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Politique

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Lanceurs d'alerte : héros, déviants ou sentinelles de la démocratie ?

SOMMAIRE

 Introduction : Danièle Henky & Nadine Willmann Lanceurs d’alerte entre héroïsme et déviance

 I. les lanceurs d’alerte en action : hérauts de la vérité ou voix dans le désert ? 

Olivier Hanse Robert Jungk, lanceur d’alerte anti-nucléaire, défenseur précoce des whistleblowers (1970 -1980)

 Anne-Marie Pailhès Rudolf Bahro, une figure du lanceur d’alerte ? 

Nadine Willmann Deux lanceuses d’alerte dans le domaine médical en Allemagne : héroïsme ou trahison ? 

II. représentations fictionnelles d’ un personnage paradoxal

Elena Di Pede Les prophètes bibliques, des « lanceurs d’alerte » avant la lettre ? 

Danièle Henky Représenter le lanceur d’alerte en littérature de jeunesse : un nouvel avatar du héros ?

Isabelle Rachel Casta Paranoïa, dissociation et schizophrénie : Faut-il être fou pour être lanceur d’alerte ?

III. cadrage de la déviance et limites de l’alerte 

Jacqueline Bouton Le lanceur d’alerte, nouvelle génération. 

Jules Samson Nyobe Le lanceur d’alerte, nouvelle figure du panoptisme ? 

Edouard Schalchli & Florence Louis Vraies alertes, fausse parole

Conclusion Jean Jauniaux La quatrième chaise Bibliographie

bondecommande

L'industrie du complotisme, rencontre à Bordeaux avec Mathieu Amiech

"Ce livre est marqué par l’expérience de la gestion techno-autoritaire du Covid-19, durant laquelle toute contestation de la version officielle des événements était disqualifiée comme complotiste. L’auteur considère à la fois que la diffusion de théories complotistes et réductrices dans la population est une réalité et un problème ; et que l’anti-complotisme est une stratégie de neutralisation du débat public par les dirigeants et une grande partie de la presse. Le complotisme est un résultat direct de la perte de contact avec la réalité induite par la numérisation de nos vies quotidiennes, l’addiction du plus grand nombre aux réseaux sociaux, etc. Il est aussi alimenté par le nihilisme des oligarchies (industrielle, politique, médiatique…), qui assument de plus en plus l’appauvrissement des populations et la destruction de la vie sur terre, pour maintenir «quoi qu’il en coûte » le système économique en place. Ce n’est pas une raison pour approuver la tournure d’esprit complotiste. Mais c’est une bonne raison d’affronter les questions que le complotisme soulève, afin de les réinscrire dans une perspective de lutte pour la liberté et la justice sociale."

Rencontre avec l'auteur le dimanche 8 octobre à 17h30, suivie d'une auberge espagnole à 19h30 salle de la cheminée à l'Utopia. Entrez, libres !

Han pasado, par Edouard Schaelchli et Florence Louis

Réflexions sur l’orien

Réflexions sur l’orientation fasciste de la société techno-libérale de croissance

Le chef naît quand le fascisme est devenu nécessaire. Mussolini paraît lorsque les temps sont révolus et si ce n'était pas Mussolini, n'importe quel général ou industriel emporterait l'affaire. Le chef ne vient au monde que parce que la mentalité générale du public exige ce chef, réclame ce héros dans lequel elle veut s'incarner. Le fascisme n'est pas une création du chef mais le chef une création de la mentalité préfasciste. Le chef est là en somme pour concrétiser des aspirations parfois encore inconnues de la foule - et c'est ce qu'il faudra comprendre lorsque je parlerai de la démagogie du fascisme. Il n'est pas question d'un homme qui veut un monde de telle façon et sur telle mesure - mais d'un homme qui s'applique à réunir en lui tous les lieux communs que la foule accepte, qui catalogue toutes les vertus que le public demande et qui, par là, prend un pouvoir, un ascendant sur lui. Un état d'esprit commun antérieur au fascisme est une condition sine qua non du fascisme. Jacques Ellul, 1937

La raison ne demande pas, n’accepte pas l’obéissance. On ne commande pas au nom de la raison comme on commande à la manœuvre. Il n’y a aucune armée de la raison, aucuns soldats de la raison, et surtout il n’y a aucuns chefs de la raison. Il n’y a même, à parler proprement, aucune guerre de la raison, aucune campagne, aucune expédition. La raison ne fait pas la guerre à la déraison. Elle réduit tant qu’elle peut la déraison par des moyens qui ne sont pas les moyens de la guerre, puisqu’ils sont les moyens de la raison. La raison ne donne pas des assauts ; elle ne forme pas des colonnes d’attaque ; elle n’enlève pas des positions ; elle ne force pas des passages ; elle ne fait pas des entrées solennelles ; ni elle ne couche comme le vainqueur militaire sur le champ de bataille. Charles Péguy, 1901

Nous aussi nous y pensons. Nous ne pensons même qu’à ça. Nous pensons, nous aussi, au fascisme comme on pense au pire, et nous ne voyons donc pas sans crainte et sans dégoût monter le flot d’une puissance qui ne s’avance si bien masquée sous les traits du libéralisme le plus protecteur que pour mieux s’implanter dans les esprits comme l’unique solution à tous les problèmes, l’unique réponse à toutes les questions. Sans doute, si Marine Le Pen et sa révolution prétendument nationale étaient passées, ce dimanche 24 avril 2022, nous aurions été tentés de dire, comme Ellul le soir d’un certain 10 mai 1981, « Non, vous dis-je, il ne s’est rien passé le 24 avril 2022 ». Nous l’aurions dit par provocation, peut-être, un peu, mais surtout pour souligner que nous n’estimions pas qu’une figure politique, même fondée sur une claire volonté politique d’éviter le pire, constituât en fait une véritable garantie contre le pire. Nous l’aurions dit, oui, parce que nous ne nous serions fait aucune illusion sur la capacité d’une personnalité politique, fûtelle la mieux intentionnée du monde, à revenir sur trente ans d’hypocrisie socialdémocrate et de dérive sécuritaire, comme cela, à simples coups de formules et de contremesures – sans se fonder sur une analyse sérieuse de ce qui fait le fascisme. 
Mais maintenant que ce n’est pas Marine Le Pen qui est passée, nous sommes au pied du mur, devant le même problème qu’il y a cinq ans, où il eût déjà été urgent de se demander, comme Ellul en 1981, s’il s’était alors vraiment passé quelque chose, et quoi, exactement. Et la réponse est là, qui s’impose : Oui, il s’est réellement passé quelque chose, ce 24 avril 2022, il s’est passé cela même qui s’était déjà passé cinq ans auparavant, le 7 mai 2017, à savoir que, dans un contexte d’abstention massive, un homme dont les classes populaires avaient toutes les raisons de craindre le pire et que rien ne distinguait si ce n’est son attachement viscéral au système libéral et son absence totale de scrupules, avait réussi à se faire passer pour l’homme de la situation – d’une situation marquée d’abord par la faillite totale du jeu démocratique et de toute illusion de progrès économique et social. C’était déjà bien le pire qui pût nous arriver, et c’est exactement le même pire qui nous arrive à présent, à cette différence près qu’à présent, après cinq années où tout a été fait pour masquer la faillite réelle et totale d’un système politique tout entier appliqué à occulter la faillite non moins totale et réelle du système économique qui le soutient, nous ne pouvons attendre de ce même homme, que toujours rien ne distingue si ce n’est son même attachement au système et sa même absence de scrupules, qu’une chose : qu’il achève de liquider une situation qu’il a contribué à verrouiller complètement dans le sens d’une ouverture totale aux forces du marché et d’une fermeture totale aux initiatives locales, populaires ou alternatives. Il ne suffit donc plus de penser au fascisme, il faut enfin penser le fascisme, non pas en tant que fantasme d’une classe politique (qui est aussi une classe d’âge, les babyboomers) à jamais embourbée dans son rapport à l’argent et au pouvoir, mais en tant que fait toujours possible parce que lié à des constantes de notre société que nous héritons d’un passé hélas loin d’être dépassé, d’un passé qui ne cesse de s’accrocher à notre présent, comme le lierre à l’arbre : celui d’une société dans laquelle l’État libéral n’a plus d’autre fonction que de soutenir une croissance économique sans laquelle il ne serait rien. Et pour le penser, ce fascisme réel, quoi de mieux que de revenir aux analyses qu’Ellul avait si nettement esquissées dès 1937 , en s’efforçant de réfuter l’idée rassurante d’un fascisme d’opérette qui se présenterait d’abord comme une doctrine à laquelle il suffisait d’opposer la saine doctrine d’un libéralisme politique plus ou moins teinté de social-démocratie ? 
Dans ce texte magistral, qu’on trouve intégralement reproduit sur le site des Amis de Bartleby, Ellul s’imposait la méthode suivante :
Il est donc bien évident que si l’on veut saisir le fascisme dans sa réalité, il ne faut pas le rechercher dans les constructions des intellectuels; à la rigueur peut-on procéder ainsi pour le communisme, mais le fascisme par sa nature même s’y oppose. Discuter de la valeur du travail ou de l’État totalitaire sur les bases que nous offre Rocco ou Villari, c’est discuter dans le vide, c’est faire œuvre inutile. Le fascisme ne s’étudie pas dans sa doctrine parce qu’il n’est pas une doctrine; il est un fait, produit de situations historiques concrètes. Il est sans intérêt de discuter des diverses formes sociales du fascisme, ou d’opposer en thèse pure fascisme contre libéralisme ou contre communisme, parce qu’il y a des forces qui dépassent ces mots, qui enchaînent les situations. Pour l’étudier, ne pas prendre des livres doctrinaires qui le rattachent à Sorel ou à Spengler, mais des statistiques, et la description froide d’une organisation technique. Il faut séparer le fascisme de toute idée parce que dans la réalité, il est ainsi séparé: nous allons voir qu’il a consacré cette scission définitive de la pensée et de l’acte, qu’il l’a utilisée. Si j’étudie par conséquent le passage du libéralisme au fascisme, je ne le ferai que dans les faits, sous l’angle de l’économie, de l’organisation politique, de la communauté, etc. 
 Il procédait ensuite à un examen rigoureux des faits qui, selon lui, faisaient du fascisme une conséquence logique de l’évolution nécessaire d’un libéralisme confronté à ses propres limites et contradictions du fait du double développement de la technique et de l’Etat : dirigisme économique et constitution d’une masse d’individus déliés de toute forme de solidarité organique au profit d’une organisation purement mécanique :

Pour qu’il y ait une masse, il faut donc qu’il y ait trois conditions réunies: un groupe d’hommes de conditions, nature, etc., divers – qui se font une représentation d’unité – mais que cette unité n’ait pas un caractère nécessaire de longue durée: à distinguer par conséquent de la foule, ou de la horde. La représentation concordante d’unité de tous les individus de la masse peut avoir des raisons très différentes: un intérêt commun, une situation économique ou sociale (groupe de chômeurs), un sentiment provoqué par le monde extérieur, soit de satisfaction, soit de mécontentement (foules du 6 février). On s’aperçoit alors qu’il faut distinguer entre les masses abstraites et les masses concrètes. Les masses abstraites sont celles qui reçoivent passivement des influences ou des suggestions de l’extérieur – influences et suggestions identiques pour tous. [...] Leur masse est effectivement abstraite, parce qu’ils ne conçoivent pas l’identité de leurs réactions, leur rôle consistant à ne plus être qu’un instrument récepteur et qui émettra à son tour certaines excitations; leurs représentations ne seront jamais qu’une prise de conscience de la masse et non pas une brisure de celle-ci. Seulement cette prise de conscience risquerait d’empêcher le passage de la masse abstraite à la masse concrète. Supposons en effet qu’il y ait dans la vie d’un individu, en succession ininterrompue, création et destruction de participation à des masses diverses (bureau, cinéma, café, journal, jazz); on verra se produire peu à peu une intégration complète de l’individu à ces masses successives – une solidarité mécanique naît. Si maintenant nous supposons qu’un tel individu reçoive une excitation suffisamment forte dans une masse quelconque pour passer à l’extériorisation, et par exemple à l’action, comme il est dans le même état que tous les individus qui font partie de cette masse très précise (lecteur d’un quotidien), tous les individus de cette masse répondront identiquement à l’excitation: même sans mot d’ordre individuel, tous les lecteurs de l’Action française se retrouveront à la Concorde le 6février. Poursuivons nos suppositions. Si tous les individus font partie de masses identiques qui occupent entièrement leur vie, si par conséquent, ils vivent dans un état de solidarité mécanique abstraite, et si ces individus reçoivent l’excitation nécessaire, ils réagissent tous dans le même sens, mais ce ne sera plus ici dans leur comportement d’un soir, ce sera une extériorisation globale dans leur vie même. Ils deviendront l’expression non plus d’une série de masses abstraites mais d’une série de masses actuelles, réalisées, concrètes qui s'appelle exactement le fascisme.

