les défaites de l’armée royaliste espagnole face aux forces insurgées dans le Mexique d’il y a deux cents ans. Cependant, la guerre est là, et là aussi sa question centrale : la destruction physique et/ou morale de l’adversaire pour imposer sa propre volonté reste le fondement de la guerre d’en haut. Dans ce cas, si la force militaire (ou physique, je le répète) non seulement n’est pas décisive, mais
qu’on peut se passer d’elle en tant que facteur déterminant dans la décision finale, nous nous trouvons devant le fait que, dans un conflit guerrier, entrent d’autres variables, ou que quelques-unes de celles qui sont présentes à titre secondaire passent au premier plan. Cela n’est pas nouveau. Le concept de « guerre totale » (bien que sous d’autres appellations) a des antécédents et des exemples. La guerre par tous les moyens (militaires, économiques, politiques, religieux, idéologiques, diplomatiques, sociaux et même écologiques) est le synonyme de « guerre
moderne ».
Mais il manque l’essentiel : la conquête d’un territoire. C’est-à-dire que cette volonté s’impose dans un calendrier précis, oui, mais surtout dans une géographie délimitée. S’il n’y a pas un territoire conquis, c’est-à-dire sous le contrôle direct ou indirect de la force victorieuse, il n’y a pas de victoire. Bien qu’on puisse parler de guerres économiques (comme le blocus que le gouvernement nordaméricain maintient contre la République de Cuba), ou d’aspects économiques, religieux, idéologiques, raciaux, etc., d’une guerre, l’objectif reste le même. Et aujourd’hui la volonté que tente d’imposer le capitalisme est de détruire/dépeupler et reconstruire/réorganiser le territoire conquis.
C’est ainsi, les guerres d’aujourd’hui ne se contentent plus de conquérir un territoire et de recevoir le tribut de la force vaincue. À l’étape actuelle du capitalisme, il est nécessaire de détruire le territoire conquis et de le dépeupler, c’est-à-dire de détruire son tissu social. Je parle de l’anéantissement de tout ce qui donne de la cohésion à une société.
Mais la guerre d’en haut ne s’arrête pas là. De manière simultanée à la destruction et à la dépopulation s’opère la reconstruction de ce territoire et la réorganisation de son tissu social, mais à présent dans une autre logique, avec une autre méthode, d’autres acteurs, un autre objectif. En somme : les guerres imposent une nouvelle géographie.
Si, dans une guerre internationale, ce processus complexe a lieu dans la nation conquise et s’opère depuis la nation assaillante, dans une guerre locale, ou nationale, ou civile, le territoire à détruire/dépeupler et à reconstruire/réorganiser est commun aux forces en présence. C’est-à-dire que la force attaquante victorieuse détruit et dépeuple son propre territoire. Et elle le reconstruit et réorganise selon son plan de conquête ou de reconquête. Mais si elle n’a pas de plan... alors « quelqu’un » opère cette reconstruction/réorganisation. En tant que peuples originaires mexicains et en tant qu’EZLN, nous avons quelque chose à dire sur la guerre. Surtout si elle se livre dans notre géographie et dans le présent calendrier : Mexique, débuts du XXIe siècle...

II. LA GUERRE DU MEXIQUE D’EN HAUT

« Je souhaiterais la bienvenue à presque n’importe quelle guerre, parce que je crois que ce pays en a besoin. » Theodore Roosevelt
Et voilà qu’à présent notre réalité nationale est envahie par la guerre. Une guerre qui non seulement n’est plus lointaine pour qui avait l’habitude de la voir dans des géographies ou des calendriers distants, mais qui commence à gouverner les décisions et indécisions de ceux qui ont cru que les conflits guerriers ne se trouvaient que dans les bulletins d’informations et les films de lieux aussi lointains
que... l’Irak, l’Afghanistan,... le Chiapas. Et dans tout le Mexique, grâce au parrainage de Felipe Calderón Hinojosa, nous n’avons plus besoin de recourir à la géographie du Moyen-Orient pour avoir une réflexion critique sur la guerre. Il n’est plus
nécessaire de remonter le calendrier jusqu’au Vietnam, à la baie des Cochons, et toujours à la Palestine. Et je ne mentionne pas le Chiapas et la guerre contre les communautés indigènes zapatistes, parce qu’il est bien connu qu’elle n’est pas à la mode (pour y parvenir, le gouvernement du Chiapas a dépensé pas mal d’argent pour obtenir que les médias ne le rangent pas dans l’horizon de la guerre, mais dans celui des « avancées » dans la production de biodiesel, le « bon » traitement des migrants, les « succès » agricoles et autres fables attrape-nigauds vendus aux comités de rédaction qui signent, comme s’ils étaient d’eux, les bulletins gouvernementaux pauvres en rédaction et en arguments). L’irruption de la guerre dans la vie quotidienne du Mexique actuel ne vient pas d’une insurrection ni de
mouvements indépendantistes ou révolutionnaires qui se disputent leur réédition sur le calendrier cent ou deux cents ans plus tard. Elle vient, comme toutes les guerres de conquête, d’en haut, du pouvoir. Et cette guerre trouve en Felipe Calderón Hinojosa son instigateur et promoteur institutionnel (et, à présent, honteux de l’être).
Celui qui a pris possession de l’exécutif fédéral par la voie du fait accompli ne s’est pas satisfait de l’appui médiatique ; il a dû recourir à quelque chose de plus pour détourner l’attention et échapper à la remise en cause massive de sa légitimité : la guerre.
Quand Felipe Calderón Hinojosa a fait sienne la proclamation de Theodore Roosevelt (que certains attribuent à Henry Cabot Lodge) suivant laquelle « ce pays a besoin d’une guerre », il a reçu en réponse la méfiance craintive des chefs d’entreprise mexicains, l’enthousiaste approbation du haut commandement militaire et les applaudissements nourris de qui commande vraiment : le capital étranger. La critique de cette catastrophe nationale appelée « guerre contre le crime organisé » devrait être complétée par une analyse en profondeur de ses stimulants économiques. Je ne me réfère pas seulement à cet antique axiome qui veut que, dans les époques de crise et de guerre, la dépense somptuaire augmente. Et pas non plus seulement aux sursalaires que perçoivent les militaires (au Chiapas, les haut gradés touchaient, ou touchent, un salaire supplémentaire de 130 % parce qu’ils se trouvent en « zone de guerre »). Il faudrait chercher aussi du côté des brevets, des fournisseurs et des crédits internationaux qui ne se trouvent pas dans ce qu’on appelle l’« Initiative Mérida ». Si la guerre de Felipe Calderón Hinojosa (qu’on a essayé, en vain, de faire endosser à tous les Mexicains) est un négoce (et elle l’est), il faut encore répondre à ces questions : pour qui est-ce un négoce, et quel montant monétaire il atteint ?

Quelques estimations économiques

Ce n’est pas rien, ce qui est en jeu : (note : les quantités détaillées ne sont pas exactes du fait qu’il n’y a aucune clarté dans les chiffres gouvernementaux officiels. C’est pourquoi dans certains cas on a eu recours à ce qui est publié dans le Journal officiel de la Fédération, et on l’a complété avec des données des ministères et de l’information journalistique sérieuse).
Dans les quatre premières années de la « guerre contre le crime organisé » (2007-2010), les principaux organismes gouvernementaux qui en étaient chargés (ministère de la Défense nationale - c’est-à-dire armées de terre et de l’air - ministère de la Marine, ministère de la Justice et ministère de la Sécurité publique) ont reçu du budget de dépenses de la Fédération une somme supérieure à 366 milliards de
pesos (environ 30 milliards de dollars au taux de change actuel). Ces quatre dépendances du gouvernement fédéral ont reçu :

en 2007, plus de 71 milliards de pesos ; en 2008, plus de 80 milliards ;
en 2009, plus de 113 milliards, et en 2010 ça a été plus 102 milliards de pesos.

