La non-couverture médiatique de la situation au Chiapas (où depuis 1994 des communautés zapatistes se sont libérées du gouvernement mexicain pour s'autogérer) ne signifie pas la disparition de la révolution zapatiste, bien au contraire. Voilà ce qu'ont rappelé les compañeros et compañeras le 21 décembre dernier en "occupant pacifiquement et en silence cinq chefs-lieux municipaux" du Chiapas. Une présence silencieuse fortement symbolique face à une modernité experte en bavardages et autres gazouillis électroniques. 

"Mexique, 30 décembre 2012.

Au peuple du Mexique :
Aux peuples et gouvernements du monde :
Frères et sœurs :
Compañeros et compañeras :

Le 21 décembre dernier à l’aube, nous sommes des dizaines de milliers d’indigènes zapatistes à nous être mobilisés et à avoir occupé pacifiquement et en silence cinq chefs-lieux municipaux de l’Etat du Sud-Est mexicain qu’est le Chiapas.
Dans les villes de Palenque, Altamirano, Las Margaritas, Ocosingo et San Cristóbal de las Casas, nous vous avons regardé et nous nous sommes regardés nous-mêmes en silence.

Le nôtre n’est pas un message de résignation Il n’est pas de guerre, de mort et de destruction. Notre message est de lutte et de résistance.

Après le coup d’État médiatique qui protège au sein du pouvoir exécutif fédéral l’ignorance mal dissimulée et encore plus mal maquillée, nous nous sommes manifestés pour leur faire savoir que si eux ne sont jamais partis, nous non plus.

Il y a 6 ans, un segment de la classe politique et intellectuelle est parti chercher un responsable de sa défaite. Nous luttions alors dans les villes et dans les communautés afin d’obtenir justice pour un Atenco qui n’était alors pas à la mode.
Dans cet hier ils nous ont tout d’abord calomnié avant de tenter de nous faire taire. Incapables et malhonnêtes pour voir qu’ils portaient et portent encore en eux-mêmes le levain de leur ruine, ils ont prétendu nous faire disparaître avec le mensonge et le silence complice.

Six ans après, deux choses restent claires :
Eux n’ont pas besoin de nous pour échouer. Nous, nous n’avons pas besoin d’eux pour survivre.


Nous, qui ne sommes jamais partis bien que les médias de tous bords aient tenté de vous le faire croire, nous avons resurgi en indigènes zapatistes que nous sommes et que nous serons.
Durant ces années nous nous sommes fortifiés et nous avons amélioré significativement nos conditions de vie. Notre niveau de vie est supérieur à celui des communautés indigènes proches des gouvernements en place, qui en reçoivent les miettes et les gaspillent dans l’alcool et les produits inutiles.
Nos habitations s’améliorent sans pour autant abîmer la nature en lui imposant des chemins qui lui sont étrangers.
Dans nos villages, la terre, qui avant servait à engraisser le bétail des finqueros et des grands propriétaires, est aujourd’hui dédiée au maïs, au haricot rouge et aux légumes qui illuminent nos tables.
Notre travail reçoit la double satisfaction de nous approvisionner du nécessaire afin de vivre dignement, tout en contribuant à la croissance collective de nos communautés.
Nos enfants vont dans une école qui leur enseigne leur histoire, celle de leur patrie et celle du monde, ainsi que les sciences et les techniques nécessaires afin de grandir sans cesser d’être indigènes.
Les femmes indigènes zapatistes ne sont pas vendues comme des marchandises.
Les indigènes priistes (du nom du parti politique, lePRI, Parti Révolutionnaire Institutionnel, qui a régné pendant 71 années consécutives au Mexique, NDLR) fréquentent nos hôpitaux, cliniques et laboratoires d’analyse parce que dans ceux du gouvernement il n’y a ni médicaments, ni appareils, ni docteurs, ni personnel qualifié.
Notre culture fleurit, non pas dans l’isolement mais enrichie du contact avec les cultures des autres peuples du Mexique et du monde.
Nous gouvernons et nous nous gouvernons nous-mêmes, en recherchant toujours avant tout l’accord plutôt que la confrontation.
Tout cela a été obtenu non seulement sans le gouvernement ni la classe politique, ni les médias qui l’accompagnent, mais aussi en résistant à leurs attaques de tous types.