Où en sommes-nous, par rapport à ces faits ? Les conditions que décrivait Ellul, en France en 1937, n’étaient sans doute pas suffisamment remplies pour donner naissance, comme en Allemagne ou en Italie, à un authentique mouvement fasciste, mais elles n’ont cessé, depuis 1945 – et malgré les précautions prises par des classes politiques pour la plupart issues des mouvements de résistance ou tout au moins marquées par l’expérience de l’Occupation allemande – de se mettre en place à la faveur d’un développement économique et technique dont le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il favorisait l’émergence d’une mentalité hyper-individualiste et profondément perméable aux diverses formes de propagandes, du fait de l’emprise de moyens de communication capables d’entretenir constamment l’illusion d’une liberté inséparable d’un mode de vie totalement normalisé et intégrateur : le modèle de la croissance, en voie de mondialisation d’abord, puis, après l’effondrement de l’URSS, de plus en plus effectivement mondialisée. La disparition du monde paysan, puis des classes ouvrières, donnant naissance à une classe moyenne triomphante, a d’abord permis la transformation complète des sociétés dans le sens d’une homogénéisation grandissante des modes de vie et de pensée évidemment favorable à la constitution de masses d’autant plus faciles à manipuler qu’elles avaient perdu la plupart de leurs références culturelles. On s’est alors trouvé dans une situation objectivement analogue à celle qui, au début des années trente, a vu naître le fascisme. 
L’arrivée de Macron au pouvoir coïncide parfaitement avec le moment où ce modèle de croissance s’est trouvé confronté à ses limites internes et externes, liées d’une part à ce que Guilluy appelle « l’émergence des périphéries », avec l’éviction (mondialisée) du socle populaire de la classe moyenne , d’autre part au dérèglement climatique. Moment de crise généralisée (qui n’est pas sans rappeler la crise de 1929) où le dirigisme économique et politique constitue le seul recours possible contre une anarchie grandissante, dans laquelle s’opposent les tendances au désordre inhérentes au système (réseaux sociaux, anomie galopante, GAFAM et compagnie) et les initiatives populaires plus ou moins conscientes de la nécessité d’un changement radical. Elu de justesse en face d’une candidate clairement résolue à exploiter politiquement cette situation, Macron a pris nettement parti pour le système (dont il n’est qu’une émanation) contre toute forme de contestation globale ou locale et démontré que le libéralisme pouvait évoluer dans le sens le plus autoritaire qui soit, dans la ligne la plus droite allant du Patriot Act américain à l’état d’urgence antiterroriste pérennisé par Hollande et englobant toute forme de terrorisme policier, comme on l’a bien vu à l’occasion de la révolte des Gilets Jaunes. A la faveur d’une pandémie bien contrôlée (comme un virage), il a pu tester les capacités du système à engendrer des phénomènes de masses inédits qui se laissent facilement analyser en termes de mentalité préfasciste, au sens d’Ellul, à qui nous ne pouvons pas ne pas renvoyer à nouveau :

Et nous voici revenus en plein dans notre question; le fascisme se présente, au point de vue des formes de la sociabilité, comme une transformation des masses abstraites en masses concrètes à l’intérieur d’une solidarité mécanique. Mais c’est, après tout, la synthèse de ce que j’ai dit jusqu’ici: le libéralisme et l’individualisme préparent cette transformation par une création des masses abstraites et par une solidarité mécanique sans cesse plus poussée. L’on peut bien dire en effet que tous les libéraux se sont trompés lorsqu’ils ont cru que leur doctrine amenait à une plus grande prise de conscience de l’individu. Au lieu de voir l’homme, ils ont vu des schémas de l’homme et les doctrines se sont basées sur ces schémas. [...] Nous avons vu que la fonction extrême la plus développée d’une société mécanique est la fonction répressive. Or maintenant se développe, à la place de la fonction répressive, une fonction préventive. Au nom du sens commun, au nom du bien commun, au nom de la morale commune, on tend à créer le type d’homme commun (Homo rationalis vulgaris, dira-t-on dans le petit Larousse). [...] Cet homme idéal créé, on en répandra le type à toute occasion, par les énormes moyens de persuasion dont on dispose. Un million d’hommes ne peut pas avoir tort, déclare je ne sais plus quel savon à barbe. Vérités admises. Il suffit d’ouvrir un journal pour respirer cet air – courrier de la femme ou petites annonces de mariage. Le libéralisme a entraîné un amorphisme social probablement sans précédent dans l’histoire. Il a permis la création de ces masses abstraites dont je parlais tout à l’heure, de cette vie par masses et uniquement par masses – où la vie de l’homme se recouvre, d’une série de cercles qui se recoupent et qui absorbent totalement l’individu. Groupe du café et groupe du club, groupe du sport et groupe du métier. Il prend telle figure à telle place, et telle autre dans tel milieu. Il n’est plus lui-même, il est essentiellement l’homme social, obtenu par les moyens préventifs, celui dont la société n’a plus rien à craindre, qui ne peut au contraire que la stabiliser – c’est bien ce qui va arriver. Dans cette société néo-mécanique, le choc qui entraînera l’apparition des masses concrètes sera d’autant plus facile que l’amorphisme sera plus complet. Et de même, les notions de sacrifice et d’héroïsme seront d’autant plus facilement exaltées que l’individu aura perdu conscience de sa valeur. Le fascisme se présente, au point de vue social, comme un amorphisme mieux combiné, plus volontaire quel’autre état, libéral, mais du même ordre, appartenant au même type de société. 

Ainsi se trouvent remplies les conditions du fascisme, qui n’a nul besoin de doctrine, si ce n’est celle de l’utilitarisme le plus ordinaire, adapté aux besoins du jour : urgence terroriste, sanitaire, écologique – tout est bon pour la croissance. 
L’inédit, en ce qui nous concerne aujourd’hui, c’est que, pour passer du libéralisme au fascisme, il n’y a même plus besoin d’un changement brutal – d’une « révolution », fût-elle de palais. Le fascisme prospère au cœur même du libéralisme, sans transition : sous l’effet de n’importe quelle peur, l’immense majorité se mobilise en faveur des mesures les plus drastiques, accepte de voir ses libertés essentielles suspendues, et, comble d’ironie, dénonce comme fasciste toute entreprise prétendant représenter une issue. Mélenchon ou Le Pen : ils ne sont jamais que des résidus de ce qui autrefois constituait la politique. Le drame est que seuls les travailleurs (les 30/60 ans qui n’ont pas voté Macron en masse) réclament encore, de temps en temps, autre chose que ce qui s’impose comme l’inéluctable solution à tout. Il suffira, contre eux, d’invoquer l’urgence sanitaire, et ils iront, masqués jusqu’au cou, faire masse avec les vieux et les jeunes, « pour jouir de cet instant heureux où nul n’est plus » (Canetti, Masse et puissance, 1959).
  • Jacques Ellul, « Le fascisme, fils du libéralisme », Cahiers Jacques Ellul. Pour une critique de la société téchnicienne, n° 1, les années personnalistes, 2003, pp. 113-139.
  • Christophe Guilluy, No society, Flammarion, 2018
  • Elias Canetti, Masse et puissance, 1959.

« Déprimer »... ou se battre ? Pour un rasoir d’Ockham technologique

Je pense que nous sommes mis au défi, comme jamais auparavant, de prouver notre maturité et notre maîtrise, pas de la nature, mais de nous-mêmes. Rachel Carson, 1962