À quoi il faut ajouter les plus de 121 milliards de pesos (environ 10 milliards de dollars) qu’elles recevront en cette année 2011.
Le seul ministère de la Sécurité publique est passé de 13 milliards de pesos de budget en 2007 à plus de 35 milliards en 2011 (peut-être est-ce parce que les productions cinématographiques sont plus coûteuses). Selon le Troisième Rapport de gouvernement de septembre 2009, au mois de juin de la même année les forces armées fédérales comptaient un effectif de 254 705 hommes (202 355 pour l’armée de terre et l’armée de l’air, et 52 350 pour la flotte). En 2009, le budget pour la Défense nationale a été de 43 milliards 623 millions 321 860 pesos, auxquels se sont ajoutés 8 milliards 762 millions 315 960 pesos (25,14 % de plus), au total : plus de 52 milliards de pesos pour les armées de terre et de l’air. Le ministère de la Marine : plus de 16 milliards de pesos ; la Sécurité publique : presque 33 milliards de pesos ; et le ministère de la Justice : plus de 12 milliards de pesos. Total du budget pour la « guerre contre le crime organisé » en 2009 : plus de 113 milliards de pesos.
En 2010, un soldat fédéral du rang gagnait 46 380 pesos par an ; un général de division touchait un million 603 080 pesos annuels, et le ministre de la Défense nationale percevait des revenus annuels d’un million 859 712 pesos.
Si je ne me trompe pas dans les comptes, avec le budget guerrier total de 2009 (113 milliards de pesos pour les quatre ministères), on aurait pu payer les salaires annuels de deux millions et demi de simples soldats ; ou de 70 500 généraux de division ; ou de 60 700 titulaires du ministère de la Défense nationale. Mais, bien entendu, tout ce qui entre dans le budget ne va pas aux salaires et aux prestations. Il y a besoin d’armes, d’équipements, de balles... parce que ceux qu’on a ne fonctionnent plus ou sont obsolètes. « Si l’armée mexicaine entrait en guerre avec ses quelque 150 000 armes et ses 331,3 millions de cartouches contre un ennemi interne ou externe, sa puissance de feu serait tout juste suffisante pour douze jours de combat continu en moyenne, signalent des estimations de l’état-major de la Défense nationale (Emaden) élaborées pour chacune des armes, armée de terre et armée de l’air. D’après les prévisions, le feu d’artillerie des obusiers (canons) de 105 millimètres permettrait de tenir, par exemple, seulement 5,5 jours en tirant en continu les quinze munitions pour cette arme. Les unités blindées, d’après cette analyse, ont 2 662 munitions de 75 millimètres. Si elles entraient en combat, les unités blindées dépenseraient toutes leurs munitions en neuf jours. Quand à l’armée de l’air, on signale qu’il existe à peine plus de 1,7 million de cartouches de calibre 7,62 mm qui sont employées par les avions PC-7 et PC-9, et par les hélicoptères Bell 212 et MD-530. Dans une conflagration, ce 1,7 million de cartouches s’épuiserait en cinq jours de feu aérien, selon les calculs du ministère. Cet organisme fait remarquer que les 594 équipements de vision nocturne et les 3 095 GPS utilisés par les Forces spéciales pour combattre les cartels de la drogue “ont accompli tout leur temps de service”.
Les carences et le gaspillage dans les rangs des armées de terre et de l’air sont manifestes et atteignent des niveaux difficiles à imaginer dans pratiquement tous les secteurs d’opération de l’institution. L’analyse de la Défense nationale signale que les goggles de vision nocturne et les GPS ont entre cinq et treize ans d’ancienneté et “ont accompli tout leur temps de service”. C’est la même chose avec les “150 392 casques anti-fragments” qu’utilisent les troupes. 70 % d’entre eux ont terminé leur vie utile en 2008, et les 41 160 gilets pare-balles le feront en 2009 (...).
Dans ce panorama, l’armée de l’air apparaît comme la plus touchée par le retard et la dépendance technologiques vis-à-vis de l’étranger, en particulier des États-Unis et d’Israël. D’après le ministère les dépôts d’armes de l’armée de l’air comptent 753 bombes de 250 à 1 000 livres chacune. Les avions F-5 et PC-7 Pilatus utilisent ces armes. Les 753 existantes permettent de combattre air-terre durant une journée. Les 87 740 munitions de calibre 20 mm pour jets F-5 permettent de combattre des ennemis internes ou externes pendant six jours. Enfin, le ministère révèle qu’en ce qui concerne les missiles air-air pour les avions F-5, le stock est de 45 pièces, ce qui représente uniquement une journée de feu aérien. » Jorge Alejandro Medellín dans El Universal, México, 2 janvier 2009.
Ça, c’est ce qu’on connaît en 2009, deux ans après le début de la soi-disant « guerre » du gouvernement fédéral. Laissons de côté la question évidente : comment a-t-il été possible que le chef suprême des forces armées, Felipe Calderón Hinojosa, se lance dans une guerre (« de longue haleine », dit-il), sans disposer des conditions matérielles minimales pour la mener, et ne parlons même pas de « la gagner » ?
Alors demandons-nous : quelles industries d’armement vont bénéficier des achats d’armes, d’équipement, et de munitions ?
Si le principal promoteur de cette guerre est l’empire aux barres et aux troubles étoiles (si on compte bien, en réalité les seules félicitations qu’a reçues Felipe Calderón Hinojosa sont venues du gouvernement nord-américain), il ne faut pas perdre de vue qu’au nord du Río Bravo on n’accorde pas d’aides ; on fait des investissements, c’est-à-dire des affaires.

Victoires et défaites

Les États-Unis gagnent-ils quelque chose à cette guerre « locale » ? La réponse est oui. En laissant de côté les profits économiques et l’investissement monétaire en armes, munitions et équipement (n’oublions pas que les États-Unis sont le principal fournisseur de tout cela aux deux camps opposés : les autorités et les « délinquants » - la « guerre contre la délinquance organisée » est une affaire en or pour l’industrie militaire nord-américaine), on trouve, comme résultat de cette guerre, une destruction/dépeuplement et une reconstruction/réorganisation géopolitique qui leur sont favorables. Cette guerre (perdue par le gouvernement sitôt conçue non comme solution à un problème d’insécurité, mais à un problème de légitimité contestée) est en train de détruire le dernier retranchement qui reste à une nation : son tissu social.
Quelle guerre pourrait être meilleure pour les États-Unis que celle-ci, qui lui rapporte des profits, un territoire et un contrôle politique et militaire, sans les gênants body bags et les mutilés de guerre qui lui reviennent, autrefois du Vietnam, aujourd’hui d’Irak et d’Afghanistan ?
Les révélations de Wikileaks sur les opinions au sein du haut commandement nord-américain à propos des « déficiences » de l’appareil répressif mexicain (son inefficacité et sa promiscuité avec la délinquance) ne sont pas nouvelles. Ce n’est pas seulement parmi le commun des mortels, mais aussi dans les hautes sphères du gouvernement et du pouvoir au Mexique que c’est une certitude. La blague suivant laquelle c’est une guerre inégale parce que le crime organisé l’est, organisé, et pas le gouvernement mexicain, est une lugubre vérité. Le 11 décembre 2006 a commencé formellement cette guerre avec ce qu’on a appelé alors « l’Opération conjointe Michoacán ». Sept mille éléments de l’armée, de la marine et des polices
fédérales on lancé une offensive (populairement connue sous le nom de « michoacanazo » ou « le coup du Michoacán ») qui, une fois passée l’euphorie médiatique de ces jours-là, s’est révélée un échec. Le commandant militaire en était le général Manuel García Ruiz et le responsable de l’opération Gerardo Garay Cadena, du ministère de la Sécurité publique. À présent, et ce depuis décembre 2008, Gerardo Garay Cadena est en prison au pénitencier de haute sécurité de Tepic (Nayarit), accusé de collusion avec « el Chapo » Guzmán Loera.
Et à chaque pas accompli dans cette guerre il est plus difficile au gouvernement fédéral d’expliquer où se trouve l’ennemi à vaincre. Jorge Alejandro Medellín est un journaliste qui collabore à divers médias - la revue Contralínea, l’hebdomadaire Acentoveintiuno et le site d’informations Eje central, entre autres - et qui s’est
spécialisé dans les sujets du militarisme, des forces armées, de la sécurité nationale et du narcotrafic. En octobre 2010, il a reçu des menaces de mort pour un article où il signalait de possibles liens du narcotrafic avec le général Felipe de Jesús Espitia, ancien commandant de la Ve Zone militaire, ancien chef de la Section Sept - Opérations contre le narcotrafic - sous le gouvernement de Vicente Fox et
responsable du Musée du stupéfiant situé dans les bureaux de la S-7. Le général Espitia a été muté de son poste de commandant de la Ve Zone militaire à cause de l’échec retentissant des opérations qu’il avait ordonnées à Ciudad Juárez et de la pauvre réponse qu’il a apportée aux massacres commis dans cette ville frontalière.
Mais l’échec de la guerre fédérale contre la « délinquance organisée », joyau de la couronne du gouvernement de Felipe Calderón Hinojosa, n’est pas une perspective à déplorer pour le pouvoir aux États-Unis : c’est le but à atteindre.
Les grands médias ont beau s’efforcer de présenter comme d’éclatantes victoires de la légalité les escarmouches qui ont lieu tous les jours sur le territoire national, ils ne parviennent pas à convaincre. Et pas seulement parce que les grands médias ont été dépassés par les formes d’échange d’information d’une grande partie de la population (entre autres les réseaux sociaux et la téléphonie mobile, mais pas
seulement), également, et surtout, parce que le ton de la propagande gouvernementale est passé de la tentative de tromperie à la tentative de foutage de gueule, depuis le « même si ça n’en a pas l’air, nous sommes en train de gagner » jusqu’à « la minorité ridicule » de délinquants, en passant par les fanfaronnades de comptoir du haut fonctionnaire de service. Sur cette autre défaite de la presse, écrite, de radio et de télévision, je reviendrai dans une autre lettre.
Pour l’instant, et en ce qui concerne le sujet qui nous occupe, il suffit de rappeler que le « il ne se passe rien au Tamaulipas », qui était proclamé par les bulletins d’information (plus particulièrement à la radio et à la télévision), a été mis en déroute par les vidéos prises par des citoyens avec des téléphones portables ou des caméras d’amateur et partagées sur Internet.
Mais revenons à cette guerre que Felipe Calderón Hinojosa, à ce qu’il prétend, n’a jamais appelée « guerre ». Il ne l’a pas appelée ainsi, pas vrai ?
« Voyons si c’est une guerre ou si ça ne l’est pas ; le 5 décembre 2006, Felipe Calderón a dit : “Nous travaillons à gagner la guerre contre la délinquance...” Le 20 décembre 2007, durant un petit déjeuner avec du personnel de la Marine, monsieur Calderón a utilisé jusqu’à quatre fois en un seul discours le terme de guerre. Il a dit : “La société reconnaît tout particulièrement le rôle de nos marins dans la guerre que mon gouvernement mène contre l’insécurité...”, “La loyauté et l’efficacité des
Forces armées sont une des armes les plus puissantes dans la guerre que nous livrons contre elle...”, “En commençant cette guerre frontale contre la délinquance, j’ai signalé que ce serait une lutte de longue haleine”, “... c’est précisément comme ça que sont les guerres...”. Mais il y a plus encore : le 12 septembre 2008, lors de la cérémonie de clôture et d’ouverture des Cours du système éducatif militaire, l’autodénommé “Président de l’emploi” a pris son envol en prononçant en une demi-douzaine d’occasions le terme de guerre contre le crime : “Aujourd’hui notre pays livre une guerre très différente de celle qu’eurent à affronter les insurgés en 1810, une guerre distincte de celle qu’affrontèrent les cadets du Collège militaire il y a 161 ans...”, “... tous les Mexicains de notre génération ont le devoir de déclarer la guerre aux ennemis du Mexique... Aussi, dans cette guerre contre la délinquance...”, “Il est indispensable que nous tous, qui nous joignons à ce front commun, nous passions de la parole aux actes et que nous déclarions, vraiment, la guerre aux ennemis du
Mexique...”, “Je suis convaincu que cette guerre, nous allons la gagner...”. » (Alberto Vieyra Gómez, Agence mexicaine de nouvelles, 27 janvier 2011).
En profitant du calendrier pour se contredire, Felipe Calderón Hinojosa n’arrange pas ses affaires, et ne se corrige pas sur le plan des concepts. Non, ce qu’il y a, c’est que les guerres, on les gagne ou on les perd (dans ce cas, on les perd) et que le gouvernement fédéral ne veut pas reconnaître que le point essentiel de sa gestion a échoué sur les plans militaire et politique.
Guerre sans fin ? La différence entre la réalité... et les jeux vidéo. Face à l’échec indéniable de sa politique guerrière, Felipe Calderón Hinojosa va-t-il changer de stratégie ?
La réponse est NON. Et pas seulement parce que la guerre d’en haut est un négoce, et que comme tout négoce elle se maintient tant qu’elle continue à générer des profits. Felipe Calderón Hinojosa, le commandant en chef des forces armées ; le fervent admirateur de José María Aznar ; l’autodénommé « l’enfant terrible » ; l’ami d’Antonio Solá ; le « gagnant » de la présidence par un demi pour cent des voix, grâce à l’alchimie d’Elba Esther Gordillo ; celui des invectives autoritaires plutôt du style des caprices de gamin (« vous descendez, ou je vous envoie chercher ») ; celui qui veut masquer avec du sang encore celui des enfants assassinés à la garderie ABC à Hermosillo (Sonora) ; celui qui a accompagné sa guerre militaire d’une guerre contre le travail digne et le salaire juste ; celui de l’autisme calculé face aux assassinats de Marisela Escobedo et Susana Chávez Castillo ; celui qui distribue les étiquettes mortuaires de « membres du crime organisé » aux petites filles et petits garçons, hommes et femmes, qui ont été et qui sont assassinés parce que c’est comme ça, parce qu’ils ont eu la malchance de se trouver au mauvais endroit à la mauvaise date, et qui ne parviennent même pas à être nommés parce que personne n’en tient le compte, ni dans la presse ni dans les réseaux sociaux.
Lui, Felipe Calderón Hinojosa, est aussi un fan des jeux vidéo de stratégie militaire.
Felipe Calderón Hinojosa est le gamer « qui, en quatre ans, a transformé le pays en une version mondaine de The Age of Empires - son jeu vidéo préféré - (...) un amoureux - et mauvais stratège – de la guerre » (Diego Osorno, dans Milenio Diario, 3 octobre 2010).
C’est lui qui nous amène à demander : le Mexique est-il gouverné à la façon d’un jeu vidéo ? (Je crois que je peux poser ce genre de questions compromettantes sans risque d’être licencié pour manquement à « un code d’éthique » géré par la publicité payante.)
Felipe Calderón Hinojosa ne s’arrêtera pas. Et pas seulement parce que les forces armées ne le lui permettraient pas (les affaires sont les affaires), mais aussi à cause de l’obstination qui caractérise la vie politique du « commandant en chef » des forces armées mexicaines.
Rafraîchissons un peu les mémoires. En mars 2001, quand Felipe Calderón Hinojosa était le coordinateur parlementaire des députés fédéraux du Parti d’action nationale, a eu lieu ce lamentable spectacle du PAN qui refusait qu’une délégation indigène conjointe du Congrès national indigène et de l’EZLN fasse usage de la tribune du Congrès de l’Union à l’occasion de ce qu’on a appelé la « Marche de la couleur de la terre ».
Bien que cela désigne le PAN comme une organisation politique raciste et intolérante (ce qu’il est) qui refuse aux indigènes le droit à être écoutés, Felipe Calderón Hinojosa est resté campé dans son refus. Tout lui disait que c’était une erreur d’assumer cette position, mais le coordinateur des députés panistes n’a pas cédé (et a fini, avec Diego Fernández de Cevallos et d’autres illustres panistes dans un des
salons privés de la chambre, à regarder à la télévision les indigènes prendre la parole dans un espace que la classe politique réserve pour ses saynètes).
« Tant pis pour le coût politique », aurait dit alors Felipe Calderón Hinojosa.
À présent il dit la même chose, même si aujourd’hui il ne s’agit plus des coûts politiques assumés par un parti politique, mais des coûts humains que paie le pays entier à cause de cet entêtement. Sur le point de terminer cette missive, je suis tombé sur les déclarations de la secrétaire à la Sécurité intérieure des États-Unis, Janet Napolitano, spéculant sur de possibles alliances entre Al Qaeda et les
cartels mexicains de la drogue. La veille, le sous-secrétaire de l’Armée des États-Unis, Joseph Westphal, avait déclaré qu’au Mexique il y a une forme d’insurrection dirigée par les cartels de la drogue qui, potentiellement, pourraient s’emparer du gouvernement, ce qui impliquerait une réponse militaire étasunienne. Il a ajouté qu’il ne souhaitait pas voir une situation où des soldats étasuniens seraient envoyés combattre une insurrection « sur notre frontière... ou avoir à les envoyer franchir
cette frontière » vers le Mexique.
Pendant ce temps, Felipe Calderón Hinojosa assistait à un simulacre de libération d’otages dans un village reconstitué, façon décor de cinéma, dans l’État de Chihuahua et montait dans un avion de combat F-5, s’asseyait sur le siège du pilote et plaisantait avec un « envoyez les missiles ». Des jeux vidéo de stratégie aux « simulateurs de combat aérien » et aux « tirs à la première personne » ? De Age of Empires à HAWX ?

