La question est d'importance : approuvez-vous le projet de loi qui autorise la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe ?. Une semaine avant le scrutin, réaffirmons les raisons qui nous poussent à répondre non. Précisons que cette réponse n'est en rien l'assurance d'un paradis européen (Libération, 20 mai) mais la seule façon d'éviter d'inscrire dans une constitution des politiques proprement infernales.

Je voterai non dimanche parce que l'Europe a justement besoin d'une constitution et non d'un programme économique pour l'avenir. Or, la troisième partie du traité intitulé "Politiques et fonctionnement de l'Union" constitue un tel programme.Tous les partisans français du non s'accordent pour demander le retrait de cette partie.

Je voterai non dimanche parce que cette constitution représente un engagement pour la poursuite du libéralisme. Si les traités antérieurs sont fondés sur des principes libéraux, il est possible d'en signer d'autres proposant de nouvelles politiques. Au contraire, la constitution ne pourra pas être revue sans l'unanimité des pays. Nous n'avons pas le droit de décider pour l'avenir de ce qu'il faut faire en matière économique. Une telle constitution représente un prétexte pour garantir la continuation de politiques économiques dont l'application exclusive entraîne des ravages qui commencent à être critiqués non plus par un petit nombre d'avertis mais par les nombreux citoyens qui en sont victimes.

Je voterai non dimanche parce que la concurrence libre et non faussée est le principe directeur du texte proposé. Or, il n'est en rien prouvé que ce principe assure le bien-être économique des populations. La France des Trente glorieuses se portait bien sans respecter ce dogme. La mise en concurrence totale de l'économie intéresse les capitalistes qui ont besoin de gagner encore et toujours de nouveaux marchés. La concurrence n'est pas mauvaise en soi mais ne doit pas constituer un absolu. Interdire à l'Etat toute intervention économique nous condamne à voir le privé gérer l'ensemble des activités qui rapportent, au profit non de l'intérêt de tous, mais de celui des actionnaires. Nous refusons la concurrence totale comme le dirigisme soviétique : tout est affaire de degré et le projet de constitution ne fait pas dans la nuance.

On nous dit que cette constitution n'est pas libérale. Ce mensonge vise à dissimuler la véritable fonction du texte : instaurer le libéralisme comme seule politique possible.

On nous dit que cette constitution n'est que la reprise des traités antérieurs, qu'il est à la mode de critiquer. Pourquoi dès lors les inscrire dans une constitution ?

Pour conclure, je citerai un jeune (très) diplomé qui a longtemps participé à un des nombreux clubs de réflexion de Jean-Pierre Raffarin et qui avoue dans son récent témoignage d'un revenu du oui :

alors que je m'acquittais du moins mal que je pouvais du travail que l'on m'avait confié, j'ai été, au milieu de la campagne, lors d'une de nos réunions hebdomadaires du lundi, troublé d'entendre le participant le plus autorisé énoncer sur le ton de l'évidence que comme on ne peut pas contrer les arguments du Non, il faut le discréditer, le ringardiser... sans que cela ne soulève la moindre vague de protestation chez les participants.

Par honnetété intellectuelle et conviction politique, acceptons d'être ringardisés, et ne serait-ce que parce que ce texte est illisible, répondons avec force, puisque nous en avons le droit, que non, nous n'approuvons pas ce traité. Et quel que soit ensuite le résultat du référendum, poursuivons la réflexion autour de l'Europe que nous voulons construire.