Bell Hooks, Laura Alexandra Harris, Hazel Carby... Autant d'auteurs américaines qui n'évoquent rien à la plupart d'entre nous. Et pourtant, quelle vigueur, quel dynamisme soufflent dans leurs pages, enfin présentées en France dans une anthologie du féminisme afro-américain, 1975-2000, intitulée Black Feminism, et publiée cette année chez L'Harmattan.

Quels sont les mots qui vous manquent encore ? Qu'avez-vous besoin de dire ? Quelles sont les tyrannies que vous avalez jour après jour et que vous essayez de faire vôtres, jusqu'à vous rendre malade et à en crever, en silence encore ? Peut-être que pour certaines d'entre vous, ici aujourd'hui, je suis le visage d'une de vos peurs. Parce que je suis femme, parce que je suis Noire, parce que je suis lesbienne, parce que je suis moi - une poète guerrière Noire qui fait son boulot -, venue vous demander : et vous, est-ce que vous faites le vôtre ?
Et bien sûr, j'ai peur, car transformer le silence en paroles et en actions est un acte de révélation de soi, et cet acte semble pleins de dangers. Quand je lui ai parlé de notre sujet de discussion et de mes difficultés, ma fille m'a dit : "Raconte-leur qu'on n'est jamais une personne à part entière si on reste silencieuse, parce qu'il y a toujours cette petite chose en nous qui veut prendre la parole. Et si on continue à l'ignorer, cette petite chose devient de plus en plus fébrile, de plus en plus en colère et si on ne prend pas la parole, un jour, cette petite chose finira par exploser et nous mettre son poing dans la figure." Audre Lord, "The transformation of Silence into Language and Action", 1977, trad. M. C. Calise.

Après une introduction riche et argumentée sur l'évolution du féminisme américain, dix textes nous rappellent les luttes, leurs raisons, leurs moyens, leurs victoires et échecs, et font le lien entre ces années 1970 célébrées comme "libération de la femme", et nos jours de déclin et de triste misogynie. Il est fondamental de comprendre combien la pensée féministe a avancé, a progressé, tenté de dépasser les conflits entre Blanches et Noires par exemple, le racisme minant l'unité des femmes de l'intérieur : des armes de pensée pour réouvrir les yeux. Réfléchir à partir de la situation des plus exclues oblige à l'universalité du propos. Toutes les femmes sont blanches, tous les Noirs sont des hommes, mais nous sommes quelques-unes à être courageuses. (All the women are White, all the Blacks are Men but Some of Us are Brave : Black Women’s Studies, Old Wetsbury, N.Y. : Feminist Press, 1982)