Palahniuk est aujourd'hui un des écrivains les plus intéressants de son époque. Auteur de plusieurs best-sellers, il est le reflet d'une violence et de l'ambiguïté d'une société à la dérive... Ses romans sont autant de coups pour nous réveiller à la réalité, et aux problèmes qu'elle soulève. Mais, plus qu'une énième provocation gratuite, les histoires de Palahniuk instaurent une distance nécessaire et donne un sens au dérisoire ambiant. Alors que devrait sortir bientôt un nouveau roman, Haunted, ses deux derniers livres viennent d'être traduits en français...

Choc

Il aura fallu quelques heures pour qu'un jeune écrivain paumé, Chuck Palahniuk, passe de l'anonymat au phénomène mondial. Il aura fallu un film, adaptation fidèle de son premier roman publié, porté par la génération MTV (le réalisateur, David Fincher, est avant tout un réalisateur de vidéos pour la chaîne musicale) et soutenu à bout de bras (musclés) par Brad Pitt. Fight Club a triomphé et annonçait ce retour au physique et à la sensation vraie qui allait trouvé ensuite ses disciples en la personne d'un Johnny Knoxville et de son show, Jackass, entre autres.

Style

Depuis ce début fracassant, Chuck Palahniuk (que l'on prononce en anglais "paul-a-nik") n'a pas arrêté d'enchaîner les romans cultes, les histoires et anecdotes les plus hallucinantes, intégrant dans son univers les déviances et les subversions les plus éclectiques, les plus surprenantes... De Survivor à Choke en passant par ses écrits les plus récents, Lullaby ou Diary. D'ailleurs deux de ses livres sortent ces jours-ci en français. Diary devient Journal Intime chez Gallimard, tandis que Stranger Than Fiction : True Stories devient Le Festival de la Couille et autres histoires vraies (sic) chez Denoël. Une bonne manière pour que les petits français rattrapent leurs lacunes en littérature déjantée, et surtout stylée (un contraste avec les dernières sorties françaises...).
Chez Palahniuk, pas de discussion de salon ou de chroniques mondaines, nous sommes dans le vif du sujet, et la violence n'est jamais feinte. Il faut dire que pour Palahniuk, la violence est une affaire de famille, d'environnement : son grand-père a tué sa grand-mère, avant de se suicider. Plus récemment, c'était au père de l'auteur de se faire assassiner par l'ex-mari de sa compagne d'alors. L'assassin a subi la peine de mort en octobre 2001.

Humour noir

À travers ces cauchemars et ses ombres, Palahniuk se livre et nous éclaire sur sa vision de la littérature, sur sa perception des médias, et surtout sur l'idée qu'il se fait de la vie. Sa vision de la littérature, par exemple, n'a pas changé avec les années et le succès, mais il a une plus grande maîtrise de son propre style :

En fait, j'ai écrit sur mes propres façons d'écrire pour un site internet aux États-Unis. Se faisant, j'ai comme disséqué mes livres, mes paragraphes et donc j'ai compris des choses qui avant relevées plus de l'instinct, du spontané. En fait, je suis un authentique minimaliste, je tente d'aller à l'essentiel. Et je renvoie donc souvent à l'oralité, au dialogue. Je sais aussi qu'écrire est pour moi quelque chose de vital. Si je n'écrivais pas, je deviendrais fou, malade. Écrire est un besoin pour moi. Je pense que même sans public ou lecteur, je continuerai à écrire...

Mais Chuck succombe-t-il à l'attrait de la violence telle qu'elle apparaît à longueur de journée dans les médias, et surtout à la télévision ?

Non, je pense que la violence médiatique et ma vision de la violence sont à l'opposé l'un de l'autre. Je ne joue pas sur la peur, comme le font en permanence les chaînes de télévision. Moi, je m'adresse plutôt à la force, à l'énergie déployée par chacun d'entre nous pour se réaliser, pour découvrir sa force, pas pour succomber à la peur...

