Au plus bas des intentions de vote d'après l'enquête IPSOS commandée par Le Monde, candidate d'un parti qui signe une bourde retentissante en publiant une étude validant son budget au nom de quatre économistes, dont trois démentent, Eva Joly conserve pourtant toute sa légitimité.

Analyser les raisons de son rejet dans l'opinion amène à privilégier quelques pistes.

D'une part la rhétorique sur le vote utile fait du vote PS une obligation pour beaucoup : évidemment le souvenir du 21 avril 2002 est à l'origine du mot d'ordre. Pourtant quelle est l'utilité d'une élection présidentielle où il faudrait voter PS, quelque soit le candidat du parti ? Et quel avenir pour le débat démocratique si le PS est assuré de rallier la gauche en raison de sa position hégémonique ?Le PS de droite nous promet l'austérité qui "rassurera les marchés". Elle est à l’œuvre en Grèce : les cas d'abandon d'enfants se multiplient, parce que les familles tombent dans la misère. Allons-nous sans broncher nous jeter dans la gueule du loup, parce qu'en face les monstres sont encore plus effrayants ?

Le sens du premier tour est bien de donner une image des différents points de vue des Français, afin d'influencer ensuite le gagnant du deuxième tour pour composer son gouvernement. Hollande a montré récemment le peu de sens écologique dont il fait preuve. Le score d'Eva Joly doit être respectable afin que les ambitions écologistes (sortie du nucléaire, respect de l'interdiction des OGM, débat sur les pesticides et l'agriculture dominante, réflexion sur l'industrie...) trouvent une place dans l'après mai 2012.

D'autre part, la médiocrité de la campagne médiatique d'Eva Joly est-elle due à la candidate elle-même ? Sa radicalité est critiquée : c'est pour moi un contresens. Le projet porté par l'écologie se doit d'être radicalement à gauche, au risque d'être confisqué par un pouvoir autoritaire. En effet, une société qui tendait vers une véritable justice sociale démocratiserait la véritable révolution culturelle nécessitée par le réchauffement climatique comme par la crise économique. Au contraire, et c'est déjà ce qui se passe aux franges extrême de la société française, les réductions énergétiques nécessaires ne seraient dans une société inégalitaire que supportées par les pauvres (rappelons la campagne Emmaüs affirmant que 3,7 millions de Français souffrent du froid l'hiver), tandis que les classes les plus aisées jouiraient sans compter d'une électricité qu'ils pensent mériter.

Si sa radicalité est critiquée, c'est certainement parce que l'écologie d'Eva Joly est colportée par des médias aux ordre d'un pouvoir qui entend s'autoconserver et poursuivre un mode de vie luxueux aux antipodes de toute sobriété (voir sur ce point bien sûr Les nouveaux chiens de garde). Le programme Lepéniste est seul désormais à être présenté par les médias comme alternatif : pas étonnant qu'il recueille l'espoir des téléspectateurs formés depuis 50 ans à une idéologie sécuritaire et raciste. Or c'est bien l'écologie qui doit tracer la nouvelle voie, tout simplement parce que c'est la seule qui revient aux failles originelles de notre civilisation moderne capitaliste.

Mais plus précisément, cette radicalité est certainement surtout critiquée au sein même de son parti : Eva Joly n'est pas Mélenchon qui a réussi à rassembler autour de lui le PC et le Front de Gauche. Bien loin de cette alliance, Eva Joly a été élue candidate d'Europe Ecologie alors qu'une forte partie des cadres soutenait Nicolas Hulot. Et entre Hulot et Joly, la différence ne tient pas qu'à la personne : c'est une opposition frontale. Personnellement jamais je n'aurais voté Hulot, qui représente à mes yeux la tartufferie la plus noire, un écran de fumée écologiste porté par des classes riches attachées elles aussi à leurs trains de vie certes un peu plus verts, mais toujours aussi bleus d'un point de vue social. Cette fracture au sein même du parti est certainement ce qui affaiblit le plus Eva Joly.

Et pourtant ses prises de positions ces derniers mois sur les affaires, contre Hadopi, pour la diversité culturelle, face à Marine LePen, contre Sarkozy avec son "Chômez plus pour gagner moins"... m'ont toujours fait l'effet d'éclairs d'intelligence au milieu de l'obscurité médiatique. Voici son attitude face aux mauvaises nouvelles du jour quant à sa campagne : "C'est la nuit qu'il fait beau croire à la lumière".

Espérance parce qu'utopie : c'est toute la difficulté qui nous assaille dans tous les domaines de nos vies. Nous devons tout réinventer. Mais avons-nous d'autres choix ?

Ah, j'oubliais : Madame Joly est une femme. Cela pourrait-il jouer en sa faveur, rassemblant les électrices? Que nenni ! Les Françaises se rêvent bien trop en Anne Sinclair pour admirer Eva Joly.