Le HAWX est un jeu vidéo de combat aérien où, dans un futur proche, les entreprises militaires privées (private military company) ont remplacé les armées gouvernementales dans plusieurs pays. La première mission du jeu vidéo consiste à bombarder Ciudad Juárez (Chihuahua, Mexique), parce que les « forces rebelles » se sont emparées de la place et menacent d’avancer vers le territoire nordaméricain.
Ce n’est pas dans le jeu vidéo, mais en Irak, qu’une des entreprises militaires privées embauchées par le Département d’État nord-américain et l’Agence centrale de renseignement (CIA) a été Blackwater USA, qui ensuite a changé son nom en Blackwater Worldwide. Son personnel a commis de sérieux abus en Irak, y compris l’assassinat de civils. À présent elle a encore changé son nom en Xe Services LLC et elle est le plus grand adjudicataire de sécurité privée du Département d’État nord-américain. Au moins 90 % de ses profits proviennent de contrats avec le gouvernement des États-Unis. Le jour même où Felipe Calderón Hinojosa plaisantait dans l’avion de combat (10 février 2011), dans le même État de Chihuahua une fillette de huit ans est morte, touchée par une balle lors d’un échange
de coups de feu entre des personnes armées et des militaires.
Quand cette guerre va-t-elle se terminer ?
Quand va apparaître sur l’écran du gouvernement fédéral le game over de la fin du jeu, suivi du générique avec les noms des producteurs et des sponsors de la guerre ?
Quand Felipe Calderón va-t-il pouvoir dire « nous avons gagné la guerre, nous avons imposé notre volonté à l’ennemi, nous avons détruit sa capacité matérielle et morale de combat, nous avons (re)conquis les territoires qui étaient en son pouvoir » ?
Depuis qu’elle a été conçue, cette guerre n’a pas de fin, et elle est perdue. Il n’y aura pas de vainqueur mexicain sur ces terres (à la différence du gouvernement, le pouvoir étranger, lui, a un plan pour reconstruire/réorganiser le territoire), et le vaincu sera le dernier carré au Mexique de l’État national agonisant : les relations sociales, qui, en donnant une identité commune, sont la base de la nation.
Avant même la fin supposée, le tissu social sera totalement déchiré.
Résultats : la guerre en haut et la mort en bas
Voyons de quoi nous informe le ministre de l’Intérieur fédéral sur la « non-guerre » de Felipe Calderón
Hinojosa :« 2010 a été l’année la plus violente du sexennat, puisque se sont accumulés 15 273 homicides liés au crime organisé, 58 % de plus que les 9 614 enregistrés au cours de 2009, suivant les statistiques diffusées ce mercredi par le gouvernement fédéral. De décembre 2006 à la fin 2011 ont été comptabilisés 34 612 crimes, parmi lesquels 30 913 sont des cas signalés comme “exécutions” ; 3 153
sont qualifiés d’“affrontements” et 554 sont dans la catégorie “homicides-agressions”. Alejandro Poiré, secrétaire technique du Conseil de sécurité nationale, a présenté une base de données officielle élaborée par des experts qui fera apparaître à partir de maintenant “une information détaillée mensuelle, au niveau des États et des municipalités” sur la violence dans tout le pays » (journal Vanguardia, Coahuila, Mexique, 13 janvier 2011).
Posons les questions : sur ces 34 612 assassinés, combien étaient des délinquants ? Et les plus de mille petits garçons et petites filles tués (que le ministre de l’Intérieur a « oublié » de compter à part), c’étaient aussi des « tueurs à gages » du crime organisé ? Quand au gouvernement fédéral on proclame « nous sommes en train de gagner », à quel cartel de la drogue se réfèrent-ils ? Combien de dizaines de
milliers d’autres constituent-ils cette « ridicule minorité » qu’est l’ennemi à vaincre ?
Tandis que là-haut ils essaient inutilement de dédramatiser dans les statistiques les crimes que leur guerre a provoqués, il faut signaler qu’on détruit en même temps le tissu social sur presque tout le territoire national.
L’identité collective de la nation est en train d’être détruite, en train d’être supplantée par une autre.
Parce que « une identité collective n’est rien d’autre qu’une image qu’un peuple se forge de lui-même pour se reconnaître comme appartenant à ce peuple. L’identité collective, ce sont ces traits par lesquels un individu se reconnaît comme appartenant à une communauté. Et la communauté accepte cet individu comme une part d’elle-même. Cette image que le peuple se forge n’est pas nécessairement la perpétuation d’une image traditionnelle héritée, c’est généralement l’individu qui se la forge en tant qu’appartenant à une culture, pour rendre cohérents son passé et sa vie actuelle avec les projets qu’il a pour cette communauté.
Alors, l’identité n’est pas un simple legs dont on hérite, mais c’est une image qui se construit, que chaque peuple se crée, et par conséquent elle est variable et changeante suivant les circonstances historiques » (Luis Villoro, novembre 1999, entrevue avec Bertold Bernreuter, Aachen, Allemagne).
Dans l’identité collective d’une bonne partie du territoire national il n’y a pas, comme on voudrait nous le faire croire, la dispute entre l’étendard de la patrie et les narco-corridos (si on ne soutient pas le gouvernement, on soutient la délinquance, et vice-versa).

Non.
Ce qu’il y a, c’est une imposition, par la force des armes, de la peur comme image collective, de l’incertitude et de la vulnérabilité comme miroirs dans lesquels ces collectifs se reflètent.
Quelles relations sociales peuvent se maintenir ou se tisser si la peur est l’image dominante avec laquelle on peut identifier un groupe social, si le sens de la communauté se rompt au cri de sauve-qui peut ?
Le résultat de cette guerre ne va pas être seulement des milliers de morts... et de juteux profits économiques.
Ce va être aussi, et surtout, une nation détruite, dépeuplée, brisée irrémédiablement.

