Liberté, Liberté

J’avais cueilli un périodique au kiosque du coin d’la rue Kléber. Un Figaro m’était par hasard tombé dans les mains. Le grand titre de la Une osait l’association suivante : « L’Europe face à la contagion islamiste »  L’estomac retourné par les relents de haine du vieux canard, je rebroussais chemin pour le rendre au vendeur.
- Ben alors ! Tu l’as voulu, tu l’as eu ! me lança goguenard le kiosquier, en attrapant néanmoins la liasse de papiers gris et bleu qu’il reposa sur le présentoir idoine.
Je recommençais mon manège, à l’aveugle, extrayant un autre journal du tourniquet diabolique. Le fatum periodicum me jouait décidément des tours : j’avais accroché à mon fil de pèche un Libé tout droit sorti d’un vrai cauchemar : « VI ER DANSKERE, Nous sommes Danois » s’étalait en grosses lettres, apposées sur la photo d’un homme effondré qu’un autre serrait dans ses bras.
Ainsi coulait le fleuve des jours, donc, jamais semblables et pourtant redondants, affichant des airs de famille parfois si nets qu’un dimanche succédait à un mercredi noir. Je m’assis sur un banc de bois, j’avalais les caractères plus goulûment que mon café noir au réveil.
Le sommet de ma stupeur fut atteint quand je saisis les circonstances de la mort des deux victimes de l’attentat : un réalisateur de documentaires, exténué par sa journée de recherches sur Internet avait déserté la salle de débat où une représentante des FEMEN discourait sur la liberté d’expression, pour déguster une bière au comptoir dans l’entrée, quand la porte s’était ouverte en grand fracas, laissant entrer le froid de janvier et puis sa propre mort.
Le second, vigile, s’était rendu ce soir-là vers 20 heures à la Syna de Copenhague pour prendre en charge la sécurité d’une Bar Mitzvah. Il attendait nonchalamment que le temps passe quand la mort lui était tombée dessus.
Qui était donc son bras armé ? A 22 ans, que sait-on de la vie pour s’en faire le bourreau ? A 22 ans, que connaît-on de Dieu pour s’en croire le justicier ? De cela l’article de presse ne disait mot. Il se perdait dans des considérations éculées sur les nationalités des nouveaux fanatiques, établissant savamment un classement européen où le Danemark – c’est peu de le dire – arrivait en tête avec, au prorata de la population nationale, 22 départs pour la Syrie – la France arrivait en deuxième position avec un score de 21.
J’avais fini mon Libé, outre le dossier spécial, j’avais lu in extenso le sujet sur la profanation d’un cimetière juif dans le Bas-Rhin et le portrait de François Morel. Je laissais le quotidien sur le banc. Je repartais vers le parc pour m’étirer un peu. Barbara s’était glissée dans mon esprit pour la journée.
« Liberté liberté, qu’as-tu fait Liberté, pour tout ceux-là qui voulaient te défendre ? »


Entendre Cassandre

De loin en loin passent les échos de ses pleurs, si loin, la Phénicie. 


Les dieux ont condamné Cassandre à dire la vérité : jamais personne ne pourra l’écouter. 


Elle dit la mort des siens, elle dit les sombres jours, elle dit combien la peine ne peut même plus se dire.


Elle nous dit Cassandre que son pays s’effondre sous les coups du tyran.


Elle nous dit qu’il est laid son masque de puissant, serti des lourds diamants qu’il nous a achetés. 


Elle nous dit qu’il a fait de nos ennemis les siens afin de se maintenir, au pouvoir, lui seul.


Elle nous dit qu’il ricane : nous détournons la tête quand il jette des bombes sur celle de ses enfants. 


Elle nous dit Cassandre, ce que son peuple espère : redevenir comme nous, nous qui n’entendons rien.


Les dieux ont condamné Cassandre à dire la vérité : jamais personne ne pourra l’écouter.

Les dieux sont morts. Cassandre parle. Je t’entends, je t’entends, Cassandre.
Et toi, l’entends-tu ?