Le Flog - Cultures et actualités politiques

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Culture

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Lisbonne, 2003, 2012

Douce nuit

Fernando

Ton chapeau est tombé

Sur ton nez.

Démoli

Le temps s'est écoulé

Ta Lisboa

aux lourds pavés

t'éblouirait-elle ?

Pessoa, personne

n'ignore que nous n'en sommes plus là,

où sommes-nous Fernando ?

Nous nageons dans l'oubli

et les morts nous rappellent

qu'un jour il fut un monde

et qu'il se désintègre

désagrège

sous nos yeux.

Nos yeux qui ne voient plus

que l'Un artificiel

Nos cœurs qui vagabondent

sans que rien ne rassure.

La mélodie n'est plus

seul le rythme accélère

et bat dans nos artères

comme le  marteau du temps.

2012

Les Contes de la Nuit enchantent nos jours

Déjà conquise,  la foule se pressait hier soir au Cinéma d'animation de Bègles, pour découvrir Les Contes de la Nuit, nouvel opus de Michel Ocelot, dont la présence était annoncée (il est le parrain du cinéma le Festival). Dans la file d'attente, sous une pluie légère, nous avons vu arriver un petit homme, qui nous a dit : "mais pourquoi allez-vous voir des bandes de papier noir découpées ? " !

C'est qu'avant de devenir "presque riche et célèbre", Michel Ocelot a dû en entendre des remarques de ce type, à l'époque où il utilisait le théâtre d'ombre parce que c'était le procédé le moins cher pour faire du cinéma d'animation. Princes et princesses en 1998 n'a pas fait salle comble et pourtant c'est le digne petit frère des Contes de la nuit qui vient de sortir au cinéma.  Mais entre temps le petit Kirikou a ébloui le monde entier et éclairé le grand talent de son conteur : un "mangeur de contes" comme il nous l'a dit. Car son premier champ d'inspiration, c'est lui-même, "son bon plaisir" : il tire des histoires écrites ici ou là des éléments qui le touchent et, avec ces trésors, il concocte une fable, un récit. Les héros tout plats, tout noirs, se découpent sur un univers éblouissant de couleurs et de magie. Et la morale de l'histoire se teinte d'un humour délicat et stimulant : la princesse aime quand le prince se fait loup, le héros préfère sa liberté au pouvoir sur un royaume de morts...

Loin de suppléer à notre imaginaire ("notre cerveau aime bien travailler", a expliqué Michel Ocelot) la 3D ajoute cette fois de l'irréel aux dessins : les étoiles de la fée des Caresses semblent véritablement flotter autour de nous... Et si le film plaira intensément aux enfants c'est bien à partir de six ans qu'il faut les y conduire : loups, iguanes et autres créatures sont trop impressionnants pour les plus petits.

Bientôt nous a confié Michel Ocelot, Kirikou reviendra nous raconter ses souvenirs d'enfance. En attendant, je vous invite, sous cette pluie légère, à aller rencontrer ce petit homme dont l'âme est grande.


Sweet Marie

La pénombre baigne la silhouette de Marie Ndiaye, comme recroquevillée autour de ses pages.Y penser sans cesse : un texte répété, scandé, affiché jusqu’à ce qu’il résonne en nous avec force. Die Dichte, création de la compagnie Translation à l’Escale du livre de Bordeaux, évoque la coexistence d’une mère, de son enfant et d’une « vieille âme », agrippée à eux. Les nouveaux habitants de la maison jaune berlinoise d’où sortit jadis une famille juive pour un voyage funeste vers la mort. Août 1943 – août 2008 : Marie Ndiaye démontre à nouveau sa sensibilité aux lieux, qui respirent malaises, complots, qui rejouent à travers le temps les destins qui se croisent. Destins mêlés que ceux de l’écrivaine, lauréate du Prix Goncourt en 2009, qui a quitté la France et son « atmosphère de flicage, de vulgarité » en 2007, pour rejoindre une Allemagne d’adoption où les enfants jouent au jardin public sans rien porter de la tragédie qui frappa l’Europe il y a 70 ans. Soutenu par les riffs de guitare et la voix puissante du saxophone de F. Cazaux et S. Capazza, les mots de Marie Ndiaye semblent toutefois dilués par les images lancinantes projetées en fond de scène. Peu importe : nous n’avons pas tous les jours la joie d’entendre une véritable poétesse. 

 

 

28 avril au théâtre du Rond-Point à Paris, 3 mai à Boulazac, 4 mai à Dax, 19 mai à Pessac...

Ingrid Betancourt : la voix

Oubliez l'Ingrid Bétancourt que vous avez vue sur les écrans, ce qui a été dit et médit sur elle, et ouvrez son livre : Même le silence a une fin. Près de 700 pages, à première vue, l'ouvrage semble indigeste : il est passionnant.

Passionnant de découvrir cette femme, se souvenir que durant toutes ces années son portrait s'étendait devant certaines mairies (celle de Bègles, par exemple) et la suivre tout au long de ce sombre voyage. Elle nous montre comment elle a vécu, supporté mais aussi  évolué, qui elle est devenue peu à peu, restant elle-même et pourtant devenant au fil des épreuves une autre.

