On se souvient de la Nouvelle Vague au cinéma, et bien le monde de la bande dessinée entre lui aussi dans une nouvelle ère. Une armada d'auteurs, parmi lesquels Lewis Trondheim, Marjane Satrapi, Nicolas de Crécy, Joann Sfar, le duo Dupuy & Berberian revitalise à coup de cases et de bulles un milieu qui prenait trop souvent l'allure d'un système sans âme.

LE PITCH
La bande dessinée a déjà eu plusieurs vies, depuis son invention qui semblerait revenir à Rodolphe Töpffer, un Suisse, né à Genève et qui fut dès ses premières créations, vers 1827, encouragé par un certain Goethe, rien de moins. Töpffer a ainsi réalisé des bandes dessinées d'une extrême virtuosité, avec déjà l'idée du montage, des effets de découpage, de répétition, d'une narration en séquences, d'un suspense singulier. Les bandes dessinées de Töpffer n'ont pas encore droit à cette appellation, mais vont conquérir le monde et se voir éditer jusqu'aux Etats-Unis où son recueil, Monsieur Vieux Bois revient en 1842 The Adventures of Mr Obadiah Oldbuck, édité au format d'un...comic book.
Après ces premières cases fondamentales, nombreux sont ceux qui vont suivre le chemin, avec l'apparition dans les premières années du siècle dernier du trio Pim, Pam, Poum (The Katzenjammers Kids en V.O), et chez nous, en France, de Bécassine et des Pieds Nickelés. Il faut attendre 1929 pour que la première révolution se fasse, avec la naissance d'un petit reporter accompagné de son fox-terrier : Tintin. Georges Rémi, son auteur, signe alors Hergé et ne sait pas encore qu'à sa mort, en 1983, il aura fait de Tintin une star médiatique sans précédent.
Sur les traces de Hergé, d'autres dessinateurs arrivent, et Dupuis, éditeur belge de presse familiale, lance le journal Spirou, et c'est Franquin, jeune talent à l'époque, qui va s'occuper après-guerre de ce personnage inventé par Rob-Vel. Franquin crée également les personnages du Marsupilami, sorte de singe tigré et sympathique, et surtout Gaston Lagaffe, garçon iconoclaste et malchanceux impénitent officiant à l'intérieur même des éditions Dupuis. Peyo (Les Schtroumpfs) et les scénaristes Jean-Michel Charlier et René Goscinny rejoignent les rangs de Spirou. Puis, à la fin des années cinquante, le journal Pilote voit le jour, sous l'impulsion d'un certain Uderzo, futur papa avec Goscinny du plus gros succès de la BD française : Astérix le Gaulois. Mais Pilote voit aussi l'apparition d'un nouveau type de BD, moins enfantin, avec Le Grand Duduche de Cabu ou Les Dingodossiers de Gotlib.

VERS L'ÂGE ADULTE
Dans les années soixante-dix, la bande dessinée explose et les ventes s'envolent. Depuis, son évolution est constante et certains héros, tels Tintin, Astérix ou Les Schtroumpfs rencontrent un succès international qui est loin de faiblir... Dans les années 70 la bande dessinée se diversifie, et s'intéresse aussi au monde des adultes, comme le montre l'apparition de Corto Maltese, pensé et dessiné par Hugo Pratt, tandis que Claire Brétecher, Mandryka et Gotlib monte la revue L'Echo des Savanes (1972), suivi quelques années plus tard par l'incontournable Fluide Glacial (1975), inspiré librement de la revue américaine MAD. Fluide Glacial est toujours, aujourd'hui, une référence et un des magazines les plus vendus en France... Au début des années 80, ce que l'on appelle alors le roman graphique trouve son essor et c'est un américain de la période classique, Will Eisner, créateur d'un super héros, le Spirit, qui révolutionne le genre avec ses récits new yorkais en noir et blanc. Quelques années plus tard, un autre auteur et dessinateur, Art Spiegelman signe un chef d'oeuvre du genre contemporain, Maus ou l'histoire de la Shoah vue à travers le monde des souris. On assiste alors à l'émergence de la bande dessinée indépendante, avec des éditeurs, outre-atlantique, tels Drawn & Quatterly et Fantagraphics Books ou plus récemment Top Shelf. En France, la décennie 90 voit l'apparition de L'Association, Cornélius et Ego Comme X, fers de lance de ce que l'on va appeler Nouvelle Bande Dessinée. Avec eux, des auteurs comme Marjane Satrapi, Lewis Trondheim, Fabrice Néaud, David B., Joann Sfar vont s'ingénier à injecter un peu de vie dans la machine.

LES COMMANDEMENTS DE LA NOUVELLE BANDE DESSINÉE
Depuis les années 90, les ventes de bande dessinée continuent de progresser, et les bestsellers sont, à l'instar de la musique, lancés à grands coups de promo. On étudie le marché stratégiquement et les albums prennent de plus en plus l'allure de produits, correspondants à des cibles précises (XIII et Lanfeust pour les ados, Titeuf pour les plus jeunes, Blueberry pour les seniors), et c'est au coeur de cette industrie que la bande dessinée indépendante joue alors un rôle décisif. Jean-Christophe Menu, par exemple, concentre ses forces et réunie quelques amis autour du projet de L'Association, pour éditer des bandes dessinées singulières, ne répondant pas aux critères des gros éditeurs, laissant la place à des styles non-conformistes, des scénarios plus intimistes ou engagés, et également des formats non conventionnels. Cette dernière question, le format, tient à coeur Jean-Christophe Menu, comme il l'explique dans Plates-Bandes, sorte de manifeste de L'Association.

Ce standard (appelé le 48 CC) se développant sur la forme archi-populaire des Astérix ou Tintin (Lucky Luke, broché au départ, a dû s'adapter), est devenu synonyme de Bande Dessinée, à tel point que dans la perception du grand public, une Bande Dessinée ayant d'autres caractéristiques techniques, pouvait être considérée comme n'en étant pas. Dès lors, qu'est-ce que c'est ? Certainement pas un livre ! C'est...On ne sait pas.

Et il faudra plusieurs années et l'insistance de L'Associationet de quelques autres pour faire accepter ces petits formats, souvent brochés, et en noir et blanc. Car ce qui compte également dans cette Nouvelle BD, c'est le dessin, la ligne. En laissant la couleur de côté, la ligne est plus forte, plus incisive. Le style s'affirme. Ainsi les histoires contées par David B. (la série du L'Ascension du Haut Mal) ou l'autobiographie de l'Iranienne d'origine Marjane Satrapi vont crever le diktat de la couleur pour percer les rétines de leur contraste savamment construit. Début des années 2000, L'Association savoure ses succès en librairie et sa volonté d'intelligence face à l'industrie, mais le danger guette. En effet, devant les centaines de milliers de ventes des livres estampillés « L'Association » et consorts, les grosses maisons ouvrent des départements dits alternatifs, entrant en concurrence directe avec les éditeurs indépendants. Poisson Pilote pour Dargaud, Expresso pour Dupuis, Denoël-Graphic, ainsi que les Editions du Seuil se sont mis à publier des auteurs dits alternatifs, et parmi eux, plusieurs venants directement des éditeurs indépendants, ou choisissant de travailler aussi bien avec les uns qu'avec les autres. C'est le cas pour le duo Dupuy & Berbérian, Joann Sfar ou Lewis Trondheim...

A suivre...