III. ON N’Y PEUT RIEN ?

À ceux qui exhibent leurs mesquines additions et soustractions électorales dans ce compte mortel, nous rappelons que :
Il y a dix-sept ans, le 12 janvier 1994, une gigantesque mobilisation citoyenne (attention : sans chefs, sans comités centraux, sans leaders ou dirigeants) a arrêté la guerre ici. Face à l’horreur, la destruction et les morts, il y a dix-sept ans la réaction a été presque immédiate, péremptoire, efficace.
À présent ce sont la frilosité, l’avarice, l’intolérance, la bassesse, qui lésinent sur les soutiens et appellent à l’immobilité... et à l’inefficacité.
L’initiative louable d’un groupe de travailleurs de la culture (« Assez de sang ») a été disqualifiée dès son commencement parce qu’elle ne « se pliait » pas à un projet électoral, dans la mesure où elle n’appliquait pas le mandat d’attendre 2012.
Maintenant qu’ils ont la guerre là-bas, dans leurs villes, dans leurs rues, sur leurs routes, dans leurs maisons, qu’ont-ils fait ? Je veux dire, en plus de « se plier » devant qui possède « le meilleur projet ».
Demander aux gens d’attendre 2012 ? Car à ce moment-là, oui, il faudra retourner voter pour le moins mauvais, et à ce moment-là, oui, le vote sera respecté ? S’il y a déjà plus de 34 000 morts en quatre ans, cela fait plus de 8 000 morts par an. C’est-à-dire qu’il faut attendre 16 000 morts de plus pour faire quelque chose ?
Parce que cela va empirer. Si les favoris actuels pour l’élection présidentielle de 2012 (Enrique Peña Nieto [PRI] et Marcelo Ebrard [PRD]) gouvernent les entités qui comptent le plus grand nombre de citoyens, ne faut-il pas s’attendre à ce qu’y augmente la « guerre contre la délinquance organisée »,avec son sillage de « dégâts collatéraux » ?
Que vont-ils faire ? Rien. Ils vont suivre le même chemin d’intolérance et de satanisation qu’il y a quatre ans, quand en 2006 tout ce qui n’était pas en faveur de López Obrador était accusé de servir la droite. Celles et ceux qui nous ont attaqués et calomniés, à l’époque et maintenant, suivent le même chemin face aux autres mouvements, organisations, protestations, mobilisations. Pourquoi la prétendue grande organisation nationale qui se prépare pour que cette fois, dans les
prochaines élections fédérales, gagne un projet alternatif de nation, ne fait-elle pas quelque chose aujourd’hui ? Je veux dire que s’ils pensent qu’ils peuvent mobiliser des millions de Mexicains pour qu’ils votent pour quelqu’un, pourquoi ne pas les mobiliser pour arrêter la guerre et faire que le pays survive ? Ou alors il s’agit d’un calcul mesquin et bas ? Que le compte de morts et de destruction retire
à l’adversaire et ajoute à l’élu ?
Aujourd’hui, au milieu de cette guerre, la pensée critique est à nouveau reléguée. D’abord l’important :
2012 et les réponses aux questions sur les « coqs », nouveaux ou recyclés, pour ce futur qui s’effondre dès maintenant. Tout doit être subordonné à ce calendrier et à ses étapes préliminaires : les élections locales au Guerrero, en Basse-Californie, Hidalgo, Nayarit, Coahuila et dans l’État de Mexico.
Et tandis que tout s’écroule, on nous dit que l’important, c’est d’analyser les résultats électoraux, les tendances, les possibilités. On nous appelle à tout supporter jusqu’à ce que ce soit le moment de cocher le bulletin de vote, et retour à la case départ : à nouveau attendre que tout s’arrange et que se reconstruise le fragile château de cartes de la classe politique mexicaine.
Vous vous souvenez comme ils se sont moqués, comme ils nous ont attaqués, parce que dès 2005 nous avons appelé les gens à s’organiser suivant leurs propres revendications, leur histoire, leur identité et leurs aspirations, et à ne pas parier sur le fait que quelqu’un, là-bas, tout là-haut, allait tout résoudre ?
C’est nous qui nous sommes trompés, ou c’est eux ?
Qui, dans les principales villes, ose dire qu’il peut sortir en toute tranquillité, même pas au petit matin, mais dès que la nuit commence à tomber ?

Qui reprend à son compte le « Nous sommes en train de gagner » du gouvernement fédéral et voit avec respect, et non avec crainte, des soldats, des marins et des policiers ?
Qui sont ceux qui se réveillent à présent sans savoir s’ils seront toujours vivants, sains et libres quand se terminera le jour qui commence ?
Qui sont ceux qui ne peuvent offrir aux gens une issue, une alternative, autre qu’attendre les prochaines élections ?
Qui sont ceux qui ne peuvent pas lancer une initiative qui réussisse au niveau local, et ne parlons même pas du niveau national ?
Qui sont ceux qui sont restés tout seuls ?
Parce que, à la fin, ceux qui vont rester seront ceux qui ont résisté ; ceux qui ne se sont pas vendus ;ceux qui ne se sont pas rendus ; ceux qui n’ont pas failli ; ceux qui ont compris que les solutions ne viennent pas d’en haut, mais qu’elles se construisent d’en bas ; ceux qui n’ont pas parié et ne parient pas sur les illusions vendues par une classe politique qui a fait son temps et qui pue comme un cadavre ; ceux qui n’ont pas suivi le calendrier d’en haut et n’ont pas mis leur géographie en
adéquation avec ce calendrier, en transformant un mouvement social en une liste de numéros de cartes d’électeur ; ceux qui, face à la guerre, ne sont pas restés immobiles, à attendre le nouveau spectacle d’équilibriste de la classe politique sous la tente du cirque électoral, mais ont construit une alternative sociale, et non individuelle, de liberté, de justice, de travail et de paix.

IV. L’ÉTHIQUE ET NOTRE AUTRE GUERRE

Nous avons déjà dit que la guerre est inhérente au capitalisme et que la lutte pour la paix est anticapitaliste.
Vous, don Luis, vous avez déjà dit aussi que « la moralité sociale constitue seulement un premier niveau, précritique, de l’éthique. L’éthique critique commence quand le sujet prend de la distance par rapport aux formes de moralité existantes et s’interroge sur la validité de ses règles et comportements. Il peut alors s’apercevoir que la moralité sociale n’applique pas les vertus qu’elle proclame ».
Est-il possible d’amener l’éthique à la guerre ? Est-il possible de la faire surgir au milieu de défilés militaires, de grades, de barrages, d’opérations, de combats et de morts ? Est-il possible de l’amener à remettre en question la validité des règles et des comportements militaires ? Ou le fait de poser cette possibilité n’est-il qu’un exercice de spéculation philosophique ? Parce que, sans doute, l’inclusion de cet « autre » élément dans la guerre ne serait possible que par un paradoxe. Inclure l’éthique comme facteur déterminant d’un conflit amènerait comme conséquence une reconnaissance radicale : le protagoniste sait que le résultat de son « triomphe » sera sa défaite.
Et je ne parle pas de la défaite dans le sens de « destruction » ou « abandon », mais dans celui de négation de l’existence en tant que force belligérante. C’est-à-dire qu’une force mène une guerre qui, si elle la gagne, signifiera sa disparition en tant que force. Et si elle la perd, également, mais personne ne mène une guerre pour la perdre (bon, sauf Felipe Calderón).
Et c’est là que gît le paradoxe de la guerre zapatiste : si nous perdons, nous gagnons ; et si nous gagnons, nous gagnons. La clé se trouve dans le fait que notre guerre est une guerre qui ne prétend pas détruire l’adversaire dans le sens classique.
C’est une guerre qui essaie d’annuler le terrain de sa réalisation et les possibilités des adversaires (nous y compris).
C’est une guerre pour cesser d’être ce que nous sommes à présent et être ainsi ce que nous devons être.
Cela a été possible parce que nous reconnaissons l’autre, homme ou femme ou réalité différente, qui, en d’autres terres du Mexique et du monde, et sans être exactement comme nous, souffrent des mêmes douleurs, soutiennent des résistances semblables, luttent pour une identité multiple qui n’annule pas, qui n’asservisse pas, qui ne conquière pas, et qui aspirent à un monde sans armées.
Il y a dix-sept ans, le 1er janvier 1994, la guerre contre les peuples originaires du Mexique est devenue visible. En regardant la géographie nationale sur ce calendrier, nous nous souvenons :
Est-ce que ce n’était pas nous, les zapatistes, les violents ? Est-ce qu’on ne nous a pas accusés de vouloir scinder le territoire national ? Est-ce qu’on n’a pas dit que notre objectif était de détruire la paix sociale, de miner les institutions, de semer le chaos, de promouvoir la terreur et d’en finir avec le bien-être d’une nation libre, indépendante et souveraine ? N’a-t-on pas signalé à satiété que notre demande
de reconnaissance des droits et de la culture indigènes minait l’ordre social ?
Il y a dix-sept ans, le 12 janvier 1994, une mobilisation civile, sans appartenance politique définie, nous a demandé d’essayer le chemin du dialogue pour résoudre nos revendications. Nous, nous l’avons fait. À plusieurs reprises, malgré la guerre contre nous, nous avons persisté dans des initiatives pacifiques. Pendant des années, nous avons résisté à des attaques militaires, idéologiques et économiques, et à présent au silence sur ce qui se passe ici.
Dans les conditions les plus difficiles, non seulement nous ne nous sommes pas rendus, nous ne nous sommes pas vendus, nous n’avons pas failli, mais nous avons aussi construit de meilleures conditions de vie dans nos villages.
Au début de cette missive, j’ai dit que la guerre était une vieille connaissance des peuples originaires, des indigènes mexicains.
Plus de cinq cents ans après, plus de deux cents ans après, plus de cent ans après, et à présent avec cet autre mouvement qui réclame sa multiple identité communale, nous disons :
Nous sommes là.
Nous avons une identité.
Nous avons le sens de la communauté, parce que nous n’espérons ni aspirons à ce que viennent d’en haut les solutions dont nous avons besoin et que nous méritons.

Parce que nous n’assujettissons pas notre marche à qui regarde vers le haut.
Parce que, tout en maintenant l’indépendance de notre proposition, nous établissons une relation d’équité avec l’autre qui, comme nous, non seulement résiste, mais s’est aussi construit une identité propre qui lui donne une appartenance sociale, et qui représente également sa seule chance solide de survie au désastre.
Nous sommes peu, notre géographie est limitée, nous ne sommes personne.
Nous sommes des peuples originaires dispersés dans la géographie et le calendrier les plus distants.
Nous sommes autre chose.
Nous sommes peu et notre géographie est limitée.
Mais dans notre calendrier, ce n’est pas le désarroi qui commande.
Nous, nous n’avons que nous-mêmes.
Nous n’avons peut-être pas grand-chose, mais nous n’avons pas peur.
Bon, don Luis. Salut, et que la réflexion critique encourage de nouveaux pas.
Depuis les montagnes du Sud-Est mexicain,
sous-commandant insurgé Marcos.
Mexique, janvier-février 2011."
Source : Enlace Zapatista
Traduit par el Viejo
.