Et puis autour d'elle le tableau de l'humanité est tour à tour accablant, enthousiasmant, stupéfiant. La jungle omniprésente rend le camp des prisonniers quasiment infranchissable. Pourtant elle essaie plusieurs fois de s'enfuir. Jusqu'à la désespérance. Jusqu'à la libération finale.

L'héroïne nous raconte ses épreuves. C'est un bonheur de la lire.

Même le silence a une fin, Gallimard, 2010.

ode

N’étant pas une puissance, la philosophie ne peut pas engager de batailles avec les puissances, elle mène en revanche une guerre sans bataille, une guérilla contre elles. Et elle ne peut pas parler avec elles, elle n’a rien à leur dire, rien à communiquer, et mène seulement des pourparlers. Comme les puissances ne se contentent pas d’être extérieures, mais aussi passent en chacun de nous, c’est chacun de nous qui se trouve sans cesse en pourparlers et en guérilla avec lui-même, grâce à la philosophie.

Gilles Deleuze, Qu'est-ce que la philosophie ?.

Insiders, le peuple de l'Art

Enfin une exposition d'art contemporain dont on n'a pas envie de sortir, pour laquelle on projette une seconde visite, pendant laquelle on a envie de regarder toutes les projections en entier... Même quand elles durent 90 minutes, comme pour Burning man, voyage in Utopia, de Laurent LE GALL, film qui relate l'incroyable Black Rock City de 2008, "réunion" organisée tous les ans dans le désert du Nevada où tous les participants (qui refusent d'être de simples spectateurs) se rassemblent autour d'un autel pour célébrer... le monde ? la vie ? Aucun dogme n'est défini, seuls les principes du don, de l'effort en commun et du décloisonnement sont affirmés, durant huit jours, dans la fête et la joie. A travers quatre rubriques (Célébrer, Participer, Recycler, Transmettre), Insiders rassemble des pratiques artistiques qui réconcilient la vie quotidienne et l'art, écho d'un temps ancien où l'art et la vie étaient mêlés. Un homme transporte sur son dos une porte dans une Bucarest hallucinante tandis que des architectes enfin libérés perchent des maisons de thés dans des cerisiers en fleurs... Ne manquez pas cette exposition du CAPC de Bordeaux car les œuvres présentées jusqu'au 7 février 2009 dénotent par leur vitalité et la créativité qu'elles démontrent... L'homme est mort... que vivent les hommes !

Travaille d'abord tu t'amuseras ensuite

Une exposition à la Bibliothèque des Capucins de Bordeaux, du 15 septembre au 6 octobre, en parallèle aux Rendez-vous des Terres neuves, concerts et agitation citoyenne du 1er au 3 octobre à Bègles.

Féminisme Black

Bell Hooks, Laura Alexandra Harris, Hazel Carby... Autant d'auteurs américaines qui n'évoquent rien à la plupart d'entre nous. Et pourtant, quelle vigueur, quel dynamisme soufflent dans leurs pages, enfin présentées en France dans une anthologie du féminisme afro-américain, 1975-2000, intitulée Black Feminism, et publiée cette année chez L'Harmattan.

Quels sont les mots qui vous manquent encore ? Qu'avez-vous besoin de dire ? Quelles sont les tyrannies que vous avalez jour après jour et que vous essayez de faire vôtres, jusqu'à vous rendre malade et à en crever, en silence encore ? Peut-être que pour certaines d'entre vous, ici aujourd'hui, je suis le visage d'une de vos peurs. Parce que je suis femme, parce que je suis Noire, parce que je suis lesbienne, parce que je suis moi - une poète guerrière Noire qui fait son boulot -, venue vous demander : et vous, est-ce que vous faites le vôtre ?
Et bien sûr, j'ai peur, car transformer le silence en paroles et en actions est un acte de révélation de soi, et cet acte semble pleins de dangers. Quand je lui ai parlé de notre sujet de discussion et de mes difficultés, ma fille m'a dit : "Raconte-leur qu'on n'est jamais une personne à part entière si on reste silencieuse, parce qu'il y a toujours cette petite chose en nous qui veut prendre la parole. Et si on continue à l'ignorer, cette petite chose devient de plus en plus fébrile, de plus en plus en colère et si on ne prend pas la parole, un jour, cette petite chose finira par exploser et nous mettre son poing dans la figure." Audre Lord, "The transformation of Silence into Language and Action", 1977, trad. M. C. Calise.

Après une introduction riche et argumentée sur l'évolution du féminisme américain, dix textes nous rappellent les luttes, leurs raisons, leurs moyens, leurs victoires et échecs, et font le lien entre ces années 1970 célébrées comme "libération de la femme", et nos jours de déclin et de triste misogynie. Il est fondamental de comprendre combien la pensée féministe a avancé, a progressé, tenté de dépasser les conflits entre Blanches et Noires par exemple, le racisme minant l'unité des femmes de l'intérieur : des armes de pensée pour réouvrir les yeux. Réfléchir à partir de la situation des plus exclues oblige à l'universalité du propos. Toutes les femmes sont blanches, tous les Noirs sont des hommes, mais nous sommes quelques-unes à être courageuses. (All the women are White, all the Blacks are Men but Some of Us are Brave : Black Women’s Studies, Old Wetsbury, N.Y. : Feminist Press, 1982)

Festival des Ouvertures Utiles

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