La scission de nos sociétés en deux se poursuit, d’un côté ceux qui suivent bon an mal an les directives de l’État même s’ils ont peine à croire encore en leurs bénéfices, de l’autre ceux qui affrontent l’adversité tragique, car ils l’ont reconnue comme telle. Dans les faits les uns ont droit à la vie d’avant, si et seulement si ils montrent patte sanitaire connectée. Les autres sont exclus des lieux de culture, des hôpitaux, des trains (à l’exception des TER), pour certains de leur travail ou d’une partie de leur activité professionnelle.
Heureusement le dialogue amical perdure parfois (souvent?) entre insiders et outsiders, et alors il est frappant de constater que les positions divergentes concernant la politique sanitaire ont des conséquences fortes sur l’état psychologique des uns et des autres. Contrairement à ce qu’entendait provoquer l’acharnement gouvernemental sur les « non-vaccinés » (manœuvre dans laquelle la France est un des Etats les plus zélés, même en comparaison d’affreux technophiles comme Israël), les plus malheureux ne sont pas ceux que l’on croit.
Car ceux qui ont plus ou moins docilement appliqué depuis deux ans les injonctions contradictoires de l’État (attestation de sortie/ zone de promenade / couvre-feu / télétravail / fermeture des écoles etc. / interdiction de célébrer les cultes religieux / interdiction de visite dans les EHPAD / interdiction de funérailles / application de traçage / appel à la délation / port du masque / vaccinations / jauges / protocoles d’hygiène / passe sanitaire / tests / passe vaccinal…), ceux qui se sont soumis quotidiennement au pouvoir des experts leur imposant pour leur bien des règles de vie nouvelles, ceux qui ont subi « le dressage du parc humain », se retrouvent pour une grande majorité d’entre eux, déprimés. Car il leur est finalement apparu évident que la logique à l’œuvre dépassait les justifications gouvernementales, qui fluctuent comme un serpent qui rampe en zigzaguant. Leur existence ne peut leur apparaître que profondément modifiée, soumise à des bouleversements incessants, survenus par à coups, et diminuant chaque jour un peu plus leur capacité d’exister en tant qu’humain.
Ce qu’ils pressentent, sans mordre pour autant à telle ou telle théorie du complot dont ils n’auront même pas le plaisir de sentir le vertige de la croyance, c’est que ce que en quoi ils croyaient jusqu’alors, en citoyens débonnaires du XXIème siècle, le smartphone à la main, est en train de s’effondrer sous leurs yeux. La perspective d’une société démocratique « dotée » d’« outils » technologiques « intelligents » se révèlent la plus grande arnaque que l’humanité se soit jamais tendue à elle-même. La Chine, avec son application WeChat qui réunit tout ce dont un Chinois doit avoir besoin pour vivre (et qui peut donc être suspendu d’un seul clic), fait figure de pionnière en matière de gestion numérique de la population. Et c’est bien ce qui nous effraie : en effet, dans quel sens vont tous ces bouleversements causés par ce que les média appellent « la crise sanitaire », sinon dans l’accélération vers ce que le G8 nomme la « 4ème révolution industrielle » ?
De manière très schématique, ce que nous constatons tous, anti et pro masques, vaccins, passes, c’est : toujours moins de relations charnelles (voir, entendre, toucher, sentir, goûter), toujours moins de rencontres, toujours moins de lieux, toujours moins d’argent liquide… et toujours plus de numérisation et de traçage des échanges qu’ils soient intellectuels, affectifs, « culturels », monétaires… Ce que les politiques sanitaires tout autour du globe ont en commun c’est l’orientation vers la multiplication des techniques d’organisation sociale, au mépris de ce qui fait de nous des vivants : la spontanéité, la gratuité, les sens, la pensée, l’imprévisible, l’élan, la retenue, la relation entre un Je et un Tu uniques, la parole porteuse de sens, l’indicible… C’est le bond en avant dans cette irrépressible avancée contre l’humanité que nous sentons, certains en pleine lumière depuis deux ans, d’autres depuis un an, depuis quelques mois, à mesure que les seuils de tolérance à l’intolérable sont dépassés. Nous le savons tous certainement ou confusément, désormais. Quelle que soit la situation sanitaire, c’est contre la civilisation numérique que nous devons lutter, pas à pas, radicalement. Ceux qui refusent de se résigner doivent forcément se battre.
 Ceux qui se battent en France ne réclament pas le passe vaccinal pour tous (!) mais son abolition pur et simple. Le maintien d’un tel système (alors que les mesures sanitaires sont en train d’être levées!) doit rassembler toutes les oppositions parce qu’il exacerbe les potentialités de surveillance et de profit déjà présentes dans les smartphones, en en rendant obligatoires les plus liberticides options. Ce qui rend tout le monde malade, c’est la conscience de n’être que des vaches à lait pour les GAFAM (auxquels s’ajoutent désormais les industriels de santé), le lait étant composé désormais de données de navigation, d’attention et d’argent (public).
Si l’état de nos âmes conditionne la tournure de la vie de la Cité, alors nous proposons de commencer par observer une ascèse personnelle, sorte d’exercice régulier que nous choisissons librement d’accomplir : elle viserait à freiner cette orientation dont nous saisissons tous facilement les conséquences délétères. Nous pouvons figurer cette tentative (ultime ?) de lutter contre le déferlement du malheur dans nos sociétés (plutôt que de ployer sous la tristesse ou l’anxiété) à l’aide de ce que l’histoire de la philosophie a nommé « le rasoir d’Ockham ». Philosophe logicien du XIVème siècle, Guillaume d’Ockham prend position dans la querelle des Universaux (que nous n’exposerons pas ici !) en érigeant en principe la règle suivante :

« Il est vain de faire avec plus ce qui peut se faire avec moins. »

Nous proposons d’appliquer ce principe dès que nous sommes conduits à utiliser un smartphone, une application, un objet connecté, un moyen de paiement, une interface… de manière à choisir en ayant conscience de ce que nous intégrons dans notre vie et de ce que nous refusons d’admettre dans notre existence. Nous sommes libres si et seulement si nous exerçons notre faculté de penser et d’agir : nous sommes maîtres de la technique dans la mesure où nous décidons d’y recourir ou non. Il est encore temps de choisir dans certains domaines, à de nombreux moments de la vie quotidienne, et nos choix peuvent réellement tout changer. Surtout si ensemble, nous sommes capables de refuser ce qui nous paraîtra inacceptable.
Exemples de casuistique quotidienne : me connecter sur marmiton.pub ou ouvrir le livre de recettes de grand-mère ? Faire un énième test à mon enfant pour vérifier qu’il n’est pas susceptible d’être contagieux alors qu’il n’a aucun symptôme ? Poster ma dernière trouvaille sur les réseaux ? Demander mon chemin à Google ? Accepter que toutes mes données médicales soient réunies dans un dossier numérique ? Montrer un passe vaccinal comme on sortait autrefois un ticket de métro ? Etc. Le monde que nous sommes en train de détruire par ces pratiques innocentes en apparence est le seul que nous ayons en commun. Il est plus que douteux que nous réussissions à en construire un autre.
Le rasoir d’Ockham se traduit en termes philosophiques par l’énoncé suivant :

 « les entités ne doivent pas être multipliées sans nécessité. »

Nous proposons que toute connexion soit soumise à ce crible de la pensée, qui comme un tamis ne retient pas tout mais seulement ce qui a une valeur pour chacun d’entre nous, selon son bon vouloir (et non par simple réflexe, conditionnement, habitude voire obligation). Nous n’en serions pas arrivés là si la critique de la technique qui s’enrichit depuis cent ans avait réussi à faire entendre deux simples remèdes contre les préjugés ambiants : non, d’une part, la technique ne dépend pas de l’usage que l’on en fait, elle est ambivalente et porte en elle du bien et du mal. Choisir l’utilisation de Facebook c’est prendre comme un tout la communication et la publicité, l’information et le traçage, la pollution et le CAC40. Non, d’autre part, Internet n’est pas comparable à un marteau : un système n’est pas un outil. Nous avons changé d’échelle et nous changerons bientôt de civilisation si nous ne prenons pas conscience de la responsabilité qui nous incombe.
Plutôt que de croire que ce que nous ajoutons au monde virtuel est un « plus », considérons que c’est au contraire un retrait du monde réel, que cet empiétement des univers connectés grignote notre monde concret, au point de vue énergétique, par l’attention que nous y accordons, par la dépendance à laquelle nous nous soumettons, dans une gigantesque entreprise de dévalorisation de nous-mêmes, de notre corps, de notre vie intérieure, des autres et de tout ce qui nous est cher, au profit d’un grand rien.
Qui, sinon chacun d’entre nous, peut poser des limites au néant ?

Pris dans la nasse : de la privation des libertés à la déchéance des droits


« La politique totalitaire s'anéantit dans les contingences. Comme dans le monde en crise les situations se modifient rapidement, elle se caractérise par une « tactique » perpétuellement changeante. ; de brusques demi-tours préparés dans le secret dictatorial. »
                                              Bernard Charbonneau, L'Etat, R&N p. 368

Le sentiment d'être pris dans une nasse qui se resserre sans cesse depuis le 17 mars 2020 atteint aujourd'hui un point de non-retour : être menacé par Emmanuel Macron d'être déchu du statut de citoyen. Ce point culminant sera nous l'espérons le début d'une désescalade pour un retour à une démocratie fondée sur l'équilibre des pouvoirs, comme le montre les réactions de certains députés à l'assemblée nationale. Dans le cas contraire, soyons tous conscients que nous nous soumettrons alors au grand jour à un fonctionnement politique totalitaire et fascisant. L’inquiétant est que ce fonctionnement s'est peu à peu imposé, en différentes étapes, dans le silence débilitant des médias grand public.

Une « puissante méthodologie », explique le Dr. A., s'abat depuis quelques années sur ceux qui, préférant l'homéopathie, la naturopathie, tout simplement les médecines alternatives aux chevaux de Troie de l'allopathie ; ceux-ci ont « tout naturellement » , mais non sans réflexion, pris leurs distances avec un vaccin présenté depuis le début de l'épidémie de Covid comme le miracle duquel tout attendre. Cette homéopathe, médecin qui rappelons-le est titulaire du même diplôme que les autres, et dont nous taisons le nom pour lui éviter d'être exclue des rangs de ses pairs, a d'abord vu dérembourser les remèdes qui lui permettaient depuis trente-cinq ans de soigner les maux de ses patients, pas tous, certes, l'angine et pas le cancer, la dépression et pas le VIH, mais une bonne panoplie si l'on en croit l'affluence dans son cabinet. Sa pratique médicale éloignée de la grosse industrie permet aussi de prévenir les maladies et d'éviter ainsi de se soigner une fois le mal installé, ce qui limite évidemment la fréquentation des hôpitaux, nous y reviendrons.
A l'heure du Covid, tout un arsenal de mesures a fini par contraindre ces mêmes personnes à quitter leur travail si leur emploi était soumis à l'obligation vaccinale, ou à effectuer régulièrement des tests censés prouver qu'elles n'étaient pas « malades ». Infirmiers, aide-soignants, pompiers, artistes, intervenants en bibliothèques, auteurs, cafetiers, animateurs, etc. se sont ainsi retrouvés bloqués dans ce qui constituait jusque-là leur vie professionnelle, alors que les vaccinés pour leur part, malgré leur capacité à transmettre le virus, pouvaient vaquer sans difficulté à leurs activités. Rappelons que sans exception tous pouvaient affluer sans limites dans les centres commerciaux.

Selon cette stratégie méthodologique, le gouvernement avait eu soin d'afficher une date de fin du passe sanitaire : le 15 novembre. Ces tests, encore gratuits en août, sont devenus payants en octobre (34 euros pour un PCR salivaire sur prescription médicale pour 72 heures de sésame, soit 0,5 euros de l'heure...). Puis le passe sanitaire a été prolongé en juillet 2022, et depuis décembre, les tests sont devenus payants pour 24 heures de validité (soit 1 euro de l'heure pour un test passé en pharmacie puisque les test en labo nécessitent au moins 12 heures de délai pour obtenir le résultat et sont donc inutilisables ! ). Qui pourrait se payer 528 euros de test par mois pour aller travailler ? Qui s'interroge sur le gâchis que représente, après les masques et les vaccins, cette nouvelle manne d'argent qu'engrangent pharmacies et labo ? Dans les médias mainstream, aucun émoi, aucune analyse, à peine une annonce, alors que ce resserrement dans la nasse figurait pour beaucoup une nouvelle catastrophe, absurde et délétère. L’arbitraire du pouvoir montrait son vrai visage : une stratégie d'écrasement de ceux qui ne se soumettaient pas à une injonction vaccinale pourtant inefficace. « Toujours pas » aurait dit la voix de son maître.

L'annonce de la transformation du passe sanitaire en passe vaccinal, acquise dans tous les discours alors même que le vote au parlement n'était pas commencé, a ravivé le désarroi des personnes qui ne veulent pas se faire vacciner : de nouvelles exclusions, de nouveaux interdits, alors même qu'aucune logique véritable ne justifie une telle chasse aux sorcières : le gouvernement est revenu sur toutes les affirmations qui ont ponctué sa sinistre comédie. La couverture vaccinale de 80 % de la population attendue n'est-elle pas atteinte ? Les 12/18 ans ne devaient-ils pas être exempts de toute injonction vaccinale ? L'obligation vaccinale n'était-elle pas exclue ?

