L'Art de la joie n'a rien d'un traité. Et pourtant il démontre, au fil de ses 600 pages, comment une femme peut faire de la joie la valeur centrale de son existence.

La joie, passion par laquelle l'âme passe à une perfection plus grande dit Spinoza (Ethique, III, 11, sc.). Modesta, héroïne spinoziste ? On trouve chez elle l'amour de son destin tortueux, la croyance que l'âme et le corps sont une seule et même chose... Elle constitue un personnage peu commun. D'abord parce qu'elle naît en 1900 dans la pauvreté d'une masure sicilienne et qu'elle devient princesse d'un village voisin. Délivrée des chaînes de l'indigence, elle réfléchit sa condition de femme avec une liberté foudroyante : ses choix, ses pensées paraissent terriblement nouveaux. Sa narration libère par la simplicité avec laquelle Modesta mène sa vie. Avec elle il semble enfin possible d'éviter les pièges séculaires. Je suis jeune, tu l'as dit, et je n'aurai jamais de maîtres : mère et grand-mère dans un vingtième siècle effrayant, elle s'épargne toujours soumission maritale, maternelle ou politique. Le roman n'est pas autobiographique mais l'auteur enrichit son personnage et sa maisonnée de son propre héritage politique. Socialiste anarchiste Modesta l'est au jour le jour, dans sa façon de gérer sa maison, de comprendre l'histoire, d'interroger l'avenir.

Selon A. M. Pellegrino chargé de la publication de L'Art de la joie, cœur et idées étaient la seule nourriture littéraire de Goliarda Sapienza. Je me sens désolée d'achever la lecture aujourd'hui de son chef d'œuvre posthume. Depuis trois mois je savourais au compte-gouttes la joie d'accompagner Modesta dans les méandres de sa vie. Il ne me reste dès lors qu'à vous inviter au voyage...