(Les phrases en gras sont mises en exergue par LeFlog.)

 

Parc ou parking ? La Mairie de Bordeaux choisit de couper les arbres.

La Place André Meunier, seul espace vert digne de ce nom dans le quartier de la Gare Saint-Jean. Quartier déjà doté de beaux parkings...  Et pourtant, voici venir les machines, qui coupent les arbres : "cinq ou six platanes" avait dit le maire-adjoint, Alain Moga, avant les élections... Comme vous le constatez en image, c'est un bel arbre japonais qui faisait aujourd'hui les frais d'un urbanisme désastreux  : "un arbre bicentenaire" se désolait tout  à l'heure une passante. Qu'il ait cinquante ans ou 200, son ombre majestueuse ne rafraichira plus personne.

Bien sûr, ici, on "concerte" la population... mais in fine, on gâte Eiffia et on dégoute les enfants. Enfin, ceux des quartiers populaires.

Journal de Jeûne "Fermons Fessenheim": mai-juin


Alors qu'à Bordeaux, en soutien aux Jeûneurs de Colmar qui demandent la fermeture de la centrale nucléaire la plus vieille de France et la sortie du nucléaire en dix ans, (selon le quotidien économique allemand Handelsblatt, l'Allemagne pourrait fermer sa dernière centrale nucléaire d'ici 10 ans). nous sommes dans notre quatrième semaine de jeûne (19 jours de jeûne à nous cinq). Après trois jeudis de jeûne, je passe la main, tout en restant plus que jamais mobilisée ! Dans les semaines à venir nous devrions continuer à quatre au moins  ou plus si des volontaires nous rejoignent ! L'idée de durer jusqu'au 18 juin jour de l'appel à la résistance contre le nucléaire.

Des nouvelles de nos amis au jour le jour.

Au 4 mai – Jeûne Fermons Fessenheim

Pierre A. est allé à Guebwiller au procès de quatre éleveurs bio qui ont refusé de faire vacciner leurs bêtes contre la fièvre catarrhale ovine. Il en a profité pour faire signer des pétitions.

Tout le monde a signé sauf un couple lié indirectement à l’industrie nucléaire.

 A Colmar la journée fut très riche en contacts et nous avons fait un “carton” avec les pétitions, le beau temps et la journée du mercredi ayant probablement contribués à ce beau résultat.

D’une façon générale les gens sont ouverts à notre démarche et beaucoup souhaitent de l’information sur le “comment sortir du nucléaire”.

Une faible minorité (< 5 % à 10 %) refuse de signer la pétition ou désapprouve notre démarche sur le fond ou sur la forme.

 

Le groupe a fait l’inventaire des réapprovisionnements divers à prévoir (maillots, brochures, réimpression de pétitions...).

 

Le compteur au 4 au soir est de 265 jours jeûnés.

Le groupe souhaite des nouvelles du groupe de Bordeaux ainsi que, le cas échéant, des autres groupes de jeûneurs.

Pour faciliter l’organisation, nous recommandons aux jeûneurs qui viennent au Champs de Mars de Colmar de ramener leur boisson chaude, l’eau étant disponible sur place.

 

 

Jeudi 5 mai. – Jeûne Fermons Fessenheim

Nous sommes nombreux ce matin pour présenter un stand animé au reporter d’Envoyé Spécial qui passe deux heures en notre compagnie pour des prises de vue et recueillir des témoignages.

 

Vendredi et samedi 6 et 7 mai. – Jeûne Fermons Fessenheim

Toujours un temps magnifique. Nous recevons des nouvelles de nos amis bordelais qui poursuivent leur jeûne tournant. Nous leur envoyons des cartes pétition à signer.

 

 

Dimanche 8 mai. – Jeûne Fermons Fessenheim

Nous montons le stand après le défilé du 8 mai.

Beaucoup de monde dans le parc, les enfants se baignent dans la fontaine face à nous. A partir de demain lundi 9 nous monterons le stand à 13 heures ; cela facilitera les roulements puisqu’il sera possible de travailler le matin.

Entre 12 et 13 heures nous rencontrons toujours les mêmes personnes travaillant dans les administrations environnantes ; elles nous connaissent après trois semaines.

Le mercredi 11, nous ferons exception en installant dès 9 heures 30 pour accueillir Eva Joly et d’autres élus européens.

 

Lundi 10 mai. – Jeûne Fermons Fessenheim

Temps changeant mais très chaud. Peu de monde de passage, ce qui nous incite à trouver d’autres formes d’action pour toucher un nouveau public. Venue d’un nouveau photographe allemand de l’agence de presse DAPD. Il reviendra le 11 pour la venue des élus européens.

Ce soir nous serons présents au forum anti-nucléaire organisé par la mairie d’Ungersheim.

 

Mardi 11 mai– Jeûne Fermons Fessenheim

Très bonne journée à tous points de vue

 

10h-11h : Visite-Conf. de presse d’élu(e)s :

Parlement UE : E.Joly, M.Rivasi, S.Bélier,Y.Jadot, K.Delli (EELV) ; C.Lepage (Cap21)

Elus régionaux : J.Fernique –secrétaire régional -,  A.Jund et N.Habermacher – les porte-parole 67/68 – H. Stoll – candidat aux primaires –, J.Muller ex sénateur -  pour les Verts  ;

A. Buchmann (MEI), etc.

JP. Lacoste ( TRAS : Coordination trinationale – France+Allemagne+Suisse ) rappelle ce soutien capital et excuse les Allemands, trop pris par leur actions et le moratoire.

 

Bonne répartition des prises de paroles :

JP. Frick réaffirme notre exigence de sortie avant 10 ans. 

Aucun élu ne reprend, mais tous focalisent sur des scénarios de sortie « viables »et « crédibles » et sur  le site-pilote de démantèlement à Fessenheim.

PR invite nos hôtes pour le 18 juin.

 

Après-midi : trois jeûneurs dont J. Muller (2e fois) et A. Hatz du CA de Stop Fessenheim

 

18-19h : réunion à six

-  « météos » ( ressentis ) très satisfaisantes –attention à la tension lors des temps « forts » !

- projets :  dimanche 15 :soutien d’artistes plasticiens sur place confirmé ( couronne de peuplier « brûlée » au chalumeau ,… )

 

16 mai : PR et MK vont à Breisach pour la Vigie-Silence des lundis soirs

 

18 juin : « Appel à la Résistance au Nucléaire »

à Colmar : communiqué de presse et programme à finaliser pour le 18 mai

à Strasbourg et Mulhouse : relance par les élus Verts présents

Vendredi 13 mai– Jeûne Fermons Fessenheim

9 jeûneurs

15 heures 30 : sous le chapiteau, A.Hatz etA. Duratti (Stop Fessenheim )- officialisent la signature d’un représentant des partis en Alsace : PS,Verts,Modem ; absence remarquée de l’UMP !...et des DNA ;

Plus de 350 signatures ( le double en quatre semaines de jeûne !)

Réunion 18h : un besoin important de retrouver l’ « esprit » de groupe des 21eres semaines pour l’interne et l’externe. Solution : n jeûneur du groupe de base présent dans un continu de 3-4 jours en relais ,avec chevauchement d’un jour ( ou mini la réunion du soir). Besoin également de structurer les trois « rôles » sur le stand : accueil/externe :passants, cartes-pétition / ambiance/interne : nouveaux, météos, échanges sur la suite,… /gestion/logistique,administr., …

NB :  droit à « jour de paresse » à tour de rôle ,si possible :loisirs, ateliers, autres

Samedi 14 mai– Jeûne Fermons Fessenheim

6 jeûneurs

Dimanche 15 mai– Jeûne Fermons Fessenheim

2 jeûneurs

Soutien de M. Lutz, artiste plasticienne ( DNA et L 4Alsace)

Elle « brûle » au chalumeau le haut d’un peuplier et le patine/ il représente une tour de refroidissement. Nous l’aidons à le découper en dix morceaux pour les dix ans de « sortie ».

Lundi 16 mai– Jeûne Fermons Fessenheim

Participation de cinq Français (Stop Fessenheim) en Allemagne (Breisach) à la Vigie des lundis soirs :accueil chaleureux (élu SPD du Land) ; interview et photos

Samedi 21 mai– Jeûne Fermons Fessenheim 

Champ de Mars : quatre jeunes !Allemands jeûnent avec nous et apportent les doc. Du Bund.

PR au 1er Cercle de Silence « d’Alsace » près de Strasbourg  devant le Centre de Rétention :prise de parole …et trois engagements de jeûne

Dimanche 22 mai– Jeûne Fermons Fessenheim

JPF a invité des vignerons à une « dégustation d’eaux minérales » : seulement 3 présents !

Suisse Lcentrale de Breznau (la plus vieille du monde à eau pressurisée (1969):

Cinq Français sont là parmi les 20 000 présents /police suisse !!! :pour Stop Fessenheim, le CSFR et les Jeûneurs . PR a droit à une minute sur le podium dans un programme de 3 heures : prises de paroles et intermèdes culturels . on est tous les cinq « scotchés » par la moyenne d’âge (40 ans) et par le professionnalisme des jeunes femmes qui organisent ! Bons contacts aussi avec Ph. De Rougemont.

Lundi 23 mai– Jeûne Fermons Fessenheim

2e passage d'une équipe de « Envoyé Spécial » ;révélation d’un dossier « interne d’EDF qui dévoile leur « bricolage » lors de révisions : « Nous faisons en sorte que les résultats soient satisfaisants » !!! Le « fond »(philosophie » de notre action est-enfin ! –abordé. Emission prévue pour septembre ? (c’est loin , mais ça nous relancera, si on a –encore –besoin d’être là !)

Le soir, à Mullheim, CZ - pour Stop et les Jeûneurs – prépare la Chaîne humaine du 26 juin autour de Fessenheim.

Mardi 24 mai– Jeûne Fermons Fessenheim

Calme plat : c’est cool ! Depuis deux semaines nous ne commençons qu’à 13 heures (-18H)

pour nous ménager et permettre à Pierre A. ( Faucheur solitaire – en procès- à l’INRA) qui assure la logistique tous les jours depuis le 18 avril !!!  de déjeuner tranquillement chez lui.