De quoi s'agit-il de la part des personnes que ne se vaccinent pas ? D'une coquetterie ? D'un caprice ? D'une bêtise crasse largement plus répandue chez les moins diplômés (ne parlons pas des Antillais : la condescendance avec laquelle on parle de leur « frilosité » face aux vaccins est tout simplement ignoble) ? Notre corps, c'est nous-mêmes, répètent les féministes. Ces hommes et ces femmes qui refusent de se soumettre (et de soumettre leurs enfants) à cette vaccination dernier cri considèrent qu'ils sont dans leur droit car le vaccin contre le Covid ne protège absolument ni de la transmission, ni de la maladie, quelles que soient les courbes statistiques mises en avant à propos des formes graves ou du Covid long, pour détourner la question du cœur du problème. Notons comment le gouvernement joue avec les chiffres : longtemps les services de réanimation accueillaient disait-on « 80% de non-vaccinés». Depuis deux jours voilà qu'un nouveau chiffre, plus frappant, est sorti du chapeau, brandi comme un trophée : 1 pour 20. Quoiqu'il en soit, avec masque, avec vaccin, avec test, avec passe, le virus court toujours.
S'il s'agit de ne pas encombrer les hôpitaux, sont-ce les non-vaccinés qui sont responsables du marasme hospitalier ou plutôt le gouvernement qui ferme les lits ? Les personnes qui refusent le vaccin contre le Covid 19 sont précisément, par leur méfiance envers l'industrie pharmaceutique et l'interventionnisme médical, ceux qui ont le moins recours aux offres des professionnels de santé.
Les accuser de prendre la place des autres dans les hôpitaux est tout simplement une aberration. Ce sont plutôt eux qui militent depuis le début pour l'accès à des traitements préventifs du Covid, b-a-ba de la médecine, rejeté avec opiniâtreté par les gouvernants comme non efficaces, préférant ne pas soigner les malades jusqu'à ce qu'ils finissent pour les cas les plus graves, en réanimation. Il n'existe aucun consensus scientifique sur la maladie, sa prévention et son traitement et les autorités médicales qui pourraient porter un tel consensus (comme l'OMS) ont perdu toute légitimité à force d'opportunisme et de compromission, notamment avec les laboratoires (voir à titre d'exemple paradigmatique le scandale des opiacés aux Etats-Unis).

De surcroît, la politique n'est pas du ressort de la science et ne serait être confiée au pilotage d'experts. L'humanité n'est pas un troupeau qu'il faut gérer, un « parc humain » à optimiser. C'est cette vision qui anime Emmanuel Macron quand il dit qu'il va « emmerder les non-vaccinés » : la résistance politique n'est vue que comme un emmerdement auquel il faut répondre de la même manière, un dysfonctionnement dans le système social qu'il faut à tout prix supprimer. Ce qui choque dans cette prise de parole c'est que ces quelques millions de Français qui dérangent ne devraient pas être réduits à un dysfonctionnement car ce sont des citoyens, des personnes dotées de liberté et de dignité, au même titre que les autres. A moins qu'il ne s'agisse de criminels ? Ou mieux,de terroristes ? C'est ce glissement qui tend à justifier l’injustifiable : la privation des droits.

Ces citoyens qui ne se soumettent pas à l'allopathie à tout prix refusent d'avoir honte des principes profonds que les animent : et si le symbole funeste de l'étoile jaune a été convoqué dès le début de la mise en place du passe sanitaire par les manifestants, c'est parce qu'historiquement ce signe symptomatique ne signifiait pas l'envoi en camp d'extermination mais la discrimination d'une partie  de la population... (et même, rappelons-le la déchéance de nationalité). Or, dans les faits, c'est bien le travail, l'accès à l'espace public, au transport, sans parler des cinémas ou des théâtres... qui font l’objet d'une interdiction pour ceux qui ne sont pas vaccinés. Le passe vaccinal, ce nouveau resserrement, signifierait l'exclusion pure et simple d'une partie des Français de l'existence sociale.

Le silence des bien-pensants démontre leur soumission voire leur compromission avec un système économico-politique dont l'unique boussole est le développement technologique générateur de profits. Que ce développement entraîne, dans un même mouvement, la montée en puissance du système grâce aux nouvelles technologies et le déferlement du chaos sur la terre (du point de vue du climat, de la stérilité des sols, de l'extinction de la biodiversité, de l'intensification d'une extraction minière ultra-polluante... et, ce qui est certainement le plus dangereux, de l'incapacité des hommes à faire monde), que ce développement par sa croissance incessante entraîne l'humanité dans une ruine, dont le Covid 19 n'est qu'un des aspects les plus symptomatiques, ne semble pas remettre en cause le prêchi-prêcha solutionniste qui préside à l'ensemble des décisions qui vont toujours, imperturbablement, dans une dépendance toujours plus accrue à ce même système.

La nasse se resserrait sur les non-vaccinés : les bonnes gens détournaient le regard voire approuvaient avec un certain dédain. Avec cette menace fascisante d'exclure des millions de Français de la citoyenneté, l'heure est historique : combien ne veulent pas voir que toute l'humanité est prise dans cette nasse qui mêle technologies, médecine industrielle et pouvoir politique, pieuvre dont la puissance de contrôle et de traçage a été démultipliée au cours des deux dernières années.
Les personnes non-vaccinées, et au-delà toutes celles, vaccinées ou non, qui refusent le passe sanitaire essaient simplement d'y résister, et même d'en sortir.
Français, encore un effort ou vous ne serez plus du tout républicains.

Contribution au débat qu'on nous refuse


Par Florence Louis et Edouard Schaelchli
A Martine Wonner, députée de tous les exclus, elle-même exclue de tout groupe parlementaire.

Au préalable.

Refuser de se faire vacciner est un droit. Refuser le passe sanitaire est un devoir. De la
même façon qu'on attenterait évidemment à la dignité d'un homme en le forçant à boire, ne serait-ce qu'un verre d'eau, il n'est pas pensable d'obliger quelqu'un à se laisser enfoncer une aiguille dans le bras, si on ne l'a pas convaincu auparavant de la nécessité de le faire. Quelles que soient les raisons qui motivent son refus, elles font corps avec l'idée qu'il se fait de sa dignité, et il n'appartient à personne d'en juger de l'extérieur. Tout au plus peut-on, ou doit-on, l'avertir qu'en ne le faisant pas, il peut s'exposer au risque de contracter une maladie qui, ensuite, l'empêcherait de jouir pleinement de la vie et rendrait éventuellement son contact dangereux pour d'autres dont il serait alors nécessaire de le séparer provisoirement.
A partir du moment où ce droit élémentaire, qui est d'ailleurs le corollaire du droit à la
vaccination (qu'on ne saurait évidemment accorder à personne sans l'accorder aussitôt à tous), se trouve contesté par une réglementation qui prétendrait subordonner tous les droits inhérents à la vie en société à une obligation de ce type, le devoir s'impose à tous ceux qui n'admettent pas qu'on attente à la dignité de l'homme de refuser de bénéficier des avantages qui pourraient résulter de ou être conditionnée par l'acceptation du vaccin en question. Il ne s'agit ici nullement d'une question sanitaire, mais d'une question morale.

Considérations politiques.

Quant tout le monde se laisse emporter sans réfléchir par ce que font et croient les autres, ceux qui pensent sont obligé de sortir de leur trou, car le refus d'entrer dans la danse est flagrant et se transforme en une espèce d'action. Hannah Arendt

Là où les opinions irraisonnées tiennent lieu d'idées, la force peut tout". Simone Weil

« Nous avons inventé le bonheur », - disent les derniers hommes, et ils clignent de l'oeil. Friedrich Nietzsche

Alors que le processus de déchirement de la société française est en passe de rendre impossible tout dialogue, dans les familles, les cafés et les cantines, il devient courant d'entendre discriminer les deux camps, vaccinés contre non vaccinés, à l'aide du critère de l'intelligence. Les premiers, prudents, solidaires et civiques, traduiraient par leur état vaccinal une grande clairvoyance que leur conférerait leur position sociale, leurs diplômes, leur proximité avec le pouvoir technicoscientifique, ou plus simplement leur obéissance prompte. Les autres, les non-vaccinés, assimilés à des anti-vaccins (comme tout critique des Lumières se voit taxé d'être un anti-Lumières), seraient des ignares, des « cons », des complotistes voire présenteraient des troubles paranoïaques relevant de la psychiatrie. Mais quelle est donc cette intelligence qui permettrait à certains de tendre le bras dans un geste de confiance aveugle ? Gageons que deux tendances semblent se distinguer : l'usage de la raison et l'aveuglement.

Il y aurait d'une part ceux qui s'adonnent à la rationalité instrumentale qui réduit la raison au calcul, à la recherche de l'efficacité, au pur déterminisme, à cette manière d'ignorer tout absolu autre que la vérité scientifique (pourtant provisoire par définition), de piétiner tout principe de pluralité des opinions (pourtant socle du monde commun), d'user de tous les moyens à disposition sans qu'aucune limite à l'action ne soit fondée. Et alors il faudrait « vacciner le monde », parce qu'on croit « à la raison et au progrès », quoi qu'il en coûte.

Il y aurait d'autre part ceux qui ne revendiquent rien de tel et qui auraient l'intelligence de se faire vacciner comme s'ils jouissaient d'une lampe torche en guise de discernement : cette lumière artificielle dont nous ne connaissons que trop la source – les projecteurs médiatiques étant constamment orientés vers les mêmes faits, leur puissance d'éblouissement plonge le reste de la réalité dans une obscurité profonde, comme les lumières électriques romaines font disparaître les lucioles – , cette lumière artificielle est alimentée par une propagande ininterrompue qui invalide toute possibilité de voir réellement clair. Une telle intelligence reviendrait en somme à un pur aveuglement.
Car, pour voir clair, il est nécessaire de penser. La pensée, écrit Hannah Arendt, « conçue comme un besoin naturel de la vie (...) n'est pas la prérogative d'une minorité, mais une faculté constamment présente en chacun de nous ; de plus, l'incapacité de penser n'est pas le défaut des légions de gens qui manquent d'intelligence, mais une possibilité qui sans arrêt, guette tout un chacun – y compris les hommes des laboratoires, les érudits et autres spécialistes de l’équipée mentale. (…) Les hommes qui ne pensent pas sont comme des somnambules1. »
Or, en temps de catastrophe (au sens premier de fin, de dénouement), s'abstenir de penser c'est ne plus distinguer le bien du mal, c'est s'en remettre à l'Etat et par là même accepter qu'il prenne en charge toutes les dimensions de nos existences. C'est précisément la définition du totalitarisme tel que Lefort, Aron et Arendt l'ont mise en évidence. Si le corps social n'a plus d'autonomie, si le seul acteur légitime est l'Etat, alors ce dernier tient les citoyens sous les tentacules du pouvoir. Ne disposant plus des conditions politiques nécessaires à la citoyenneté, ils deviennent une masse.
S'interrogeant sur le concept de distanciation sociale, Giorgio Agamben nous a mis en garde dès le début de l'épidémie de covid : « Il est important de ne pas perdre de vue qu'une communauté fondée sur la distanciation sociale n'aurait rien à voir, comme on pourrait le croire ingénument, avec un individualisme poussé à l'extrême : elle serait, tout au contraire, comme celle que nous avons aujourd’hui sous les yeux, une masse dilatée et fondée sur une interdiction, mais justement à cause de cela, particulièrement compacte et passive.2 »
Une masse d'individus réunis par l'interdiction de refuser le vaccin contre le covid 19, sensibles à la propagande parce que partageant un centre d'intérêt ultime, la santé, salud, (cette préoccupation qui a remplacé chez nos contemporains la recherche du salut, salud, rappelait Ivan Illich) s'oppose donc de toute la force de sa soumission au chef qu'elle s'est laissé donner à ceux qui se revendiquent encore de la citoyenneté de 1789.
Pour un tel pouvoir totalisant, même le droit n'est plus un garde-fou suffisant : nul besoin d'abolir les constitutions pour agir. Le régime nazi a conservé la constitution de Weimar. Le gouvernement français annonce sur le site éponyme que « la vaccination est obligatoire pour toutes les personnes au contact des personnes fragiles » alors même qu'aucun décret n'a encore paru en ce sens. Il s'agit, de manière anarchique, de fonder la légalité de l'action sur sa seule idéologie : asseoir le contrôle social total en vue du maintien du système technico-économique dont il est issu.
Ne pas penser par soi-même, c'est aussi, (surtout ?) ne plus pouvoir juger : agir sans jugement c'est risquer la banalité du mal, suivre des ordres sans prendre en considération leurs conséquences, obéir sans liberté, sans jamais prendre conscience de ce qui est fait et dont chacun est pourtant responsable.
Mais le drame c'est qu'il n'est pas possible de penser librement dans le petit bonheur privé, il est nécessaire de disposer d'un monde commun qui « relie et sépare en même temps les hommes. » « Ce qui rend la société de masse si difficile à supporter, ce n'est pas, principalement du moins, le nombre des gens ; c'est que le nombre qui est entre eux n'a plus le pouvoir de les rassembler, de les relier ni de les séparer. Etrange situation qui évoque une séance de spiritisme au cours de laquelle les adeptes, victimes d'un tour de magie, verrait leur table soudain disparaître, les personnes assises les unes en face des autres n'étant plus séparées, mais n'étant plus reliées non plus, par quoi que ce soit de tangible.3 »
Le gouvernement Macron a, depuis la révolte des Gilets jaunes, mis un violent coup de pied dans la table, dans cet espace public qui nous empêche de tomber les uns sur les autres. Isolés, nous ne pouvons plus construire un monde d'égaux (d'une égalité qui n'est jamais donnée naturellement mais construite dans une organisation sociale qui vise la justice), un monde d'hommes et de femmes libres d'agir de leur propre chef et de parler en leur propre nom. N'est-ce pas justement ce caractère incontrôlable des individus révélés par leurs paroles et leur action personnelle qu'un pouvoir cherchant à tout prix la maîtrise totale de l'humanité, entend à tout prix neutraliser ?
Adressée à l'ensemble des humains, la campagne de vaccination prend les allures d'une nouvelle politique de développement, revêtue comme toujours des atours de la philanthropie, exprimant en vérité une volonté d'asservissement total des existants à la puissance technico-scientifique. Le passe sanitaire en est le concentré et revêt par là un pouvoir maximal de nuisance. Gageons que celles et ceux qui refuseront ce projet, même s'ils deviennent des citoyens de second ordre (ce que sont déjà les milliards d'hommes et de femmes pour qui la simple subsistance est devenue un problème), affirmeront la possibilité même de vivre leur pleine condition humaine, libres, dans des communautés en recherche d'autonomie, d'émancipation face aux enfers cybernétiques, ce qui revient à sortir de la masse, « en masse4 ».

