Alors voilà : les Français ont majoritairement dit non. Il y a quelques mois, devant l'indifférence générale, les plus "intéressés" d'entre nous s'effrayaient d'envisager qu'un texte aussi important qu'une constitution, allait être sans doute ratifié sans qu'aucun débat n'ait lieu, sans qu'aucune réflexion ne naisse et ne trouble les lourds échos de la voix de son maître qui aboit aux quatre coins du monde.

Et bien non, ce qui tenait alors de l'utopie s'est produit : au moins 70% des Français se sont sentis concernés par la question, au point d'y réfléchir ensemble et de se prononcer. Dans quel but ?

Ceux qui l'ont fait pour réagir à la politique gouvernementale doivent être aujourd'hui bien déçus. Comme prêvu, le chef de l'Etat a juste déplacé un pion, et comble du mépris, il a remis en place un des partisans du oui dont le soutien au traité était le plus franchement libéral. Sarkozy, un cheveu sur la soupe de la victoire, non ? interrogeait un ami d'Afrique, dimanche soir. Nombreux sont ceux qui n'attendent rien de Jacques Chirac et le non proféré a dans sa majorité visé autre chose que de lancer une sentence inaplicable.

Les citoyens ont dit non à la poltique européenne telle qu'elle se déploie sans eux. C'est un non du peuple : les moins diplômés, les moins privilégiés, les ouvriers mais aussi les étudiants, une partie des classes moyennes et intellectuelles, les villes au passé industriel... La frontière est bien sociale. La voix du peuple se fait enfin entendre et elle fait son effet. Alors que le niveau d'éducation n'a jamais été aussi haut, les Français sont toujours qualifiés d'enfants immatures, coléreux et inconscients. La noblesse en juin 1789 n'aurait pas dit mieux. Qu'importe.

Mais maintenant que la voix rendue rauque par tant de silence s'est éclaircie, il faut l'entendre. Que nous dit-elle ? Ces Français-là parlent-ils d'une seule voix ? Certes non, mais parmi les discours émerge bien le point de vue d'une Gauche, celle qui se sent trahie depuis 1983 et la démission de Mitterand, celle qui en a marre de voter pour un Parti Soudoyé par le caviar que Monsieur Kouchner rapporte de ces voyages en Asie centrale pour le compte de Total.

Cette gauche-là, ces voix-là méritent d'être relayées par de véritables porte-paroles : on se prend à rêver que se réveillent les morts car les Jaurès d'aujourd'hui ont bien compris la leçon de l'assasinat du grand homme en 1914 : ils préfèrent faire fortune dans la publicité. Patientons néanmoins : le PS est mort, le Roi rappelle ses bouffons démasqués mais des millions d'yeux se sont ouverts et contemplent désormais le désert politique de gauche, le danger libéral à droite et la promesse faciste de l'extrème droite.

La voix, le regard... manquent encore le corps en entier, la volonté incarnée de changer de cap : et puisque les représentants sont discrédités, il revient aux représentés d'agir. Au moins pour commencer à la partie la plus motivée d'entre eux. L'action efficace nécessite un effort plus grand que le simple vote. Considérons toutefois ce dernier comme une reprise en main de l'Histoire par les Français et depuis le 1er juin par les Hollandais : ne serait-ce pas là la vraie victoire à préserver, l'Europe des peuples enfin en marche ?