Rémi Fraisse, un visage, des mondes
Par Florence Louis le mercredi 29 octobre 2014, 21:18 - Politique - Lien permanent
La mort de Rémi Fraisse à Sivens n'a rien d'une bavure. Elle est le résultat ultime d'un affrontement politique : des hommes et des femmes défendent leur monde face aux forces capitalistes, soutenues par l'Etat.
Cette fois le visage et ses boucles angéliques ne sera pas facilement défiguré, comme l'ont été ignoblement les "jeunes de banlieue", les "activistes" (Carlo Giuliani en 2001) et plus largement tout ceux qui depuis des siècles luttent pour le monde qu'ils habitent, "ceux qui vivent, luttent et meurent dans le dernier recoin de la patrie". Enfant du pays, blanc, étudiant, non-violent, Rémi ne sera pas aisément écarté, pour impureté raciale, idéologique ou sociale.
C'est pourquoi son visage va devenir une icône entêtante. Il personnifie la vie qui il y a cinq jours encore l’animait, la vie qui seule explique sa présence au barrage de Sivens, sa participation à cette journée du 25 octobre que nous attendions tous, partisans du respect des territoires naturels de la région. C'était une journée bien réelle de la vie concrète de milliers de personnes, de celles qui entendent s'occuper de leurs affaires, et parmi celles-ci de l'agriculture locale et de l'eau des rivières. Milliers de personnes, qui comme Rémi, n'ont pas mesuré l'ampleur de la guerre.
Le visage de Rémi, c'est la vie en vrai, le dos explosé par une grenade. D'aucuns se demandent ce que faisaient tant de forces de police dans un endroit où il n'y avait ni machines ni bâtiments à garder. Il faut bien revenir aux fondamentaux : face à l'organisation concrète d'habitants en chair et en os, aucunement inféodés aux partis ou syndicats traditionnels, la police se doit de maintenir l'ordre symbolique, le seul qui importe vraiment. Dans la nuit de samedi à dimanche, elle lance des grenades contre ses ennemis: ceux qui mettent leur vie au-dessus des décisions administratives et politiciennes.
"La vie devient résistance au pouvoir quand le pouvoir prend pour objet la vie" écrivait Deleuze (Nietzsche et la philosophie, p.92). Ceux qui n'ont rien à protéger parce qu'ils ont déjà tout vendu peuvent bien gloser sur l'inutilité du combat politique, en recomptant leurs billets de banque. D'autres porteront encore un message de "lutte et de résistance".
Commentaires
Je crains que cette mort ne fasse pas plus bouger les lignes que celle de Pierre Overney en 1972 et nous étions alors portés par les espoirs nés de Mai 68.
Écoutez le billet de Sophia Aram sur France Inter : "Si aucune manifestation de violence ne peut rendre hommage à Rémi Fraisse, les responsables politiques lui doivent au moins la vérité. A commencer par reconnaitre qu'il s'agit bien d'une bavure. Parce que si ce n'est pas une bavure, alors c'est quoi ? C'est juste une grenade offensive lancée dans le dos d'un manifestant ?".
http://www.franceinter.fr/emission-...
Est-ce que les responsables politiques sont capables d'une quelconque vérité? Quand on permet l'utilisation de grenades offensives, ce n'est plus de bavure qu'il s'agit mais de la volonté d'empêcher toute déviance. Un troupeau de moutons est quand même plus facile à conduire sur l'autel du Bien Général. Le danger maintenant c'est la récupération, la manipulation, la "béatification" de Fraisse, ce qu'attendent sans doute les politiques.