Divertissement poétique : la purification du monde.

Nous pouvions nous en douter, nous le pressentions tous vaguement : le monde
« d'avant », notre monde, celui où nous aimions vivre selon nos humbles habitudes de vivants, ce monde était impur, était un lieu d'impureté radicale, un lieu littéralement immonde avec lequel il fallait de toute urgence en finir ; un monde d'impur mélange et de proximité douteuse, de contiguïté malsaine et dangereuse. Il fallait en finir, il fallait en venir à une solution vraiment finale, à un traitement général et systématique, à une thérapie de choc. D'où cette première expérience, destinée à nous faire prendre conscience du mal qui était en nous, ce confinement salutaire où, frappés d'une sorte d'interdit religieux, nous avons pu apprendre les gestes nécessaires de repentance et d'humiliation volontaire, à nous voiler la face, à nous isoler les uns des autres pour goûter dans la solitude la joie imaginaire d'une vie préservée de tout contact avec
les autres, de toute contamination, de toute participation au mal collectif. Et ainsi nous est apparue la possibilité de distinguer le bien du mal, de séparer enfin le bon grain et l'ivraie, sur la base d'une différenciation vraiment objective.
A présent, nous savons où est le mal et en quoi il consiste – ce mal dont le virus n'était en fait que le révélateur, comme ce principe actif qui, tel un acide, précipite les réactions de la matière et fait apparaître les éléments utiles et les nuisibles. Peu importe le virus, à présent, qui ne fait que varier, comme le mal dont il était l'image. Existe désormais l'invariant : le pouvoir de déterminer définitivement la situation dans laquelle vivre sera réellement devenue une affaire sérieuse. Tel est la vertu fondamentale du vaccin qui ne sert pas d'abord à vaincre le virus, mais à tester l'humain, à tester la capacité de l'humain à se laisser traiter pour devenir conforme à une norme qui enfin ne dépasse pas les bornes de la raison raisonnante, mais se confond avec elle, sous la forme d'un calcul exact, d'une équation pure et simple qui rejette l'inconnue dans les limbes d'une existence souterraine où la vie ne se distingue plus de la mort. Alors l'espace social
devient le véritable espace dont avait besoin la vitalité renouvelée de l'espèce pour se
métamorphoser selon les exigences d'une pensée qui ne reconnaît de droit qu'à la puissance et ignore absolument les grâces accordées à la faiblesse et à l'amour.
Le monde d'après sera – est, déjà, un monde purifié, un monde vacciné contre la tentation dangereuse que représente l'amour du prochain. Non, tu n'aimeras pas ton prochain comme toi-même, comme un être qui ne se connaît que dans l'abandon de la confiance et de l'amour, tu ne l'aimeras que comme cet autre que je ne puis connaître qu'au travers du traitement qui le rend identique à moi-même et qui me garantit qu'il ne me transmettra rien d'autre que ce que je me suis inoculé à moi-même.
Vive la République. Vive la France.
Sabres, le 21 juillet 2021


Notes

  1. Hannah Arendt, La vie de l'esprit, t.1 : La pensée, 1981 (1978)
  2. Giorgio Agamben, « Distanziamento sociale », Quodlibet.it, 6 avril2020, trad. E. Schaelchli
  3. Hannah Arendt,Condition de l'homme moderne, 1983 (1958), Agora/Pocket
  4. Pièces et Main d’oeuvre, Les Chimpanzés du futur, 2014

Post-scriptum en réponse à C. Godin

Cher Christian Godin
Permettez-moi de tenter de répondre à vos arguments en distinguant trois problèmes : d’une part le rapport à la technique, d’autre part le paradigme politique et enfin le lien entre médecine et morale.
Tout d’abord par l’idée d’une « volonté d’asservissement total des existants à la puissance technico-scientifique », nous entendons la tendance, qu’elle émane des politiques ou des industriels, de toujours mettre en œuvre une solution de type technique. Dans cette crise c’est toujours plus d’organisation qui nous est imposée, toujours plus de gadgets innovants, et évidemment toujours de nouvelles trouvailles pharmaceutiques. Attribuer cette volonté à des élites est un changement par rapport à la référence religieuse à une Providence : ce qui se manifeste c’est un aveuglement des hommes face à la rationalité technicienne, une soumission non questionnée au système technicien. Et celui-ci, en détruisant la nature et tout ce qui jusque-là relevait du sacré, devient lui-même objet du sacré, au point que les pratiques addictives qui se développent dans nos sociétés obnubilées par les écrans peuvent être assimilées à une forme de liturgie, au culte de l’innovation technique.
Rien d’étonnant dans un tel contexte à ce que nous attendions collectivement des industries numériques et pharmaceutiques la panacée (médico-sécuritaire) qui nous permettrait de sortir de l’épidémie de Covid-19. Critiques de longue date de cette attitude idolâtre, nous ne nions pas l’épidémie, nous pensons au contraire qu’elle vient révéler les mauvais plis pris par une humanité entraînée dans un véritable délire techniciste, aux prises avec les ravages d’une économie toute-puissante. Et cette humanité n’est pas en position d’égalité face à ce délire : une partie en est exclue parce qu’elle n’y a pas accès, une partie s’en exclut ou essaie de s’en protéger parce qu’elle la refuse, une autre y baigne ou souhaite s’y plonger. Et « le royaume des cieux » est bel et bien ouvert à certains, ceux qui sont soumis à la technique dans leur vie quotidienne, au point qu’ils mangent, lisent, regardent, éduquent, travaillent, parlent, décident, se rencontrent, se dirigent,  se soignent en priorité à l’aide des nouvelles technologies. Est-il encore possible pour ceux qui veulent tout bonnement ne pas se soumettre encore plus avant à ce système de continuer à résister ? Que d’autres qui ne voient ni en quoi la vidéosurveillance pose problème, ni pourquoi ils refuseraient un passe sanitaire qui viole la confidentialité de leurs données personnelles puisque leur smartphone est déjà une passoire qui découvre leur intimité et celle de leurs proches, ne comprennent pas que les premiers entendent (encore) exercer leur liberté est un symptôme de leur déculturation (quelle que soit leur intégration sociale ou peut-être même cette déculturation est-elle proportionnelle à cette intégration).
La santé prend bien la place du salut, cette santé que l’OMS définit comme « un état complet de bien-être physique, mental et social ». Pour parvenir à un tel état, une « liturgie sociétale  au service d’une idole qui éteint le sujet » (Illich)  entraîne nos contemporains à se penser comme des systèmes immunitaires qu’il faut gérer, un capital abstrait à développer, pauvres éléments numériques placés sur des courbes de population, profils de risque analysés par des agents techniques, infirmiers et médecins qui en viennent à « détester leur ordinateur ».  Cette « poursuite organisée de la santé » réduit nos existences à la vie nue (zoé), au mépris des formes-de-vie (bios) par lesquelles précisément nous cherchons… notre salut.

