Bergonié est le Centre régional de Lutte Contre le Cancer (CLCC) de la Nouvelle-Aquitaine. Sur ce panneau l'établissement se félicite de son agrandissement. Certes nous pouvons nous avachir et crouler sous les bons sentiments, nous réjouir que les malades soient plus à l'aise, plus nombreux à être reçus dans de meilleures conditions. Mais n'est-il pas plutôt temps de se dresser pour demander : pourquoi cet établissement doit-il s'agrandir ? Pourquoi le nombre de cancers ne cesse t-il de croître dans notre pays ?

C'est de notre point de vue l'ambivalence de la technique (le fait qu'un procédé technique comporte indissociablement des coûts et des avantages, cf. Jacques Ellul, Le bluff technologique, chapitre 1, 1988) qui devrait être examinée, ici comme hier, dans le débat qui a eu lieu à Bordeaux dans le cadre des États généraux de la bioéthique.

« Tout progrès technique se paie »

La multiplication des cancers va de pair avec l'entreprise de technicisation de la nature : et cette nature n'est pas située à l'extérieur des humains comme un environnement sur lequel ils agiraient. Ils sont cette même nature. Si la technique permet d'accroître les moyens de traiter les cancers, elle est aussi une des causes principales de leur développement.

Le débat organisé par l'Espace de Réflexion Ethique d’Aquitaine portait sur la PMA, et les cinq experts réunis (gynécologue, sociologue, juriste, philosophe et psychologue-psychanalyste) ont exposé avec prudence les questions que le sujet soulevait selon eux, sans avancer directement leur point de vue. Dès l'introduction, la visée de la possible révision de la loi a été posée par la citation des propos du Président Macron lui-même. Il s'agit donc de réfléchir à l'ouverture de la PMA aux couples homosexuels féminins et aux femmes seules, en âge de procréer.

L'assistance a à plusieurs reprises évoqué un certain agacement devant le fait que les experts n'avaient parlé que de technique, et jamais d'éthique. Les experts ont eu du mal à répondre à cet agacement. Une technicienne a finalement pris la parole pour s'insurger contre l'ambiance morose qui régnait selon elle dans ce débat, alors que la PMA n’amenait de son point de vue que de la joie et du bonheur. Cette intervention techniciste a même encouragé une autre praticienne, médecin, a sollicité l'ouverture de la congélation des ovocytes pour les femmes de trente ans qui craignaient de ne pas pouvoir enfanter plus tard...

Un nouveau mode de reproduction ?

Technique, technique : effectivement c'est de son règne qu'il a été question, et presque pas des coûts, non pas financiers (évoqués de façon assez pas claire)  mais sociaux, civilisationnels. Hormis le fantasme de la disparition du père, jamais il n'a été question du devenir de cette société qui, selon les mots de la philosophe présente, Marie Gomès, risquait de transformer la PMA, technique d'aide à la procréation qui traite une pathologie, en un nouveau mode de reproduction.

Alors que les femmes ont été à plusieurs reprises présentées comme les causes de l'infertilité croissante des couples (œstrogènes dans l'environnement, âge de plus en plus tardif des grossesses, ambitions carriéristes), les bouleversements sociaux expliquant ces évolutions n'ont pas été évoqués. Or, ce sont aussi des techniques qui sont à l’œuvre aussi bien dans le management qui incite à séparer vie personnelle et professionnelle, (jusqu'à proposer aux cadres de congeler leurs ovocytes pour plus tard !) que dans la pilule hormonale. C'est bien la sphère technique, c'est-à-dire la logique de l’efficacité qui domine nos existences contemporaines.

Présenter la PMA comme la solution miraculeuse (avec des bémols concernant... son efficacité !) au mal d'enfant, c'est renoncer à réfléchir aux différentes situations où son intervention est préconisée : des couples hétérosexuels "encore infertiles au bout d'un an" ou des femmes encore seules à 32 ans... Quoi de pire que l'angoisse pour freiner l'enfantement ? A 35 ans, faut-il encore attendre l'amour ou s'engager dans une PMA seule, avant qu'il ne soit trop tard ? Qu'est-ce que ce nouvel impératif sanitaire qui risque, si la loi de bioéthique élargit la PMA aux femmes seules, de mettre dans la balance d'un côté le bébé, de l'autre l'amour conjugal ! C'est une existence planifiée, contrôlée, prise en charge par les services médicaux, remboursée par la sécurité sociale, qui nous est promise.

Et si nous refusions ? Si nous pensions que la technique agit comme un puissant sortilège qui nous fait oublier le sens commun ?

"Le « développement incontrôlé menace l’homme dont l’esprit s’incarne en un corps »" écrit Bernard Charbonneau. Que devient notre corps dans cette nouvelle forme de reproduction ? C'est un outil de satisfaction, potentiellement producteur d'enfant.

Pour les femmes cadres que la société mobilise sur le marché du travail, le corps est une réserve d'ovocytes capitalisée pour l'avenir, pour leur "projet enfant".  

Comme en miroir, pour les femmes rejetées dans les limbes de l'humanité superflue, les mères porteuses, là c'est l'esprit qui doit être congédié, afin de livrer le fruit de leurs entrailles à d'autres. La philosophe Marianne Durano parle de "diffraction au sein même de la mère porteuse entre son psychisme, son corps et l'enfant qu'elle porte. Beaucoup de femmes disent "ce n'est pas mon enfant, ce n'est pas moi. Comme si mon corps n'était pas moi-même (...) Je ne suis qu'un four qui tient les petits pains au chaud.""

Quant aux couples homosexuels, il est apparu clairement que si elle était fondée sur un principe d'égalité, l'ouverture de la PMA aux couples de femmes risquerait d'entrainer une discrimination envers les couples d'hommes qui réclameraient derechef la légalisation de la GPA. 

C'est certainement une intervention autour de la question des limites, voire du concept de castration que le psychanalyste présent à la tribune aurait pu apporter pour éclairer le débat.

A moins que Marie Gomès n'ait développé son questionnement autour du marché en plein expansion que représentent les techniques procréatives ? Ce n'était vraisemblablement pas le lieu.