Annonces : les 26 et 27.05 : 2 soirées « conf.-débat »  à Colmar : « les Rebelles de la Forêt Noire » sur l’indépendance énergétique de la Commune de Schonau (Bade)

Samedi 28 mai– Jeûne Fermons Fessenheim

Prises de paroles à Freiburg lors de la manif (dans 20 villes allemandes liée au Moratoire de 3 mois pour 8 centrales allemandes).

Pour demain le Communiqué annonçant le grand Rassemblement du 18 juin 2011 : à Colmar et……ailleurs là où vous l’organisez !(cf le réseau SDN)

« Résistons, mobilisons-nous et Sortons du Nucléaire ! »

Jeudi 2 juin– Jeûne Fermons Fessenheim

Stand à la Foire éco-bio

Bilan positif : 2 800 signatures en 5 jours ;très bonne place – à l’entrée - ; »Rétable de Fessenheim avec des dessins de Plantu et de dessinateurs régionaux (R.Bickel,…)et des signatures d’élu(e)s

Sauf l’exception –attendue – du député UMP du coin !!! Bonne intervention de JP Frick à l’inauguration

1er jour de jeûne pour la Suisse ! Nathalie Desarcens du « Jura »

Conférence de presse (JP Frick,PR, avec M.Wintz (Alsace Nature) et S.Kerckhove (Agir pour l’Environnement)

Mercredi 8 mai– Jeûne Fermons Fessenheim

3 membres de l’Ass. Qualité de Vie des 3 Frontières (F.D.CH.°) sont des nôtres

On prépare le 11.06 : Solidarité / Japon avec les 2 Ass. (Stop F. et le CSFR) : défilé en ville et « cérémonie » sur le Stand (14-15h)

APPEL 18 JUIN 2011 :  RESISTANCES

FERMONS FESSENHEIM ET SORTONS DU NUCLEAIRE

 

Cher(e)s concitoyen(ne)s, ami(e)s, camarades de luttes,

le 18 juin 2011, à Strasbourg, les politiciens seront en « Chantiers » (cf DNA 5.06.2011) … électoraux !!!

à Colmar, le Collectif des JEÛNEUR(SE)S  VOUS INVITE :

- les jeunes « indignés » par leur chômage et leurs exclusions

- les citoyens mobilisés pour un AVENIR meilleur

SANS NUCLEAIRE NI « SECURITAIRE » NI POUVOIR AUTORITAIRE

Depuis le 18 avril déjà plus de 100 jeûneur(se)s et près de 500 jours de jeûne au « COMPTEUR » pour « fermer Fessenheim et sortir du nucléaire » avec le slogan « Ni Tchernôbale  Ni Fukus’heim  Bottons les Fesses à Fessenheim ! » et  aux « nucléocrates ».

SOUTENEZ – NOUS ! en nous appelant, écrivant, …finançant,…

REJOIGNEZ – NOUS le 18 juin au Champ de Mars à Colmar (11h – 21h ) : exposés-débats

(scénarios de « sorties » ; sens, buts et efficacité du jeûne … et des autres « actions », …)

fête « ouverte », invitation à un « 1er JOUR DE JEÛNE » collectif ( 24h avec eaux et tisanes )

 ENSEMBLE, MOBILISONS – NOUS POUR UN AUTRE « VIVRE – ENSEMBLE »

 Pour le Collectif des Jeûner(se)s à Colmar, le 6.06.2011,  Pierre Rosenzweig

 Contacts : - mail jeuneurs.sortonsdunucleaire@gmail.com

- tél. collectif   0644228152

 

 


"A la mémoire de Rémy Louvradoux", texte inédit, écrit par un salarié de France Telecom


Une trace de fumée noire sur un mur blafard.

 

Dans la banlieue de Bordeaux, à Mérignac, le long d’une avenue qui ne ressemble pas à grand-chose, au milieu d’une zone semi-industrielle et résidentielle, un homme a laissé cette dernière trace de lui-même sur un mur. Au petit matin de reprise d’un week-end pascal où certains hommes sacrifient un agneau à leur dieu, Rémy Louvradoux s’est-il sacrifié au dieu de l’économie moderne? Cette économie, qui de crise financière en crise tout court, de mode de management en méthode d’organisation de travail, écrase encore et toujours nombres d’hommes et de femmes travaillant pour survivre à ce début de vingt et unième siècle.

 

Rémy Louvradoux ne s’est pas raté, comme on dit... Contre ce mur il a livré son dernier combat. D’une violence inouïe, contre lui-même et pour nous les survivants. Mais un combat héroïque et qu’il a voulu sans issue. Qui aura aperçu au petit matin du 26 avril 2011 cet homme s’asperger d’essence et s’immoler sur ce parking quelconque, au pied de cet immeuble typique de France Telecom à l’architecture dure et fermée. Peut-être des gens passant en voiture ou à vélo sur l’avenue ont-ils vu quelque chose brûler à quelques dizaines de mètres de la clôture de la forteresse de l’entreprise. Peut-être pas. Rémy Louvradoux avait choisi son heure. Il n’était pas « secourable ». Le monde n’aura pas droit à l’image de son corps en flammes. Il aura juste laissé cette trace de fumée noire.

 

« Tous ne mourraient pas mais tous étaient touchés » :

- ceux qui l’ont découvert, ses collègues, ceux qui travaillent dans ce bâtiment, ceux aussi qui l’ont probablement harcelé et broyé, ici ou ailleurs,

- les membres de sa famille, sa femme, ses enfants, ses proches, tous ceux aussi qui ne le connaissaient pas à France Telecom mais qui sont submergés par son geste,

- enfin tous les autres, la femme et l’homme de la rue qui se demandent comment un homme peut en arriver là, dans nos démocraties flétries, molles, léthargiques.

 

 

Le lieu qu’il a choisi est étonnant voire « incroyable » et ajoute une dimension irréelle à son geste. On ne touche presque plus terre quand on s’approche des quelques mètres carrés où il a patiemment brûlé de tout son corps et de toute son âme. Et lorsqu’on repart, après un moment de recueillement halluciné, les tempes brûlent et le cœur vacille, sans qu’on le veuille. Ici, cet homme n’a pas fait semblant. Son dernier cri, silencieux, résonne partout autour.

 

Rémy Louvradoux est venu brûler ici sa révolte contre un système qui désoriente et accable tant de ses confrères. Quand on lit la lettre qu’il avait écrite à la direction de l’entreprise en septembre 2009, on a le sentiment qu’il portait en lui une part de la souffrance endurée par ses pairs. Rémy Louvradoux n’était pas un individualiste forcené semble-t-il et la compassion le guidait. Il semblait aussi particulièrement inquiet à l’idée que la violence retournée vers eux-mêmes par tous les suicidés de France Telecom ne se retourne un jour plutôt vers les « harceleurs ». Son geste symbolise peut-être ce combat ultime d’un homme qui accepte encore une fois de retourner contre lui-même la violence infligée.

 

Dans d’autres circonstances, il y aurait un périmètre de sécurité permanent autour du lieu où il a rendu son dernier souffle. Mais passée la vague médiatique du premier jour, il est possible dès le lendemain de s’approcher, en montrant une carte professionnelle… de ce lieu où un salarié inconnu du plus grand nombre nous a livré un message d’une force rare.  

 

A l’heure où le soleil est proche de son zénith, la cabine de l’ascenseur qui descend et remonte le long de la façade du bâtiment projette une ombre légère à l‘emplacement où Rémy s’est donné la mort. Comme l’âme emportée de cet homme… A-t-il choisi ce lieu à dessein? Cette structure d’ascenseur extérieur et de terrasse évoque une immense croix sur la façade du bâtiment. La spiritualité ne lui était peut-être plus d’aucun secours. Un trou d’aération dans le mur - comme l’entrée d’un tombeau - quelques toiles d’araignée poussiéreuses, un peu de terre grisâtre et sans vie, quelques restes de matière calcinée indescriptible et un bout de pelouse salie complètent le tableau. Rémy Louvradoux ne nous a laissé que le troisième volet d’un triptyque résolument sombre et moderne. Manquent les derniers instants suspendus de sa vie et le passage à l’acte. En fermant les yeux, on sent l’odeur d’essence qui flotte encore discrètement dans l’air. Qu’avons-nous fait de l’humain dans cette entreprise?

 

Les hommes écriront peut-être sur ce suicide. Tant mieux. N’oublions pas Rémy Louvradoux. On pourrait peindre ou filmer ce lieu aussi. Parce qu’il nous a laissé une image et un lieu qui évoquent des morceaux de bravoure de l’art humaniste, de celui qui met vraiment l’humain au cœur de l’œuvre, fusse-t-elle aussi radicale. A quelque pas de ce mur, derrière une rangée de grands arbres ployant doucement sous la brise d’avril, on aperçoit des jeunes enfants jouant dans les jardins. Une ode à la vie, malgré la proximité du carnage d’un homme par lui-même. Comment est-ce possible que cet homme ait décidé de venir conclure sa destinée dans ce lieu et de telle manière?

 

Pour notre travail de mémoire à tous, la société à qui appartient ce mur devrait interdire de « nettoyer » la trace laissée par Rémy Louvradoux. Que cette société s’appelle France Telecom ou autrement. Au contraire, il faudrait protéger ce mur, protéger cette trace noirâtre, autoriser aussi chacun à venir visiter ce lieu. Ce lieu anodin devenu la « tombe d’un salarié inconnu »? Victime parmi les victimes d’une guerre économique en temps de paix, victime du management moderne, victime d’un modèle de société qui sombre. Ce lieu est devenu universel. Il nous appartient désormais.

 

Le geste de Rémy Louvradoux est entré dans notre mémoire collective ce matin du 26 avril 2011. Il n’est pas le premier suicidé d’une entreprise qui a si douloureusement muté depuis une vingtaine d’années. Mais son geste est probablement l’un des plus forts qui puissent secouer le monde de l’entreprise moderne. En temps de paix et en « démocratie », un homme a fait sien le geste ultime des immolés célèbres des épisodes les plus meurtriers des guerres, invasions et dictatures des décennies passées, de la Tchécoslovaquie de 1968 à la Tunisie de 2010. Sa dernière trace de fumée noire est entrée dans l’Histoire.

 

Par son geste démesuré, Rémy Louvradoux nous parle et nous laisse un message. A chacun de nous de l’entendre, en conscience. La colère et la tristesse des proches et des moins proches sera probablement immense. Il faut pardonner à cet homme la violence de son désespoir. Cet homme, il faut aussi le remercier. Il nous a demandé dans un dernier souffle de « changer » ce monde qui ne tourne pas rond. A la mémoire de Rémy Louvradoux, héros et martyr du monde du travail moderne.