Venons en précisément à la question politique : il n’est pas anodin que le seuil représenté par le passe sanitaire dans la mise au pas collective que constitue la gestion de la crise du Covid par les gouvernements Macron (confinements, attestations, couvre-feu, port du masque partout et pour tous, enfants de 6 ans ou parturientes compris, application anti-covid, appel à la délation) ait provoqué des allusions à Vichy et à l’étoile jaune. Cette manière de scinder la vie nue et la vie politique est une atteinte à ce que vous nommez la vie existentielle : Agamben a construit son œuvre sur l’idée que le camp était devenu le paradigme sous-jacent de la pensée politique moderne. Nous vivons dans un état d’exception (d’état d’urgence en état d’urgence) : la réponse aux terrorismes (islamiste, écologiste, et maintenant sanitaire, les enfants, « terroristes asymptomatiques » étant parmi les plus difficiles à neutraliser…) a consisté à lever l’état de droit. Dans ces circonstances tout devient possible. C’est pourquoi le passe sanitaire suscite un tel tollé. Vous écrivez que « les réfractaires au passe sanitaire s’interdisent eux-mêmes certaines possibilités » : c’est faux. Ils ne s’interdisent pas de prendre un TGV pour Paris : il leur est interdit de le prendre pour des raisons pseudo-sanitaires. Doivent-ils prouver qu’ils ne sont pas malades ? Non : être vacciné ne signifie pas qu’on ne transmet pas le virus. Ils doivent prouver qu’ils collaborent à la gestion de la crise sanitaire.  A suivre votre raisonnement on pourrait dire que les Juifs n’avaient qu’à rester chez eux s’ils ne voulaient pas porter l’étoile jaune, ce qui est proprement ignoble. Comment justifier qu’une partie des citoyens soit exclue du cours  « normal » de la vie parce que leur corps n’a pas été soumis aux dernières décisions politico-sanitaires ? Je n’ose même évoquer la possibilité (anticonstitutionnelle) que ces citoyens soient privés du droit de travailler, de consulter un médecin à l’hôpital… C’est cette étrange et inquiétante manœuvre qui doit être interrogée au grand jour.
Cela nous amène à notre dernier questionnement : loin de prôner un darwinisme social qui ne dirait pas son nom, nous espérons un resserrement des liens qui n’auraient jamais dû être fragilisés et l’abandon des pratiques qui sont à l’origine de l’épidémie : la mondialisation néo-libérale et ses « délices » (tourisme, informatisation, consommation, précisément les domaines où excellent les bienheureux, consommateurs ou producteurs, qui rêvent que le passe sanitaire ramène le monde d’avant, un monde amélioré par une techno-éco dictature). Nous affirmons la nécessité de pratiquer un art de vivre et de souffrir, d’incarner dignement  une condition humaine qui comprend la maladie, la sexuation, la mort, à distance des moyens que nous offrent la technique. Distance qu’il revient à chacun de choisir librement. Cela nécessiterait de rapprocher la médecine de la philosophie, car en réalité, nous sommes  collectivement en train d’éprouver des questionnements dignes des débats qui sont menés dans les comités d’éthique. La question morale doit être abordée dans toute sa complexité, confrontant les réponses des différents courants philosophiques et religieux qui s’interrogent traditionnellement : faut-il porter remède à la souffrance ? L’essentiel de la morale médicale (primum non nocere) n’est pas respecté par la vaccination contre le Covid 19 telle qu’elle nous est imposée (pour preuve la décharge à signer concernant les effets secondaires). Même pour un utilitariste conséquent, le principe d’autonomie passe avant la recherche de ne pas souffrir : « mieux vaut être un homme mécontent qu’un porc satisfait » dit l’adage. A partir de quand suppose-t-on qu’un individu est inapte au choix ? La situation de handicap est classiquement utilisée comme cas-limite pour faire accepter les innovations technologiques. Toutes ces prétendues innovations nous précipitent collectivement dans un monde invivable, sous couvert d’éducation, de mobilité et de santé.  Sommes-nous à ce point démunis que nous devrions nous considérer comme des personnes handicapées ?
Face aux controverses scientifiques, il  convient de rappeler que la médecine est un art. Vous vous demandez si le peuple est suffisamment éclairé pour prendre position concernant ces nouveaux vaccins (élaborés à la hâte par des industries qui croulent sous les condamnations judiciaires, voire la dernière en date pour Johnson & Johnson) : pensez-vous sérieusement qu’élites et peuples puissent être éclairés, dans une obscurité aussi bien entretenue par une propagande puissante ? Comment pouvez-vous faire confiance à des dirigeants qui manient le langage commun comme une novlangue odieuse où plus aucune vérité n’affleure ? Où est le quatrième pouvoir qui devrait permettre de poser toutes les questions abyssales que nous soulevons ensemble ?





Stop trafic routier 40

"Pour humaniser le débat, il faut le passionner, c'est ainsi qu'on ôte au pouvoir technique cette abstraction glacée qui lui donne le coupant de l'acier"

Bernard Charbonneau, Tristes campagnes

Suivant le principe ellulien "Penser global, agir local", nous vous invitons à soutenir l'action du collectif Stop trafic routier 40, qui lutte pour l’interdiction du transit des poids-lourds sur la départementale qui relie Bordeaux à Mont-de-Marsan.

La cour d'appel de Bordeaux a rejetté la dernière demande du Conseil départemental concernant la levée des arrêtés départemetnaux, au motif que l'intérêt des routiers ne doit pas être sacrifié à celui des habitants ! Ultralibéralisme, quand tu tiens tout un pays !

Continuez à lutter. Juridiquement communes et département se lancent dans une requête auprès du Conseil d'état. En attentant, les citoyens se regroupent. Vous pouvez :

- écouter une présentation du collectif sur France Bleu Gascogne

- signer une pétition en ligne

- suivre la page Facebook du collectif

- regarder le reportage sur France 3 Nouvelle-Aquitaine

- nous écrire : collectifstoptrafic40 at protonmail.com

A bientôt !

Lettre ouverte à M. le Maire d'Egletons (et à travers lui à tous les maires de France et à ceux qui nous gouvernent), par Edouard Schælchli



Monsieur le Maire,

Vous avez pris la décision, en avance sur toute disposition réglementaire nationale, d'interdire le marché qui se tient ordinairement le dimanche sur la place centrale d'Egletons et d'en avertir immédiatement les marchands présents dimanche dernier (22 mars). Vous vous sentez sans doute aujourd'hui justifié d'avoir ainsi procédé par l'interdiction générale qui s'est, entre-temps, étendue à tout le territoire, sauf dérogation spéciale des Préfets. Vous ne vous poserez donc sans doute aucune question et n'éprouverez aucune espèce de doute concernant le bien-fondé d'une telle décision. C'est l'avantage d'une situation d'urgence que de simplifier à l'extrême les formalités juridiques et les procédures administratives pour les rendre purement et simplement expéditives.

Il appartient de droit aux citoyens qui vous ont élu de vous faire part de l'inquiétude où les met cette précipitation des Pouvoirs Publics à suspendre, pour des raisons sanitaires prétendument scientifiques, toutes les conditions de la vie sociale ordinaire, sans laisser aux individus la moindre part d'initiative pour se préserver au mieux d'une épidémie dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle n'a nullement été anticipée par les dits pouvoirs. Vous-même n'avez été récemment reconduit dans vos fonctions de Maire que parce que le haut conseil scientifique jugeait que la tenue des élections ne présentait pas de risque particulier, du moment que se trouvaient respectées certaines mesures de précaution. On peut imaginer qu'aujourd'hui le même Conseil haut et scientifique jugerait extrêmement dangereux de vous élire, ce qui devrait, par voie de conséquence, vous rendre vous-même plus circonspect à l'égard des décisions que vous prenez. Qui sait, en outre, si, demain, il ne sera pas jugé dangereux de faire ses courses dans les grandes surfaces que, par votre décision, vous favorisez dans une certaine mesure ? Pourquoi n'appartiendrait-il pas, étant donné l'incertitude qui plane aujourd'hui sur le caractère réellement rationnel des décisions scientifiques, à chaque individu de veiller lui-même sur sa santé en choisissant de faire ses courses en plein air plutôt que dans l'atmosphère aseptisée et peu ragoutante de supermarchés où de malheureuses caissières se trouvent contraintes de s'exposer à la contagion alors qu'elles auraient toutes les raisons de rester chez elles ?

Je suppose que vous avez sursauté en me voyant mettre en cause le caractère « rationnel » des décisions dites scientifiques. C'est que vous partagez sans doute une croyance dont j'avoue m'être moi-même progressivement émancipé depuis que j'ai appris que les antibiotiques dont on a gavé plusieurs générations d'enfants (par ailleurs non allaités) depuis la fin de la seconde guerre mondiale devaient être utilisés avec prudence à cause des effets qu'ils ont à long terme sur les défenses immunitaires de l'organisme. Peut-être l'humanité serait-elle mieux défendue contre le virus auquel on prétend aujourd'hui opposer un arsenal de mesures dignes d'une guerre mondiale, si l'on avait songé à développer nos systèmes d'immunité naturelle plutôt que de nous rendre de plus en plus dépendants d'une médecine largement inféodée aux laboratoires pharmaceutiques que leur logique de rentabilité a conduits à délocaliser en Chine la plupart de leurs unités de production. Sans préjuger de rien en matière de prévention et de thérapeutique, il est de la plus saine rationalité d'admettre qu'un système de santé publique n'a pas à s'enfermer dans une vision unilatérale excluant a priori toute discussion sur ce qui définit et favorise la santé.

La question pourrait ne pas sembler d'actualité, étant donné le caractère de gravité et d'urgence de la crise que nous vivons. Pourtant, au regard de ce qu'il nous est donné d'entendre quotidiennement à la radio (où il est frappant de constater qu'a été drastiquement limitée toute liberté d'expression, comme si nous étions en guerre), on est tout à fait fondé à se demander si la caution scientifique ne sert pas avant tout de paravent à une volonté délibérée d'imposer au pays une norme qui pourrait, une fois l'urgence passée, inspirer un nouveau modèle de socialité où des choses comme « la rue » et « la vie quotidienne » feraient l'objet d'une forme de normalisation accrue, en fonction des risques mis en évidence par la crise actuelle. Je sais, M. le Maire, que vous n'êtes pas un philosophe et que votre bon sens se borne à gérer les affaires de votre commune conformément aux orientations définies par la réglementation-législation française et européenne, lesquelles font de la plupart des « élus préférés des Français » de pauvres pions incapables de la moindre initiative sérieuse. La manière dont se sont imposées les monstrueuses intercommunalités dans lesquelles vos compétences se noient en est l'illustration la meilleure. Mais enfin, vous êtes un homme, M. le Maire, comme tout le monde, et cela devrait suffire à vous faire sentir tout le ridicule qu'il y a à empêcher vos administrés de sortir se promener autour du lac d'Egletons ou dans les bois qui nous entourent. On a pu entendre récemment un préfet déclarer que « les endroits où les gens ont envie d'aller sont justement ceux qu'on va leur interdire ». En Italie, un observateur patenté s'est exclamé, désolé : « On voit encore des gens dans les rues, malheureusement ! » Noble et scientifique objectivité !

N'allez pas penser, surtout, que j'ai la naïveté de soupçonner nos dirigeants de vouloir attenter à nos « libertés ». Non, je le sais, on ne nous interdira pas demain de faire nos courses où nous voudrons, ni de consommer comme nous le désirerons, ni de faire du tourisme sanitaire, culturel ou sexuel comme bon nous semblera. Mais c'est pire : sans rien nous interdire de précis, on nous aura sensibilisés à quelque chose qui s'accorde parfaitement avec un modèle de société bien précis, où toutes les activités sociales, culturelles se trouvent comme déracinées du sol communautaire qui les rend nécessaires pour être affectées d'une sorte de brevet d'élasticité les rendant adaptables à tous les contextes virtuels du complexe socio-économique généré par la double action de la mondialisation marchande et de la techno-science. Oui, M. le Maire, cette phrase est trop longue, et elle sent un peu le fagot de l'idéologie écolo-libertaire que vous détestez. J'en suis désolé. Pour le dire plus simplement, je crains fort qu'on nous contraigne à vivre tous constamment branchés, par puce ou smartphone interposés, à un système entièrement déterminé par une logique marchande et technicienne. Vous ne comprenez toujours pas ? Disons alors plus simplement encore que nous risquons de devenir comme on nous dit que sont les Chinois, constamment préoccupés de ressembler à des Occidentaux, fiers d'appartenir à une nation qui dame le pion aux Américains, tout heureux de se faire exploiter du moment qu'on les laisse jouer toute la journée à des jeux-videos et incapables de se rendre compte que tous ces avantages compromettent gravement les équilibres naturels sans lesquels il n'y aurait même pas de vie économique (mais c'est sans doute exagéré, la plupart des Chinois sont en réalité de bons paysans qu'on a brutalement déportés pour en faire des singes de l'urbanité mondialisée).

Il paraît que la Chine a su prendre à temps toutes les mesures indispensables pour enrayer l'épidémie. Mais c'est parce qu'elle était « prête à temps ». Elle était déjà une dictature. Si nous acceptons de nous laisser dresser, par le confinement, nous deviendrons peut-être un jour capables de faire comme elle, et nous prouverons qu'il n'y a, finalement, pas grande différence entre la dictature et la démocratie. En d'autres termes, nous serons heureux. C'est assurément mieux que d'être morts. Monsieur le Maire, je ne sais comment vous remercier de votre « bienveillance ».

Egletons, le 25 mars 2020.

Thoreau politique: "Que votre vie devienne un contre-frottement pour arrêter la machine."


Mais pour parler pratiquement et en citoyen, à la différence de ceux qui se baptisent antigouvernementaux, je réclame, non une absence immédiate de gouvernement, mais immédiatement un meilleur gouver­nement. Que chacun publie quel serait le genre de gouvernement qu'il respecterait et nous aurions déjà fait un pas vers sa réalisation.