Nous avons démontré une fois de plus que nous sommes qui nous sommes.
Avec notre silence nous nous sommes manifestés.


Maintenant, avec notre parole nous annonçons que :

Premièrement. - nous réaffirmerons et nous consoliderons notre appartenance au Congrès National Indigène, espace de rencontre avec les peuples originaires de notre pays.

Deuxièmement. - Nous renouerons le contact avec nos compagnons et nos compagnes Adhérent-es de la Sixième Déclaration de la Forêt Lacandone au Mexique et dans le monde.

Troisièmement.- Nous essaierons de construire les ponts nécessaires en direction des mouvements sociaux qui ont surgi et qui surgiront, non pas pour les diriger ou les remplacer, mais pour apprendre d’eux, de leur histoire, de leurs chemins et de leurs destinées.
Pour cela nous comptons sur le soutien d’individus et de groupes de différentes parties du Mexique, regroupés en équipes de soutien des commissions Sexta et Internazionale de l’EZLN, afin qu’ils se convertissent en courroies de communication entre les Bases de Soutien Zapatistes et les individus, groupes et collectifs Adhérents à la Sixième Déclaration, au Mexique et dans le monde, qui maintiennent encore leur conviction et leur engagement pour la construction d’une alternative non institutionnelle de gauche.

Quatrièmement.- Nous maintiendrons notre distance critique face à la classe politique mexicaine qui, dans sa totalité, n’a rien fait d’autre que de prospérer aux dépens des besoins et des espérances ds gens simples et humbles.

Cinquièmement.- Au sujet des mauvais gouvernements fédéraux, étatiques et municipaux, exécutifs, législatifs et judiciaires ainsi que des médias qui les accompagnent, nous disons la chose suivante :
Les mauvais gouvernements de tout le spectre politique sans exception aucune, ont fait tout leur possible pour nous détruire, nous acheter, nous soumettre. Parti Révolutionnaire Institutionnel, Parti d’Action Nationale, Parti de la Révolution Démocratique, Parti Vert Ecologiste Mexicain, Parti du Travail, Convergence Citoyenne ainsi que le futur parti de Régénération Nationale, nous ont attaqué militairement, politiquement, socialement et idéologiquement.
Les grands médias ont essayé de nous faire disparaître d’abord au travers de la calomnie servile et opportuniste, puis au travers du silence sournois et complice. Ceux à qui ils ont servi et dont ils ont tété l’argent ne sont plus là. Et ceux qui les remplacent aujourd’hui ne dureront pas plus longtemps que leurs prédécesseurs.

Comme cela fut mis en évidence le 21 décembre 2012 dernier, ils ont tous échoué.