Journal de Jeûne "Fermons Fessenheim", avril...

Voici le journal tenu jour après jour par nos amis qui jeûnent pour la fermeture de la centrale nucléaire doyenne dans nos vallées : Fessenheim.

Lundi 18 avril 2011 - Jeûne Fermons Fessenheim

Premier jour du jeûne à durée indéterminée (fermons Fessenheim) à Colmar, devant la préfecture.

Le ciel est avec nous: journée ensoleillée, température comme à Bordeaux, 20°. A peine arrivés, nous sommes accueillis par la police nationale, aussi nombreuse que nous. Mais nous tenons bon et gardons notre petit chapiteau, comme prévu. A 11 heures, nous sommes cinquante pour la conférence de presse: une dizaine de médias, trois télés, dont une allemande, beaucoup de caméras et de micros. Nous faisons quatre interventions et donnons la parole aux associations et aux partis politiques qui sont venus nous soutenir.

A notre grande joie, il y a plusieurs passants, peu, qui manifestent leur sympathie et quelques autres vont spontanément jeûner avec nous. Sur notre compteur de jours de jeûne, ça va faire bien grossir le chiffre, en même temps que nous maigrissons.

Quelques "chiffres d'affaires": 56 jours de jeûne au compteur, 0 bouteilles de bière, 20 bouteilles d'eau minérale offertes par la source Celtic, 5 thermos de tisane, 1 coeur brisé, 16 situations rigolotes, 5 dormeurs et 2 dormeuses sur place, grâce aux locaux prêtés par l'association Espoir et Marc, notre voisin.

 Vous pouvez venir sur place au champs de Mars, entre 10h et 18h.

Nous avons au moins dix places pour répondre aux nombreuses demandes d'hébergement venues des quatre coins de France.

Vous pouvez:

–envoyer vos jours de jeûne, que vous faites chez vous, à l'adresse mail.

–nous offrir des places d'hébergement chez vous

–recevoir et envoyer des informations: bilan journalier par exemple.

 

Demain, nous serons peut-être mieux reçus à la préfecture qu'aujourd'hui. Y aura-t-il café et croissants chauds?

 

Mercredi 20 avril 2011 – Jeûne Fermons Fessenheim

 

Météo encore meilleure, ciel bleu, cœurs chauds, 10 jeûneurs (euses).

Aujourd’hui, c’est notre journée créative : nous créons de multiples affiches ; celle du «Tour de France de la Sortie   Du Nucléaire » semble plaire le plus aux passants.

La femme donne la vie et le nucléaire la détruit ; cette formule a inspiré une jeûneuse qui « s’en est fait un dessin ».

En plein atelier de peinture de nos T-shirts, une télé allemande des images multicolores.

Dans le dialogue large avec le public, nous rencontrons aussi quelques personnes difficiles à gérer.

Grâce à un sympathique médecin, nous avons droit à un contrôle de la tension et du pouls renouvelé régulièrement.

Pour demain, le groupe décide d’élargir son champ d’action : nous allons distribuer les tracts (lettre au Président) à la gare de Colmar, pour approvisionner les voyageurs de

Pâques en « Bonne Lecture ».

Comme parmi nous certains vont partir « chercher les œufs de Pâques », il faudrait du monde pour les remplacer.

Venez donc nous rejoindre, avant que nous soyons assoiffés !

Nous arrivons à comptabiliser 90 jours de jeûne : bon début.

Qui continue avec nous ?

 

Jeudi 21 avril - Jeûne Fermons Fessenheim

Du lundi au jeudi après-midi, nous avons distribuer des brochures d’informations concernant la sortie du nucléaire et des copies de la lettre au Président de la République , aux visiteurs et passants. Pour ceux qui voulaient signer nous n’avions que le cahier de témoignages.

Dans l’après-midi, nous avons réceptionné les cartes postales destinées au Président de la République et au Président de la Région Alsace. Ces premières cartes servent à l’opération contact prévue à la gare ou se rendirent quatre d’entre nous, qui récoltèrent les premières adresses et signatures.

 

Vendredi 22 avril Jeûne Fermons Fessenheim

Toujours du beau temps chaud et ensoleillé. Montage de notre petit chapiteau dès neuf heures pour la télévision du parlement européen qui ne pouvait venir plus tard. A quinze heures, visite de trois élus régionaux en présence de F.R.3 et d’un journaliste de l’Alsace.

Puis, visite d’un journaliste Suisse qui fera un article. Les jeuneurs vont bien mais Rémi, qui avait des problèmes d’estomac avant le jeune arrête ce soir, après cinq jours de maux d’estomac ; merci pour son courage et sa présence.

 

Samedi 23 avril Jeûne Fermons Fessenheim

Toujours soleil et chaleur.

Visite d’Axel Mayer, directeur du B.U.N.D. (fédération des associations de protection de la nature du pays de Bade) Visite de Jean-Paul Lacote d’Alsace Nature et membre de la C.L .I.S.

Fessenheim. Il va contacter des élus allemands pour qu’ils nous rendent visite. Cela nous permettra de faire venir les médias. Visite du curé Klotz qui parlera des jeuneurs lors de ses homélies. Visite, également, de Madame la Pasteur de St Mathieu de Colmar.

Nos cartes pour Sarkozy et Richert sont appréciées et signées notamment lors de l’opération contact, à partir de quinze heures, dans le centre piéton du vieux Colmar.

 

Dimanche de Pâques, 24 avril   : Jeûne Fermons Fessenheim

La pluie fine de ce matin s’arrête à dix heures piles pour nous permettre Dès dix heures et quart nous sommes deux personnes devant la Collégiale Les derniers sont entrés à l’église, nous allons boire une tisane et de l’office. Les femmes sont clairement plus ouvertes à la sortie du Grande joie d’accueillir Laurette venue en direct d’Essonne pour forces vives !

 

Lundi 25 avril : Jeûne Fermons Fessenheim

Nous sommes sur place dès neuf heures pour que la télévision ARTE interview. Le message doit tenir en vingt secondes !

Pierre Rosenzweig se déplace à Strasbourg à la manifestation pour rassemblement du dix huit juin : RESISTANCE AU NUCLEAIRE. L’appel verts et une invitation personnelle est faite à Nicolas Hulot. Michel Gueroult fait de même sur le pont à Breisach.

 

Mardi 26 avril : Jeûne Fermons Fessenheim

Nous lisons le bel article paru dans Sud-ouest suite à la conférence Bordeaux. Merci pour votre engagement.

Depuis hier, Robert Sittler nous a rejoints pour expliquer aux passants différents éléments radioactifs.

Il fait plus frais, mais la collecte de signatures se poursuit activement.

Le moral est excellent ; les nouveaux arrivants pour un jour de jeûne, travail inlassable de notre intendant général Pierre Azelvandre.

Mercredi 27 avril 2011 – Jeûne Fermons Fessenheim

Inge a déjà jeûné cinq jours d’affilés, elle revient aujourd’hui avec Coralie qui jeûnera avec nous.

France 3 télévision nous à rejoint à onze heures pour un petit reportage expliquant le jeûne. Radio Regenbogen prend de nos nouvelles et annoncera nos mille cartes signées. Après la rentrée scolaire, vers la mi-septembre, l’ensemble des cartes sera remis au Président du Conseil Régional en présence de la presse pour rappeler, après les vacances, la nécessité de sortir du nucléaire.

Le docteur Jean Zandonella vient prendre la tension de ceux qui jeûnent depuis le dix-huit. Il vérifie que nos cœurs battent au bon rythme ; il confirme que nous sommes à l’unisson avec la météo magnifique.

 

Jeudi 28 avril 2011 – Jeûne Fermons Fessenheim

Anne et Laura jeûnent aujourd’hui ; elles collectent des cartes signées en ville. R D L : Radio Dreyeckland Libre vient faire une prise de son pour diffusion le soir.

Nous constatons l’efficacité des grandes cartes de France nucléaires accrochées aux arbres le long des allées alentour de notre chapiteau. Les promeneurs s’arrêtent, regardent, parlent ensemble et pour certains viennent signer les cartes.

 

Vendredi 29 avril 2011 – Jeûne Fermons Fessenheim

La centrale atomique de Fessenheim fait une conférence de presse, au sortir de laquelle, la radio et la télévision allemande SWR nous rendent visite ainsi qu’une journaliste de Challenges.

Le moral est bon mais le ciel est couvert et par moment nous n’avons pas chaud. Couvrons-nous !

Marie-France vient jeûner deux jours. Jacques Muller, Maire vert de Wattwiller, Sénateur vert jusqu’en décembre dernier, jeûne une journée avec nous à Colmar et accorde un long entretien à un journaliste de l’Alsace.

 

Samedi 30 avril 2011 – Jeûne Fermons Fessenheim

Nous sommes dix en fin de journée autour de nos thés et tisanes au buffet de la gare pour la réunion-bilan de fin de journée. A l’unanimité, la journée est riche mais fatigante.

Six personnes couvrent le marché Saint-Joseph dès neuf heures. Ils constatent que les lèves tôt (les premiers au marché) sont les plus réactionnaires : au fil de la matinée le public devient plus jeune et plus ouvert.

Dominique et Adrien vont en ville revêtus (tout comme l’équipe au marché) des t-shirt « Stop Fessenheim  Sortons du nucléaire ». Des passants les rejoignent spontanément pour signer, d’autres les insultent. Il y a encore du travail.

Le 30 avril et le premier mai se déroule juste à côté de nous une fête « des rues » intitulée « les gens d’ici et d’ailleurs ». Beaucoup de gens viennent au stand. En totalisant le marché, le tour de ville et le stand ce sont, approximativement, quatre cent cartes signés et collectées à ce jour.


Jeudi Je Jeûne


Bordeaux, le 21 avril 2011

 

En solidarité avec les jeûneurs de Colmar, qui ont entamé un jeûne à durée indéterminée le lundi 18 avril 2011 et demandent l'arrêt de la centrale de Fessenheim ainsi qu'un programme de sortie du nucléaire en France (voir leur appel ci-dessous) :

 

Un groupe de citoyens girondins participe à cette action depuis le 18 avril 2011, sous forme d'un jeûne tournant à durée indéterminée, en se relayant individuellement chaque jour sur leur lieu de vie ou de travail pour protester contre l'aberration nucléaire.

 

Étant donné le contexte de l'industrie nucléaire en France aujourd'hui, le jeûne nous parait un moyen d'action approprié pour interpeller le monde politique et la société civile, dans le respect des principes de la non violence.

 

Nous jeûnons pour demander la fermeture de la centrale de Fessenheim.