Après tout, la raison pratique pour laquelle, une fois le pouvoir échu aux mains du peuple, une majorité reçoit la permission de régner, et continue de la détenir pour une longue période, ce n'est pas parce qu'elle court plus de risques d'avoir raison, ni parce que cela semble plus juste à la minorité, mais parce qu'elle est physiquement la plus forte. Or le gouver­nement où la majorité décide dans tous les cas ne peut se fonder sur la justice, y compris au sens restreint où l'entend l'humanité. Ne peut-il exister un gouverne­ment dans lequel les majorités ne décident pas vir­tuellement du juste et de l'injuste, mais bien plutôt la conscience ? - dans lequel les majorités ne décident que de ces questions où la règle de l'utilité est opé­rante ? Le citoyen doit-il un seul instant, dans quelque mesure que ce soit, abandonner sa conscience au légis­lateur ? Pourquoi, alors, chacun aurait-il une conscience? Je pense que nous devons d'abord être des hommes, des sujets ensuite : le respect de la loi vient après celui du droit. L'obligation que j'aie le droit d'adopter, c'est d'agir à tout moment selon ce qui me paraît juste. On dit justement qu'une corpora­tion n'a pas de conscience; mais une corporation faite d'êtres consciencieux est une corporation douée d'une conscience.

La masse des hommes sert l'État de la sorte, pas en tant qu'hommes, mais comme des machines, avec leurs corps. Ils forment l'armée de métier, ainsi que la milice, les geôliers, policiers, posse comitatus1, etc. Dans la plu­part des cas, il n'existe aucun libre exercice du juge­ment ou du sens moral ; mais ils se mettent au niveau du bois, de la terre et des pierres ; et l'on pourrait réa­liser des hommes de bois qui rempliraient aussi bien cette fonction. Ils ne méritent pas plus de respect que des épouvantails ou un étron. Ils ont la même valeur que des chevaux ou des chiens. Pourtant, ce sont de tels êtres qu'on juge communément de bons citoyens. D'autres - comme la plupart des législateurs, politi­ciens, juristes, ministres ou fonctionnaires - servent l'Etat surtout avec leur tête ; et, comme ils font rare­ment la moindre distinction morale, ils risquent tout autant de servir le Diable, sans en avoir l'intention, que Dieu. Un tout petit nombre - héros, patriotes, martyrs, réformateurs au sens fort, des hommes enfin, servent l'Etat avec leur conscience aussi et lui résistent nécessairement pour l'essentiel ; et il les traite souvent en ennemis. L'homme sage n'est utile qu'en tant qu'il reste un homme et refusera d'être de la « glaise » ou de « jouer les bouche-trous », et laissera cette mission à sa poussière.

Qui s'offre entièrement à ses congénères leur paraît inutile et égoïste ; celui, en revanche, qui s'offre par­tiellement est tenu pour un bienfaiteur et un philan­thrope.

Quel est le comportement qui s'impose à un homme face à ce gouvernement américain, aujourd'hui ? Je réponds qu'il ne peut sans honte y être associé. Je ne puis un seul instant reconnaître cette organisation politique pour mon gouvernement puisqu'elle est aussi le gouvernement de l'esclave.

Tous les hommes admettent le droit à la révolution ; c'est-à-dire le droit de refuser l'allégeance au gouver­nement, et celui de lui résister, quand sa tyrannie ou son inefficacité sont grandes et insupportables. Mais presque tous disent que tel n'est pas le cas, à présent. Mais tel était le cas, estiment-ils, lors de la révolution de 1775. Si l'on devait me dire que le gouvernement de l'époque était mauvais parce qu'il taxait certaines commodités étrangères introduites dans ses ports, il est plus que probable que je ne m'en émeuvrais pas car je puis m'en passer. Toutes les machines connais­sent des frictions ; et il se peut que celle-ci soit assez profitable pour contrebalancer le mal. Mais quand la la friction vient à posséder sa machine, que l'oppression et le vol sont organisés, je déclare : refusons de sup­porter plus longtemps cette machine.

En pratique, les adversaires d'une réforme dans le Massachusetts ne sont pas une centaine de milliers de politiciens dans le Sud, mais une centaine de milliers de marchands et de fermiers ici qui sont plus préoccupés par le commerce et l'agriculture qu'ils ne le sont par l'humain et qui ne sont pas prêts à rendre justice en laveur de l'esclave ou du Mexique, quel qu'en soit le coût. Je ne me querelle pas avec des ennemis éloignés, mais avec ceux qui, près de chez moi, coopèrent avec les premiers et leur obéissent et sans lesquels ils seraient inoffensifs. Nous avons coutume de dire que le gros des hommes ne sont pas préparés ; mais si l'amélioration est lente, c'est parce que le petit nombre n'est pas matériel­lement plus sage ni meilleur que le grand nombre. Qu'il existe quelque part un bien absolu est plus importantqu'un grand nombre soit aussi bon que vous: car cela fera lever toute la pâte. Des milliers de gens sont opposés en opinion à l'esclavage et à la guerre, mais ils ne font rien, en effet, pour y mettre un terme; ils s'estiment enfants de Washington et de Franklin, et s'asseyent les mains dans les poches en déclarant qu'ils ignorent quoi faire et ne font rien : ils subordonnent même la question de la liberté à celle du libre-échange et lisent tranquillement le cours des prix en même temps que les dernières nouvelles du Mexique après dîner et qui sait, s'assou­pissent sur les deux. Quel est le prix courant d'un homme honnête et d'un patriote aujourd'hui ? Ils hési­tent, et ils regrettent et parfois ils font des pétitions ; mais ils ne font rien d'ardent et d'efficace. Ils attendent. pleins de bonne volonté, que d autres portent remède au mal, qu'ils n'aient plus à le regretter. Au mieux, ils donnent une voix bon marché, un renfort chétif et un « bon voyage! >, au bon droit quand il passe à leur hauteur. Il y a 999 professeurs de vertu pour un homme vertueux. Mais il est plus commode de traiter avec le véritable possesseur d'une chose qu'avec son gardien temporaire.

Tout vote est une sorte de jeu, comme le jeu de dames ou le backgammon teinté d'une légère nuance morale, un jeu entre le juste et l'injuste, comportant des questions morales : et cela s'accompagne naturellement d'un pari. Le caractère des votants, lui, n'est pas en jeu. Je vote peut-être selon mon idée de la justice; mais que celle-cil'emporte ne me concerne pas dans ma chair. J'accepte de m'en remettre à la majorité. Son obliga­tion, en conséquence, n'excède jamais celle de l'utilité. Même voter pour la justice, ce n'est rien faire pour elle. C'est se contenter d'exprimer un faible désir de la voir prévaloir. Le sage ne laissera pas la justice à la merci du hasard, il ne souhaitera pas la voir remporter par le pouvoir de la majorité. Il y a peu de vertu dans l'action des masses d'hommes. Quand la majorité finira par voler l'abolition de l'esclavage, ce sera parce qu'elle lui sera indifférente ou parce qu'il en restera peu qui soit aboli par ce vote. Ce seront eux les seuls esclaves. La seule voix qui puisse hâter l'abolition de l'esclavage est celle de l'homme qui engage par là sa propre liberté.

J'entends parler d'une convention qui doit se réunir à Baltimore, ou ailleurs, pour choisir un candidat à la présidence, constituée pour l'essentiel d'éditeurs et de politiciens professionnels; mais je me dis, en quoi la décision qu'ils prendront importe-t-elle à un homme indépendant, intelligent et respectable? N'aurons-nous pas l'avantage de sa sagesse et de son honnêteté malgré tout ? Ne pouvons-nous compter sur quelque voix indépendante ? N'y a-t-il pas beaucoup d’individus dans le pays qui n'assistent pas aux conventions ? Mais non : je m'aperçois que l'homme soi-disant res­pectable a immédiatement quitté sa position, qu'il désespère de son pays quand celui-ci a plus de raisons de désespérer de lui. Il s'empresse d'adopter l'un des candidats ainsi choisi comme le seul disponible, prou­vant ainsi qu'il est lui-même disponible pour toutes les visées du démagogue. Sa voix n'a pas plus de valeur que celle de tout étranger sans principes, de tout larbin autochtone qu'on aurait pu acheter. Puis­sions-nous trouver un homme qui soit un homme, qui, comme dit mon voisin, ait une échine à travers laquelle on ne puisse passer la main ! Nos statistiques sont erronées : la population est surévaluée. Combien y a-t-il d'hommes par millier de milles carrés dans ce| pays ? À peine un. L'Amérique n'offre-t-elle aucun attrait aux colons ? L'Américain s'est rapetissé jusqu'à être un « compagnon » - quelqu'un qu'on reconnaît au développement de ses organes grégaires, à son, manque manifeste d'intellect et d'autonomie enthou­siaste ; dont le premier et principal souci, à son entrée dans le monde, est de veiller à ce que l'hospice soit en bon état; et, bien avant; qu'il ait revêtu la toge virile, de réunir des fonds pour l'entretien des veuves et orphelins qui existent; qui, en un mot, se risque à ne vivre que par l'aide de la « Compagnie d'assurance mutuelle » qui a promis de l'inhumer décemment. Le devoir d'un homme n'est pas, en général, de se vouer à l'éradication de la moindre injustice, fût-elle énorme; il lui est loisible d'avoir d'autres sujets d'inté­rêts ; mais son devoir veut à tout le moins qu'il s'en lave, les mains et, s'il n'y pense pas davantage, qu'il ne lui donne pas son soutien objectif. Si je me consacre à d'autres intérêts ou contemplations, je dois à tout le moins veiller, pour commencer, que je ne les cultive pas assis sur les épaules d'autrui. Je dois en descendre, qu'il puisse poursuivre ses contemplations lui aussi. Songez à l'immense absurdité qu'on tolère ! J'ai entendu certains de mes compagnons déclarer :  «J'aimerais les voir m'ordonner d'aider à réprimer une insurrection des esclaves ou de marcher sur Mexico - vous pensez comme j'irais ! » ; pourtant ces hommes-là ont chacun, directement par leur allégeance, et donc indirectement, au moins par leur argent, fourni un remplacement. Ce sont ceux-là mêmes qui ne refusent pas de soutenir le gouvernement injuste dans sa guerre, qui applaudissent le soldat qui refuse de servir dans une guerre injuste ; ils l'applaudissent alors qu'il méprise et anéantit leur acte et leur autorité; comme si l'État se repentait au point de prier quelqu'un de l'étriller lorsqu'il pèche, mais pas assez pour cesser de pécher un seul instant. Ainsi, au nom de l'ordre et du gouvernement civil, on nous oblige finalement à rendre hommage à notre propre pusillanimité et à la soutenir. Après la première rougeur du péché vient l'indifférence ; et d'immoral il devient en quelque sorte amoral et pas tout à fait inutile dans la vie que nous avons créée.

Seule la vertu la plus désintéressée peut soutenir l'erreur la plus ample et la plus répandue. Ce sont sur­tout les êtres nobles qui s'exposent au léger reproche qu'on peut opposer à la vertu de patriotisme. Ceux qui, tout en critiquant le type et les décisions d'un gouvernement, lui donnent leur allégeance et leur sou­tien sont assurément ses soutiens les plus scrupuleux et donc souvent les obstacles les plus sérieux à la réforme. Certains demandent à l'Etat de dissoudre l'Union, de ne tenir aucun compte des réquisitions du président. Pourquoi ne la dissolvent-ils pas eux-mêmes, l'union qui existe entre eux et l'État, et ne refusent-ils pas de verser leur quota au Trésor ? Ne sont-ils pas dans la même relation vis-à-vis de l'État que ce dernier vis-à-vis de l'Union ? Et ne sont-ce pas les mêmes raisons qui ont dissuadé l'État de résister à l'Union et les ont dissuadés de résister à l'État ?