S'infiltrant dans le monde de l'image, Palahniuk a réussi avec Fight Club a créé une véritable version alternative de l'Amérique. Malgré le succès énorme du film, aucun autre de ses romans n'a été porté à l'écran, pourtant l'auteur est toujours en contact avec Fincher :

Nous nous parlons, et nous avons des projets ensemble... Et pour mes romans, plusieurs sont sensés devenir des films mais avec la catastrophe du onze septembre, mon style d'humour noir est passé de mode (...) et les projets sont tombés à l'eau. Mais les choses bougent à nouveau et certains trouvent même que ma façon d'apporter un certain type d'ironie, d'humour, peut aider à appréhender la dureté et la tristesse de la réalité, donc tout n'est pas perdu...

Lorsque l'on parle de son livre de recueil, Stranger Than Fiction, on pense aussi aux portraits et interviews qui ponctuent ce livre, comme celle de Marilyn Manson ou de l'actrice devenue chanteuse de rock Juliette Lewis et on se demande quelle star médiatique Palahniuk pourrait vouloir maintenant rencontrer :

Sans hésiter, j'aimerais vraiment rencontrer le champion cycliste Lance Armstrong. Je pense que pour les États-Unis, Lance Armstrong est ce que l'on a de plus proche d'un Saint vivant.

Bikini

La différence entre mes écrits pour les magazines et mes romans ? Lorsque tu écris des fictions, tu es tout seul. Personne ne te soutient. Lorsque tu écris pour une revue, on te cadre, on te paye tes tickets d'avion s'il le faut, et tu peux avoir accès à des gens par l'autorité en mentionnant le nom du magazine pour lequel tu écris. La différence est énorme. Lorsque tu écris un livre, personne n'est là pour te tenir la main. Les gens qui écrivent des fictions développent alors des egos démesurés. Ou bien se suicident.

Palahniuk ajoute alors qu'il n'a pas, ou plus, de héros de fiction, et qu'il aurait bien besoin d'en créer lui même un nouveau - un héros comme Tyler Durden, dans Fight Club. Puis, à la mention de MTV, Jackass, Wildboyz et toutes ces émissions, Palahniuk explique et donne son humble avis :

Que ce soit une bonne bousculade, Jackass sur MTV ou dans les fight clubs (car ils existent), je pense que les jeunes veulent se confronter à des challenges, se donner des défis. Ils veulent être testé et se prouver des choses. La majorité des problèmes, nous les créons nous-mêmes, pour remplir ce désir de surmonter des obstacles et de survivre à quelque chose. Personne ne veut vivre une vie tranquille, dans le calme absolu, en payant les factures, nettoyant la salle de bains, jusqu'à la mort, en s'endormant dans un lit....

En parlant de défis et de challenge, que pense Chuck de la réélection de George W. Bush à la présidence des États-Unis ?

Il faut juste savoir que plus de la moitié des citoyens américains préfèrent Bush à n'importe qui d'autre. C'est un fait, c'est comme ça. S'attaquer à Bush, c'est un peu comme s'attaquer à tous ces Américains qui ont voté pour lui, un Américain sur deux. La crise que nous vivons là est d'avoir un pays coupé en deux, avec deux parties à peu près égale, qui fonctionne sur des idées totalement différentes. Mon rêve est que ce état de fait produise un troisième parti politique, une troisième voie, avec une nouvelle vision de l'Amérique, une vision inattendue et intelligente...

Pour finir sur une note légère, le choix est porté sur la mode :

Et bien, j'ai vraiment peu d'affinité avec le monde de la mode... J'ai plutôt l'habitude d'acheter une dizaine d'une même chemise lorsque j'en trouve une que j'aime. Et je les porte jusqu'à ce qu'elles tombent en lambeaux... Mais sous ces habits conventionnels, j'ai des milliards de caleçons différents, avec à chaque fois une couleur différente (mais pas de bikini, s'il vous plaît).

  • Journal Intime, roman traduit de l'américain par Freddy Michalski, sorti chez Gallimard/ La Noire.
  • Le Festival de la Couille et autres histoires vraies, sorti chez Denoël.
  • Haunted, nouveau roman, bientôt disponible aux États-Unis et Angleterre.

Check : le site officiel de Chuck Palahniuk pour plus d'informations.