 

La centrale nucléaire de Fessenheim, comme celle de Fukushima, est une vieille centrale, implantée en zone sismique et inondable. Elle menace les régions et populations environnantes en France, en Allemagne, en Suisse et au-delà.

 

Notre jeûne est aussi un acte de solidarité en conscience :

avec les populations japonaises qui endurent à nouveau le cauchemar nucléaire en ce printemps 2011,

avec les innombrables victimes de l'accident de Tchernobyl de 1986,

avec ceux qui luttent contre l'implantation de nouvelles centrales nucléaires partout dans le monde.

 

Nous rappelons à tous les Girondins et à nos autres concitoyens que nous avons frôlé nous aussi le cauchemar nucléaire lors de la tempête de 1999, lorsque des réacteurs de la centrale nucléaire de Blaye ont dû être arrêtés en urgence. La région de Bordeaux aurait pu être rayée de la carte, comme la région de Fukushima est actuellement en train d'être anéantie sous nos yeux.

 

Le nucléaire n'a pas d'avenir. Il nous prend en otage. Il prend en otage les générations futures. Le nucléaire est porteur d'une violence potentielle inouïe à l'égard de toute forme de vie. De nombreux pays n'ont jamais fait le choix du nucléaire. Ils sont rejoints aujourd'hui par d'autres, qui entament des programmes de sortie du nucléaire.

 

Nous tiendrons une conférence de presse au cinéma Utopia, place Camille Jullian à Bordeaux, dans la salle de la Cheminée, le Samedi 23 avril à 10h30, suivie d'un rencontre avec le public jusqu'à 12h30.

 

Les jeûneurs de Bordeaux

Dominique Bohn, Edileuza Gallet, Jean Pierre Garbisu, Gilbert Haumont, Florence Louis
             

 

             

Ci-dessous l'appel de Colmar : 

Colmar, le 13 avril 2011     

Monsieur le Président de la République,

Madame et Messieurs les ministres,

                        Après la catastrophe de Tchernobyl circulaient des calculs de probabilités niant une deuxième catastrophe de cette ampleur à un horizon de moins de 100 000 ans. 25 années plus tard le pire se reproduit au Japon, pays de haute technologie et de grande densité humaine. 25 ans pendant lesquels aucune solution satisfaisante n’a été trouvée pour les déchets radioactifs. Le stockage en couches profondes, dites stables (pour au moins 10 000 ans au dire des autorités Allemandes) est déjà un fiasco sur leur site d’Asse.

 

                       Avec la consommation actuelle, l’uranium sera épuisé dans 50 ans. Le nucléaire n’a pas d’avenir, il pourrit l’avenir des générations futures.

 

                        Ni Tepco ni le gouvernement japonais ne sont en mesure d’assumer et  encore moins de réparer les effets de la catastrophe nucléaire. Le gouvernement et l’exploitant français seraient tout aussi impuissants. Il faut faire le choix de la responsabilité : l’abandon du nucléaire au plus vite.

 

                         La production mondiale d’électricité nucléaire représente au mieux 3 % de l’énergie primaire consommée. Loin de remédier à l’effet de serre, le nucléaire en tous lieux affaiblit la Terre et les Humains et réduit nos capacités à relever le défi climatique. Une même somme investie dans les énergies renouvelables produit deux fois plus d’électricité et d’emplois, sans conséquences mortifères.

 

                          Monsieur le Président de la République, Madame et Messieurs les Ministres vous ne pouvez plus ignorer les risques irréparables liés au nucléaire, ni l’injustice profonde du legs aux générations futures. Vous avez la charge de l’intérêt général des Français au-delà des intérêts des lobbies.

 

                           Un collectif de citoyens commencera un jeûne de durée indéterminée à partir du 18 Avril devant la Préfecture de Colmar pour vous demander de promulguer une loi de sortie du nucléaire  en moins de 10 ans. Nous demandons que cette loi soit assortie d’une mesure tangible immédiate : l’arrêt  de la plus vieille centrale de 900 mégawatt de France, celle de Fessenheim. Située en zone sismique avérée et en contre bas du Grand canal d’Alsace, elle menace autant nos voisins Allemands que nous même.

                            Sortir complètement du nucléaire en moins de 10 ans est possible :

-        En arrêtant l’exportation d’électricité ; c’est le moment, les pays voisins le comprennent mieux que jamais.

-        En cessant de démanteler les centrales thermiques et en les modernisant avec des lits circulants fluidisés, technique qu’exporte EDF.

-        En organisant un chantier national d’isolation des logements sociaux.

-        En arrêtant la promotion du chauffage électrique.

-        En reconnaissant que l’autoconsommation de la filière nucléaire représente la production de 5 à 6 réacteurs.

 

                                Monsieur le Président de la République, Madame, Messieurs les ministres l’accident nucléaire majeur peut arriver en France à tout moment, nous jeûnons pour vous aider à prendre pleinement vos responsabilités, veuillez agréer nos salutations citoyennes.

 

Les jeûneurs de Colmar.

Jean-Pierre Frick, Margot Blondeel, Pierre Rosenzweig, Inge Bertsch et tous les participants.

Dans la presse, sur le mouvement à Bordeaux.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Enfin, une loi contre le mercantilisme des corps

Une loi : pas n'importe laquelle. Celle-ci change la donne : ce n'est plus la prostituée qui est condamnée, mais son client. Car le corps des femmes - des hommes, des enfants, des trans, bref le corps humain n'est pas une marchandise. Un jouet auquel les hommes auraient droit.

Sous prétexte que certaines prostituées revendiquent leur liberté ? Réponse de Rose Dufour, anthropologue, qui a travaillé au sein du Projet Intervention Prostitution Québec dont la mission est de venir en aide (pour, par, avec) aux filles et aux garçons en lien avec la dynamique prostitutionnelle :

On ne rêve pas de devenir prostituée (1), on le devient par un chemin personnel qui implique toujours les plans familial et social. Considérés dans une perspective de mise à jour des processus, les récits de ces 20 femmes montrent l’existence d’une synergie complexe entre les plans personnel, familial et social. Selon le cas, un poids différentiel apparaît tantôt sur l’un ou l’autre plan.

Dix-sept filles sur vingt (85%) ont eu à affronter un rapport au sexe alors qu’elles étaient encore enfants et non pubères par des abus sexuels, le plus souvent incestueux, répétitifs, plus généralement dans la famille ou dans le voisinage immédiat, et/ou par des abus de rue (5). Les trois autres filles (15%) qui n’ont pas été sexuellement abusées ont eu  à affronter un rapport au sexe comme une alternative à la pauvreté.

Cette étude montre que la clé des systèmes sociaux producteurs de la prostitution se trouve d’abord dans l’abus sexuel, dans le lien étroit entre les abus de ces petites filles sexuellement abusées alors qu’elles n’étaient que des enfants, même pas pubères, et leur abuseur.

En conséquence accepter la prostitution équivaut à accepter la kleptomanie, revendiquée comme un besoin "normal", par les kleptomanes !

Sous prétexte qu'il y a des clients, il faudrait accepter que La France compte entre 15 000 et 18 000 "travailleurs du sexe". En 2003, les deux-tiers de cette population était étrangère. Bien qu’elle ne dépasse pas en proportion celle des "filles de l’Est", le tiers de ces personnes était originaire d’Afrique sub-saharienne, selon l’Office central pour la répression du trafic des êtres humains (OCRTEH). Ces chiffres,n’ont cessé d’augmenter depuis 2000. ( voir l'interview du Commissaire de l'OCRTEH dans l'article De plus en plus de prostituées africaines en France").

Sous prétexte que les clients iront en Espagne ? C'était déjà l'argument pour réouvrir les sordides maisons closes. Que la France suive la Suède, la Norvège ou l'Islande ne peut qu'avoir un effet positif, en Europe, et tout simplement localement.

Sous prétexte d'une libido masculine "incontrôlable", les clients frustrés risqueraient de s'attaquer aux autres femmes, de multiplier les viols : est-ce une raison pour sacrifier une partie de la population féminine (et bien sûr la plus défavorisée) ? Qui accepterait que sa fille, que sa sœur soit ainsi mise sur le trottoir pour protéger les autres ?

De plus considérer ainsi la sexualité masculine est dégradant. Les hommes ne sont pas des bêtes incapables de maîtriser leurs pulsions. Encore faut-il que la société leur permette de se représenter la sexualité, l'autre, sous un jour, plus lumineux. La loi proposée peut justement la replacer dans des limites nécessaires : celle de la joie, de la rencontre, sans intermédiaire.

NB novembre 2011 : voir l'excellente étude écossaise publiée par prostitutionetsociete.fr.


La Côte d'Ivoire sombre dans l'oubli

La situation n'est en rien manichéenne. Deux hommes, un trône, la démocratie représentative et tous ses défauts, un système de corruption bien rodé ("Monsieur Gbagbo a donné aux sociétés françaises un cadeau royal : le port à Bolloré, le pétrole à Total, l’eau à Bouygues" avait rappelé en janvier Vergès sur France info), un peuple exsangue. Hervé Toutain, journaliste revenant d'Abidjan décrivait ce matin dans Cultures monde sur France Culture une ville dans un état catastrophique :  troc généralisé, crise d'approvisionnement en essence et en alimentation, fuite des populations, fermeture des hôpitaux et des écoles, un très grand nombre d'armes, politique de terreur systématique à Abobo (1,2 million d'habitants dont 300 000 en fuite), couvre-feu "virtuel" en raison des barrages montés par les (très) jeunes patriotes qui ont été armés par Gbagbo et "qui font régner leur loi"...

Abobo où il ne reste plus que des femmes. Ce sont elles qui doivent gérer les tirs de roquette qui tombent dans les cours et les enfants qu'il faut bien nourrir.

La Côte d'Ivoire n'est pas sortie du chaos qui la ronge depuis plus de dix ans. La guerre civile gagne et l'ONU tarde à s'y intéresser : bien sûr nous n'avons pas affaire à un Khadafi qui écrase son peuple. Ici c'est la pourriture du régime, les "habitudes" prises par une Afrique sub-sahariennes martyrisée (enfants soldats, exils de populations entières...) qui refont surface. C'est justement parce que la solution n'est pas donnée qu'il faut la chercher. Le silence qui entoure l'enfoncement de la côte d'ivoire dans le chaos est à la fois déchirant et indécent. Le souhait que vient d'exprimer Sarkozy d'un renforcement de l'Onuci aura, espérons-le, l'avantage de ramener le drame ivoirien au cœur des préoccupations.

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