Que votre vie devienne un contre-frottement pour arrêter la machine. Ce à quoi je dois veiller, à tout le moins, c'est à ne pas me prêter au mal que je condamne. Je n’hésiterai pas à dire que ceux qui se baptisent abolitionnistes devraient retirer sur-le-champ leur soutien effectif, tant personnel que matériel, au gouvernement du Massachusetts sans attendre qu'ils forment une majorité d'une personne, sans attendre qu'ils permettent au juste de triompher par leur entremise. Je pense qu'il suffit d'avoir Dieu avec soi, sans attendre cette fameuse autre personne. D'ailleurs, tout homme plus juste que ses prochains forme déjà cette majorité d'une personne.

Car il importe aujourd'hui de voir quelle peut être la peti­tesse des commencements : ce qui est bien fait est fait une fois pour toutes.

Sous un gouvernement qui emprisonne un seul être injustement, la juste place du juste est aussi la prison.

Quand je converse avec les plus libres de mes voi­sins, je note que, malgré tout ce qu'ils peuvent dire de l'importance et du sérieux de la question, de leur souci de la tranquillité publique, la question se résume à ceci : ils ne peuvent se passer de la protection du gou­vernement actuel et redoutent les conséquences de la désobéissance sur leurs biens et leur famille. Pour ma part, je n'aimerais pas à croire que je m'en remets parfois à la protection de l'État. Mais, si je réfute l'autorité de l'Etat lorsqu'il présente sa feuille d'impôts, il ne tardera pas à prendre et à détruire tous mes biens, à me harasser sans fin moi et mes enfants. Cela est chose pénible. Cela interdit à un homme de vivre honnêtement et confortablement à la fois, du point de vue des apparences. Il ne vaudra pas la peine qu'il accumule des biens ; il ne manquerait pas de les perdre. Il faut prendre une location ou un refuge quelque part, cultiver une petite récolte et se hâter de la manger. Il faut vivre en autarcie, ne dépendre que de soi, être toujours prêt à lever le camp sans avoir beaucoup à emporter.

Je n'ai payé aucun impôt local depuis six ans. On m'a mis en prison une fois pour cette raison, une nuit. Et comme je regardais les murs de pierre massive, épais de deux ou trois pieds, la porte de bois et de fer épaisse d'un pied, la grille de fer qui altérait la lumière, je ne pouvais m'empêcher d'être frappé par la stupidité de cette institution qui me traitait comme si je n'étais rien que chair et os, à enfermer. Je m'éton­nais qu'elle ait fini par conclure que c'était le meilleur usage qu'elle pouvait faire de moi et qu'elle n'ait jamais songé à profiter de mes services de quelque autre manière. Je voyais bien que s'il y avait un mur de pierres entre moi et mes concitoyens, il y en avait un d'encore plus difficile à escalader ou à percer avant qu'ils puissent être aussi libres que moi. Je ne me sen­tis pas un seul instant à l'étroit et ces murs parais­saient seulement un vaste gâchis de pierres et de ciment. J'avais l'impression d'être le seul de tous mes concitoyens à avoir payé mes impôts. À l'évidence, ils ne savaient comment me traiter, mais se comportaient comme des gens mal élevés. Chaque menace et chaque compliment dissimulaient une gaffe ; car ils estimaient que mon désir principal était de rester de l'autre côté de ce mur de pierre. Je ne pus m'empêcher de sourire en voyant avec quel soin ils refermaient la porte sur mes méditations, qui les suivaient aussitôt à l'exté­rieur, sans encombre : c'étaient elles qui étaient dangereuses, en réalité. Comme ils ne pouvaient m'atteindre, ils avaient décidé de châtier mon corps ; tout comme les gamins, s'ils ne peuvent s'en prendre à la personne à qui ils en veulent, injurient son chien. Je voyais que l'Etat était à demi imbécile, qu'il était craintif comme une femme seule pour ses cuillers en argent, qu'il ne pouvait faire la différence entre ses amis et ses ennemis : je perdis le peu de respect que je gardais pour lui et le plaignis.

L'État ne s'adresse donc jamais intentionnellement à la raison de l'homme, intellectuelle ou morale, mais seulement à son corps, à ses sens. Il n'est pas armé d'un esprit ou d'une honnêteté supérieure, mais d'une force physique supérieure. Je ne suis pas né pour être contraint. Je veux respirer comme je l'entends. Voyons donc qui est le plus fort. Quelle force a une multi­tude ? Seuls peuvent me contraindre ceux qui obéis­sent à une loi plus altière que la mienne. Ils me contraignent à les imiter. Je n'entends pas parler d'hommes contraints à vivre de telle ou telle manière par des groupes d'hommes. Quelle sorte de vie serait-ce là ? Quand je rencontre un gouvernement qui me dit « La bourse ou la vie », pourquoi me hâterais-je de lui donner mon argent ? Il est peut-être dans une situation très difficile et ne sait que faire : je n'y puis rien. Il faut qu'il s'en sorte tout seul ; qu'il fasse comme moi. Rien ne sert de pleurnicher. Je ne suis pas responsable de la réussite du fonctionnement social. Je ne suis pas le fils de l'ingénieur. J'observe que lorsqu'un gland et une châtaigne tombent l'un à côté de l'autre, l'un d'eux ne reste pas inerte, ne s'efface pas devant l'autre, mais que tous deux obéissent à leurs propres lois, jaillissent, croissent et fleurissent de leur mieux jusqu'à ce que l'un en vienne, d'aventure, à dominer et détruire son rival. Si une plante ne peut vivre selon sa nature, elle meurt ; et il en va de même pour un homme.

Je souhaite seulement refuser mon allégeance à l'État, me retirer et m'en tenir à l'écart en pratique. Peu me chaut de suivre pas à pas mon dollar, si c'est possible, à moins qu'il n'achète un homme ou une arme pour en tuer - le dollar est innocent mais ce qui m'importe c'est de repérer les effets de mon allégeance. En fait, je déclare tranquillement la guerre à l'État, à ma manière, bien que je souhaite continuer d'en retirer les utilités et les avantages que je pourrai, c'est bien naturel.

Si d'autres paient l'impôt qui m'est demandé, par compréhension pour l'État, ils ne font que ce qu'ils ont déjà fait pour eux, ou plutôt ils ajoutent à l'injus­tice que celui-ci exige. S'ils paient l'impôt par souci mal placé de l'individu imposé, pour sauver ses biens, ou empêcher son internement, c'est pour n'avoir pas considéré avec sagesse combien ils permettent à leurs sentiments personnels de contrarier le bien public.

Il n'y aura jamais d'Etat vraiment libre et éclairé tant qu'il ne reconnaîtra pas l'individu comme un pouvoir plus altier et indépendant, d'où dérivent son propre pouvoir et son autorité, et qu'il ne le traitera pas en conséquence. Il me plaît d'imaginer un Etat qui puisse se permettre d'être juste envers tous les hommes et qui traite l'individu avec respect comme un voisin ; qui ne jugerait pas sa propre quiétude menacée si quelques-uns s'installaient à l'écart, ne s'y mêlant pas, en refu­sant l'étreinte, sans pour autant s'abstenir de remplir tous les devoirs de bons voisins et de compatriotes. Un Etat qui porterait ce genre de fruit, et le laisserait tom­ber aussi vite qu'il a mûri, ouvrirait la voie à un Etat encore plus glorieux et parfait, que j'ai également ima­giné sans le voir nulle part.

H. D. Thoreau, La désobéissance civile, trad. G. Villeneuve, Ed. Les 1001 nuits, 1996

1Le pouvoir du comté par opp. au pouvoir militaire

De la violence : la fin ne justifie pas les moyens

La violence est-elle justifiée par des fins qui la purifierait ? Parce qu'elle serait réponse à une violence plus forte encore ? Ou au contraire parce qu'elle serait conservatrice de l'ordre ?

A l'heure où la violence risque de ruiner le mouvement des Gilets jaunes en ouvrant la voie à une répression totale, ces mots de Jacques Ellul qui s'attaque à un lieu commun funeste : "la fin justifie les moyens". Seul l'abandon de la violence, par tous, rend possible la construction d'un monde habitable.

"Non, pas question d'accepter les Fins pour justifier les pratiques d'aujourd'hui, parce que ce ne sont jamais, dans l'actualité, que de simples justifications. On accepte les moyens ignobles de ses amis pour des raisons qui n'ont rien à voir avec une fin légitime. On accuse les mêmes moyens chez ses ennemis en refusant de considérer ce qui pourrait être légitime dans leurs objectifs. Non, chers mora­listes, nous ne croyons plus à vos valeurs qui servent à démontrer que les moyens de vos amis sont excellents! La vérité à laquelle il faut rigoureusement, durement se tenir, c'est le contraire du lieu commun : les Moyens cor­rompent les Fins. C'est ce qu'exprime rigoureusement le slogan des socialistes polonais en 1961, admirables de luci­dité : « Oui, nous sommes pour le socialisme, mais contre toutes les voies qui y mènent. » C'est la plus profonde sagesse et la plus exacte vérité.

Il n'y a pas de violence qui libère : il n'y a que des violences qui asservissent. La crois­sance de l'État ne prépare pas la liberté mais une plus grande dictature. Tout moyen aujourd'hui détruisant fût-ce un homme dans son corps ou dans son âme, et serait-ce pour libérer un million d'hommes, ne conduira jamais qu'à renforcer l'esclavage du million d'hommes pour qui l'on travaille.

Les Fins sont des bulles de savon infiniment séduisantes, infiniment fragiles, qu'un souffle suffit à orien­ter différemment et que le moindre excès suffit à faire s'éva­nouir. Les fins sont incapables de rien justifier parce qu'elles n'existent pas : elles sont out au plus des intentions, des idéologies, des programmes. Mais l'homme qui a de si bonnes intentions lorsqu'il exerce les moyens du mal se trouve lui-même corrompu par le mal qu'il fait – et ses bonnes intentions deviennent dérisoires ; les idéologies, lorsqu'elle se trouvent au contact avec les dures réalités où les moyens injustes interviennent, fondent et se modèlent au gré du moment. Les programmes comportent, même les plus généreux, les parties d'ombre que l'on cache soigneu­sement pour prendre les alouettes, mais qui se révèlent brutalement lorsqu'on commence à passer aux moyens. Les plus nobles fins assignées à la guerre sont pourries par la guerre.

Un peuple devenu indépendant par la guerre res­tera pour toujours d'une façon ou d'une autre un peuple d'esclaves. Le droit établi par la violence sera toujours l'in­justice. Le Bien établi par la ruse ou la contrainte sera toujours le Mal. La Foi obtenue par le prosélytisme sera toujours l'hypocrisie. La Vérité répandue par la propa­gande sera pour toujours le Mensonge. La Société parfaite organisée dans le sang, même d'hommes coupables, sera pour toujours un bagne. Voilà ce qui est exact. Mais la médiocrité, la veulerie, la vanité, la satisfaction de soi sont si grandes chez l'homme qu'il préfère tous les mensonges à cette humble et quotidienne reconnaissance de l'impor­tance du moyen d'aujourd'hui."

Jacques Ellul, Exégèse des nouveaux lieux communs, Calmann-Lévy, 1966

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