Les étincelles dans les banlieues qui ont hypnotisé ces dernières semaines les téléspectateurs donnent lieu à des discours proprement honteux. "Problèmes culturels ou problèmes sociaux ?" s'interrogent les commentateurs.

Il semble, expliquait l'historien Jean-Loup Amselle sur l'antenne de France Culture que le modèle de lutte des races se substitue à celui de lutte des classes. Il existe bel et bien un conflit entre une classe dirigeante qui, répétons-le, ne cesse de s'enrichir et de concentrer entre ses mains les différents leviers du pouvoir, et une population de défavorisés dont le nombre s'accroit. Elle s'enrichit en effet de la frange la plus fragile des classes moyennes, à mesure que les inégalités grandissent. Ces populations comptent par ailleurs de nombreux enfants dont les parents sont d'origine maghrébine et africaine. Ceux-ci ne leur ont le plus souvent transmis qu'une infime part de leur culture d'origine : par exemple, peu parmi les premiers parlent couramment arabe. La transmission au sein de la famille constitue une richesse dont l'absence ajoute aux difficultés de ces milieux sociaux. Comme l'écrit la psychiatre Marie Rose Moro,

Toutes les différences pourraient être créatives au lieu d'être stigmatisantes. Toutes. On sait, par exemple, que les personnes qui parlent plusieurs langues sont différentes de celles qui n'en parlent qu'une ; pourtant, on valorise beaucoup certains bilinguismes et on en dévalorise d'autres. Or il est aussi enrichissant de connaître l'arabe, le kabyle, le bambara ou le turc que l'anglais ou le japonais !

La lutte des classes qui explique la misère matérielle mais surtout relationnelle, culturelle et symbolique qui règne dans ces quartiers, est niée. Pour ce faire elle est actuellement badigeonnée de l'idée d'une lutte des races. Il nous faut absolument garder à l'esprit que ces raisonnements sont fondés sur l'idée que les cultures étrangères sont néfastes, débilisantes, mauvaises.

Ainsi l'UMP a fait voter une loi le 23 février dernier, qui stipule, concernant la colonisation : les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord (voir l'article in extenso). Considérer que le colonialisme a été une bonne chose pour les pays colonisés signifie que la culture française étant supérieure aux autres, l'apprentissage du français et la construction d'infrastructures destinées aux colons et à la bourgeoisie locale justifient l'exploitation des richesses et la mise au travail forcé de millions d'individus. Ceci est la position du parti au pouvoir en France en 2005 alors même qu'une partie des citoyens français est issue de ces pays et garde en mémoire certaines réalités historiques. Comment pouvons-nous supporter que nos dirigeants politiques osent soutenir de telles thèses racistes  ? La France doit cautériser ses plaies africaines en demandant pardon plutôt qu'en insultant la mémoire de millions d'individus.
Les propos du Ministre de l'Intérieur qualifiant sans distinction les jeunes des cités de racailles, terme datant du dix-septième siècle, rappelle qu'au siècle passé les classes laborieuses étaient considérées comme des classes dangereuses : les travailleurs étaient opposés aux rentiers, et considérés comme une bande de sauvages menaçante qu'il fallait dompter à grands coups de maisons de corrections et de catholicisme. Pour M. Sarkozy, il semble que l'Islam fasse l'affaire puisque l'Eglise manque désormais de missionnaires... Si cette vision bourgeoise du peuple n'est pas nouvelle, l'inédit c'est que la télévision a le pouvoir de faire adhérer à ces idées une bonne partie du peuple. A partir du moment où un individu peut se distinguer de ceux qu'il critique en les posant comme "autres" (les jeunes, les noirs, les Arabes, les racailles) il se valorise en les critiquant. Les média accentuent ce mécanisme en mettant savamment en scène les différents protagonistes qui passent au 20 heures. Tout est fait pour que le bon père de famille se sente humilié par la désobéissance des gamins jusqu'à crever d'envie de les corriger.
Diviser la France en communautés distinctes et séparées est un but, et non une réalité, mais ce but risque malheureusement d'être atteint si nous n'y prenons garde. Prétendre au communautarisme à l'américaine c'est croire que les personnes d'origine maghrébine ou africaine sont tellement marquées par leurs différences culturelles qu'elles ne seront jamais vraiment françaises. Je préfère penser pour ma part que c'est l'exclusion économique qui fait l'exclusion sociale et que la culture n'est pas une barrière, mais un pont entre les gens.

Le PS a viré à droite. L'UMP passe à l'extrême droite. Soyons-en conscients. Faire des voix en exacerbant la haine est une pratique qu'il faut dénoncer. Sujets à palabres faciles, la polygamie et l'immigration irrégulière ne sont pas des causes essentielles dans la crise des banlieues. Quant à l'Islam, n'est-ce pas parce qu'il est plus valorisant pour certains de se penser musulman que Français sans droit que l'islamisation progresse dans les quartiers ? Elle n'est souvent pas le fait d'une transmission familiale. Elle est largement orchestrée par des capitaux extérieurs. C'est parce que la culture manque cruellement dans ces quartiers que l'Islam tient lieu pour certains non seulement de foi mais aussi de mode de vie, d'identité, de conscience politique. La république a deserté des pans entiers de son territoire. Le seul discours commun est télévisuel et véhicule des valeurs antisociales. Les cités-dortoirs constituent une réserve d'inactifs disponibles à tout moment pour effectuer les missions d'interim dont les entreprises (comme Peugeot à Aulnay par exemple) ont ponctuellement besoin. Pour éteindre les feux plutôt que de les couvrir, démasquons la démagogie, luttons contre la misère en exigeant une politique sociale conséquente qui aboutissent à une mixité géographique capable de mettre fin à la ghettoïsation. Et puis surtout, le plus sage est encore d'éteindre le poste, car quand la télé pousse à la haine, le racisme d'Etat est banalisé, voire même plébiscité... Au secours !

Pour synthétiser les connaissances sociologiques sur l'immigration et la présence étrangère en France, sont disponibles d'excellentes études sur le site de l'Agence pour le développement des relations interculturelles. Je vous conseille notamment l'étude Modes de vie et intégration des enfants et adolescents issus de familles africaines subsahariennes.