Aux six millions d’individus qui se sont cru malins, hier, plaçant leur petit papier revanchard dans l’urne électorale, je n’entends pas proposer une énième analyse socio-économique : elles pullulent depuis des années dans tous les journaux, oubliant de signaler que cette montée inexorable du FN c’est la lente mais certaine décadence des Français qui s’avachissent dans la peur, la colère et le ressentiment.
J’oserai aussi les qualifier de traîtres, car du haut de leur petite tribune d’électeurs frustrés ils offensent cette démocratie, cette patrie dont ils arborent fièrement le drapeau, celle de Charlie, celle de ceux du Bataclan, la patrie Black Blanc Beur qu’ils aiment applaudir par millions quand elle reste derrière leur foutue télé.

Un souvenir de jeunesse

Dans les années 1990 le maire de Boulogne, Hauts de Seine, tout RPR qu’il fût, autorisa la tenue à l’hôtel de ville d’un meeting du Front National. La population de la ville – sa jeunesse en tout cas – avait manifesté sur le Boulevard Jean Jaurès, en nombre. Accompagnée d’un ami polonais, j’avais moi-même passé les cordons de sécurité qui bloquaient les abords de l’hôtel de ville : nous étions parvenus, seuls, sur le parvis. Très vite encerclés par une bonne centaine de militants qui avaient repéré nos brassards « Anti-fascisme », nous n’en menions pas large. Les jeunes FN se mirent à nous parler, essayant de nous convaincre de venir assister au meeting, nous petits blonds aux yeux clairs. Identifiant soudain l’accent de mon ami, l’un d’eux osa une mémorable boutade :
Ah tu es Polonais ! Bienvenue mon ami ! On peut t’applaudir ! Vous les Polonais vous avez tué des millions de Juifs !
Et tous de partir dans un grand éclat de rire général.
C’est alors qu’apparut Paul, un copain du quartier, qui s’approcha de nous pour nous embrasser :
Cela fait plaisir de vous voir là ; on est au moins trois !
L’accolade ne dura qu’une seconde car Paul se prit brutalement un coup de poing en pleine face, il se mit à pisser le sang, tombant à terre au milieu des brutes. Mon ami et moi l’aidâmes à se relever. Nous partîmes à toutes jambes, continuant à échanger insultes de notre côté, menaces de l’autre.

Voilà pour qui votent les électeurs du Front National : ces jeunes qui se félicitaient de l’assassinat de six millions de Juifs et n’hésitaient pas à frapper trois jeunes gens en pleine place publique avaient 20 ans dans les années 1990. Ils en ont maintenant 45 et trinquent aujourd’hui à la Haine,  triomphants.
Chacun est responsable de ses opinions : il sera bientôt trop tard, quand le pays sera déchiré,  à feux et à sang, de dire qu’on ne savait pas.

Alors il n’y aura plus de 13 novembre car il n’y aura plus de salles de spectacles. Il n’y aura plus de 7 janvier, car il n’y aura plus de journaux indépendants. Du chômage, de la misère, il y en aura encore. Les terroristes ? Ils reviendront, quant à eux, victorieux devant notre vieille démocratie, exsangue.