La conférence d'Antonio Negri au TNBA (Bordeaux) le 30 mars dernier a été l’occasion d'entendre un avis éclairé par des décennies de lutte politique et de réflexion philosophique sur le Mouvement cinq étoiles qui vient de remporter un tiers des voix aux élections générales italiennes.

Car, comme le remarque le philosophe, la presse française ne comprend absolument pas ce que représente ce mouvement : il est vrai que l'adjectif populiste revient unanimement, avec des variantes telles que "bouffon", à l'instar de Brice Couturier ce matin sur France Culture.

Or l'Italie a toujours été pour le meilleur et pour le pire "le laboratoire politique de l'Europe." Les expériences qui y furent menées (de Mussolini à Berlusconi en passant par les contestations ouvrières des années 1960) ont souvent été des prémisses des événements à venir ailleurs, sur le continent. 

Alors, une fois oublié le point de vue des médias, quel sens donner au Mouvement cinq étoiles, identifié à Beppe Grillo ?

C'est une formation politique inédite, formée en six mois, organisée à partir de réseaux sur Internet, en dehors des télévisions et des journaux, caractérisée par une forte protestation sociale et qui réclame notamment la diminution des heures de travail ("de façon très ambiguë", nous dit Antonio Negri) et un revenu garanti pour tous.

Le Mouvement cinq étoiles attaque les représentations politiques et les partis, "en termes cohérents" avec ce que le philosophe présente comme "le besoin d'autogestion du commun". Il s'agit de "construire de nouvelles institutions par le bas", "comme le réclamait Spinoza" explique le spécialiste du Prince des philosophes. Alors que l'extrême-gauche traditionnelle, Révolution civile, ne remporte que 2 % des suffrages, trop ancrée dans des visions ouvriéristes du monde du travail, le Mouvement cinq étoiles semble né d'un formidable désir de commun. Or cette aspiration au commun s'est traduite en Italie par le référendum pour l'eau, bien commun, en 2011, porté par le slogan “Ça s'écrit EAU, mais ça se lit démocratie” : le oui a recueilli 95 % des suffrages.

Le commun explique Antonio Negri, ce "nouveau droit naturel" , vient remplacer le public, le domaine de l'Etat, qui apparait à de multiples niveaux, compromis : en effet les citoyens ne se sentent plus protégés par l'Etat, le secteur public étant largement déterminé par les intérêts du capitalisme. Le sentiment du commun est cet appel pour la ré-appropriation des structures de l'Etat-providence (eau, éducation, santé, Justice...) qui tombent peu à peu sous la coupe du privé. La "patrimonialisation  du public sous forme du privé" se traduit par l'idée de "dette sociale". Or, "la dette sociale, c'est la mystification par le capital de la puissance de la coopération sociale." Sans coopération sociale, pas de production de valeur.  Ainsi le commun est "le moteur et le résultat" de la résistance populaire.

Pourtant, ce concept n'existe pas d'un point de vue constitutionnel en Italie : il convient de l'inventer. En ce sens le Mouvement cinq étoiles représente une volonté d'instaurer une démocratie participative, "et non un fantasme anarchiste comme la démocratie directe." Le mouvement vient de refuser l'alliance avec la Gauche (un tiers des suffrages) et la droite (un tiers des suffrages)  - car, regrette Antonio Negri qui se revendique homme de gauche, gauche et droite appliquent la même politique -. Le Mouvement cinq étoiles semble également en bonne place pour remporter bientôt la Municipalité de Rome.

Alors, populiste, ou simplement populaire ?