Il reste donc au gouvernement fédéral, exécutif, législatif et judiciaire à décider s’il réitère sa politique de contre-insurrection qui n’a rien obtenu d’autre qu’une faible simulation bêtement soutenue par la gestion médiatique, ou bien s’il reconnaît et tient parole au sujet de ses engagements, en élevant au rang constitutionnel les droits et la culture indigènes, tel qu’il sont établis dans ce qu’on appelle les « accords de San Andrés », signés par le gouvernement fédéral en 1996, dirigé alors par ce même parti aujourd’hui en charge de l’exécutif.
Il reste au gouvernement du Chiapas à décider s’il maintient la stratégie malhonnête et ruineuse de son prédécesseur, qui, en plus d’être corrompu et menteur, a utilisé les deniers du peuple chiapanèque pour son propre enrichissement et celui de ses complices, et s’est dédié à l’achat à visage découvert des voix et des plumes dans les médias, tandis qu’il plongeait le peuple du Chiapas dans la misère en même temps qu’il utilisait ses policiers et paramilitaires afin de tenter de freiner l’avancée du processus d’organisation des peuples zapatistes ; ou bien si, avec vérité et justice, il accepte et respecte notre existence et se fait à l’idée que fleurisse une nouvelle forme de vie sociale au sein du territoire zapatiste, au Chiapas, Mexique. Un épanouissement qui attire l’attention de personnes honnêtes partout sur la planète.
Il reste aux gouvernements municipaux à décider s’ils continuent à avaler les couleuvres avec lesquelles les organisations antizapatistes et soi-disant « zapatistes » les extorquent pour agresser nos communautés ; ou bien si ils utilisent alors ces deniers pour améliorer les conditions de vie de leurs gouvernés.
Il reste au peuple du Mexique qui s’organise autour de la lutte électorale et qui résiste, à décider s’ils continuent à voir en nous des ennemis ou des rivaux sur lesquels décharger leur frustration du fait des fraudes et des agressions qu’au final nous souffrons tous, et si dans leur lutte pour le pouvoir ils continuent à s’allier avec nos persécuteurs ; ou s’ils reconnaissent enfin en nous une autre manière de faire de la politique.

Sixièmement.- dans les prochains jours l’EZLN au travers de ses commissions Sexta et Internazionale, fera connaître une série d’initiatives de caractère civil et pacifique visant à marcher aux côtés des autres peuples originaires du Mexique et de tout le continent, ainsi qu’aux côtés des gens qui au Mexique et dans le monde entier, résistent et luttent en bas à gauche.

Frères et sœurs : Compañeros y compañeras :
Auparavant nous avions la chance de compter sur l’attention honnête et noble de divers médias. Nous les avons alors remercié. Mais cela a été complètement effacé par leur attitude postérieure.
Ceux qui ont parié sur le fait que nous n’avions qu’une existence médiatique et qu’au travers de l’isolement médiatique et du silence nous disparaîtrions, se sont trompés.
Quand il n’y avait ni caméras, ni micros, ni plumes d’écrivains, ni écoute, ni regard, nous existions.
Quand ils nous calomniaient, nous existions.
Quand ils nous passaient sous silence, nous existions.
Et nous sommes là, existants.
Notre chemin, comme cela a été démontré, ne dépend pas de l’impact médiatique, mais de la compréhension du monde et de ses parties, du savoir indigène qui régit nos pas, et de la décision inébranlable qu’apporte la dignité d’en bas à gauche.
A partir de maintenant notre parole commencera à être sélective quant à ses destinataires, et à part quelques occasions, ne pourra être comprise que par ceux qui ont marché et qui marchent avec nous, sans se soumettre aux modes médiatiques et conjoncturelles.

Ici, bien qu’avec un certain nombre d’erreurs et beaucoup de difficultés, une autre forme de faire de la politique est déjà réalité.
Peu, très peu auront le privilège de la connaître et d’apprendre directement d’elle.

Il y a 19 ans nous les avons surpris en occupant leurs villes avec le feu et le sang. Aujourd’hui nous l’avons refait, sans armes, sans morts, sans destruction.
Nous nous différencions ainsi de ceux qui, durant leurs gouvernements, ont réparti et répartissent la mort entre leurs gouvernés.
Nous sommes les mêmes qu’il y a 500 ans, qu’il y a 44 ans, qu’il y a 30 ans, qu’il y a 20 ans, qu’il y a à peine quelques jours.
Nous sommes les zapatistes, les plus petits, ceux qui vivent, luttent et meurent dans le dernier recoin de la patrie, ceux qui ne titubent pas, ceux qui ne se vendent pas, ceux qui ne se rendent pas.

Frères et sœurs : Compañeros y compañeras :
Nous sommes les zapatistes, recevez nos embrassades.
Démocratie ! Liberté ! Justice !

Depuis les montagnes du sud-est mexicain
Pour le Comité Clandestin Révolutionnaire Indigène - Commandement Général de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale.
Sous-commandant Insurgé Marcos. Mexique. Décembre 2012 / janvier 2013"