Ce samedi soir à Bordeaux les uns courent dans toute la ville, toujours plus vite, avec effort, un marathon acclamé par les badauds, les autres boivent un verre suivant leur habitude, dans leur bar préféré.

Et d'autres encore choisissent de s'arrêter, de s'asseoir, et de réfléchir. Et c'est loin d'être triste !

Place de la République, nous sommes une bonne centaine à 18 heures, souriant simplement d'être là, sous le regard attendri de Montesquieu qui trône sur le Palais de Justice.

Au fil du temps nous serons plus de mille, et la joie d'être ensemble n'en sera qu'accrue.

Mylène est là, dans son fauteuil roulant, seule, "debout" à l'intérieur me dit-elle : posture morale qui signifie éveillée, déterminée, engagée.

Marc a laissé la famille à la maison, pour cette première rencontre informelle des forces citoyennes qu'il attend depuis des années.

Aline, Ali, Camille... sont invités à prendre la parole, et chacun exprime ses émotions, d'abord, (espoir, colère, exaspération...), mais aussi son analyse très personnelle de la situation française, européenne, mondiale.  La loi El-Khomri, goutte d'eau, très symbolique : sous impulsion européenne les pantins au gouvernement (Valls revient souvent comme féroce animal politicien) sont sommés d'abolir un droit du travail encombrant, pour rendre les travailleurs aussi fragiles que les ouvriers du XIXème siècle qui vendaient leur force de travail au plus offrant.

Repenser le travail, certes, mais aussi :

  • survivre face à l'adversité,
  • oser la poésie et cultiver l'imaginaire,
  • exprimer la solidarité avec les personnes en migrations,
  • se battre pour l'écologie en unissant les luttes européennes, à la manière des militants qui viennent de bloquer à Pau un congrès sur les hydrocarbures
  • appel à la parole des femmes, toujours bien moins nombreuses que les hommes au micro (je remarque que deux d'entre elles viennent lire les paroles qu'elles ont recueillies dans la foule, et que deux autres veillent à ce que la place demeure propre...)
  • indignation devant le pouvoir des 1% que mettent en lumière les Panama Papers,
  • image de la France figure d'espoir pour la jeunesse opprimée à l'échelle mondiale,
  • proposition d'une commission langage pour reprendre en main nos discours manipulés,
  • désir de démocratie, d'une reprise du pouvoir par tous pour une vie pleine, sortir du carcan de l'homo economicus qui ne cherche sur son intérêt, alors qu'il est aussi capable d'AMOUR...

Les 99% s'insurgent, un homme explique que l'élite mondialisée est pétrie de croyance et n'a pas de recul par rapport au système. Ici c'est une pensée vivante, critique, qui est convoquée. L'éducation des enfants revient souvent : un petit bonhomme de 12 ans vient nous dire qu'il réclame du travail pour tous !

La soirée se poursuit et les canapés apportés par les associatifs accueillent...

Rémi, qui a fait 80 km pour dire que chacun peut changer de vie, de travail, de nourriture, question de prise de conscience !

Sophia, doctorante en philosophie qui raconte sa stupeur d'assister en direct sur Periscope aux affrontements sur la Place de la Nation, les insurgés (et non les casseurs, souligne t-elle) déterrant les pavés à coups de marteau,

Charles, sexagénaire, costume chic, qui fronce le sourcil en entendant sa voisine applaudir l'évocation du livre A nos amis du Comité invisible : "bon niveau, mais trop inégal".

On en appelle à la démission du gouvernement, à plusieurs reprises. Une femme écrit à la craie bleue sur le trottoir : "Le pouvoir ne se possède pas, il s'exerce".  Comment trouver des moyens pour exercer ce pouvoir que les citoyens debout frémissent de sentir enfin, dans leur parole libérée ? Un élu brave la vindicte populaire : c'est Pierre, avocat, qui pose sous un panneau malicieusement intitulé "marre d'être gouverné par des cons". Il me dit que prendre les places, être nombreux, est une action réelle qui embarrasse profondément le gouvernement.

22 heures 30, "Merci Patron" est projeté sur les grilles du Palais de Justice. Quelques leçons pour commencer la lutte. On se reverra demain : 14 heures pour les commissions, 18 heures pour l'AG. La ferveur est grande.