À trop écouter les médias au pouvoir, la réalité du monde nous échappe très largement. Prenons le cas de l'Amérique latine : les informations comme leur analyse manquent de sérieux et d'objectivité. Le mouvement zapatiste, guérilla offensive dirigée par le seul Marcos (voir Acrimed, rubrique international, Quand le Monde s'essouffle au Chiapas) ? Le Vénézuela, Etat voyou ? La Bolivie, marasme syndical ? Ici comme ailleurs, selon Samuel Moncada, Directeur de l'école d'histoire de l'Université centrale de Caracas, le maître est américain :

Le monde vit des jours difficiles, des jours dangereux. Les lois et les institutions créées par les nations pour maintenir la paix mondiale sont méconnues par le gouvernement qui détient le pouvoir militaire le plus étendu de l'histoire de l'humanité.
Des millions de civils innocents subissent les conséquences de ce pouvoir incontrôlé. Une guerre déclenchée par un gouvernement qui, à l'encontre de la Communauté internationale, joint au but illégal de détruire préventivement le pays qu'il considère une menace : celui de contrôler les ressources naturelles de ce peuple. L'utilisation du pouvoir militaire pour maintenir la supériorité économique représente un danger pour les petites nations du monde. Dans ces circonstances terribles, le principe d'égalité entre nations souveraines disparaît et est remplacé par la loi du plus fort, la plus primitive des lois.

Cette réalité amène aujourd'hui le Président Chavez, rétabli dans ses fonctions le 13 avril 2002 par le peuple vénézuelien, à mettre en garde la communauté internationale le 20 févirer contre son assassinat imminent : Si on m'assassine, j'en rends responsable le président des Etats-Unis, George Bush. (Le Monde diplomatique) Ambiance, ambiance... Si la force de l'agresseur ne fait pas de doute, le rassemblement du peuple reste le seul moyen de contrer l'offensive. Plus généralement, l'historique des derniers soulèvements populaires en Amérique latine est impressionnant. Selon Beatriz Stolowicz, Sociologue, professeur à la faculté des sciences politiques de l'Université autonome métropolitaine de Xochimilco, Mexico, dans le numéro de l'été 2005 d'Amnistia.net :

En janvier 2000, un soulèvement populaire en Equateur entraîne la destitution du président Jamil Mahuad. En avril 2000, un autre soulèvement populaire à Cochabamba en Bolivie freine la privatisation de l'eau.
En février 2001, c'est "la marche de la dignité" convoquée par l'Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) au Mexique qui mobilise des millions de personnes. En décembre 2001, un mouvement populaire en Argentine fait tomber le président Fernando De la Rúa et trois autres présidents en quinze jours et se maintient dans les rues pendant plus de sept mois. En avril 2002, la résistance du peuple vénézuélien conjure un coup d'Etat, et la mobilisation se répète entre décembre 2002 et février 2003 face au débrayage du patronat putschiste.
En mai 2002, une mobilisation nationale débute en Bolivie, qui se maintient de façon ininterrompue jusqu'en février 2003, faisant reculer des décisions économiques impopulaires du gouvernement et réclamant une assemblée nationale constituante (ces mobilisations serviront de base électorale au quasi-triomphe d'Evo Morales cette année-là). En juin 2002, un mouvement populaire à Arequipa au Pérou freine la privatisation du secteur électrique; le même mois, un soulèvement populaire au Paraguay s'oppose à la privatisation des télécommunications, de l'électricité, de l'eau, des égouts, des transports ferroviaires et empêche l'approbation d'une loi antiterroriste.
En août 2002, les paysans de San Salvador Atenco au Mexique s'opposent à la construction transnationale d'un aéroport géant et empêchent la prise d'effet de l'expropriation de leurs terres. Au même moment, des médecins et travailleurs de la sécurité sociale du Salvador débutent une grève de sept mois qui s'oppose à la privatisation des services sanitaires.
Au Brésil, en septembre 2002, un mois avant les élections présidentielles, dix millions de personnes manifestent contre l'Accord de libre-échange des Amériques (ALCA). En Colombie, en plein milieu de la guerre intensifiée par le plan Colombia, une grève générale est organisée le 16 septembre 2002, et en octobre 2003, les Colombiens font échouer un référendum imposé par le président Alvaro Uribe. A Vieques à Porto Rico, après des années de résistance, le départ de l'île de la marine des Etats-Unis est obtenu en avril 2003. Et entre février et octobre 2003, un soulèvement du peuple bolivien (la guerre du gaz) contre la privatisation de ce secteur contraint le président Gonzalo Sánchez de Lozada à démissionner. Ce ne sont là que quelques exemples notoires, mais il y a beaucoup d'autres mobilisations similaires, dans tous les pays.

Les Etats-Unis, puissance stable d'une paix qui n'est qu'une guerre aux peuples... L'Europe a t-elle pour autant abandonné cette manière de faire ? A en croire les Africains, nous sommes loin du compte (lire Un appel au Président Chirac : l'Afrique doit pouvoir vivre debout). Car que réclament les pays d'Amérique du Sud comme d'Afrique ? L'autonomie, c'est-à-dire la possibilité de gérer leurs richesses à leur profit. Si nous, Européens sommes ulcérés par un tel ordre politique mondial, alors il faut en toute logique bouleverser le fonctionnement même de notre économie. Pour rendre possible l'autonomie du Sud, notre développement doit être fondé sur nos richesses. Concentrons-nous par conséquent sur ce que nous sommes les seuls (ou presque) à savoir faire, en le faisant excellement. Rêvons un peu : une agriculture biologique à grande échelle pour sortir de la surproduction et des périls agro-alimentaires ;une industrie fondée sur des technologies non polluantes pour garantir la survivance de l'emploi sur notre sol ; la production d'énergies innovantes pour au moins respecter les engagements de Kyoto et surtout envisager l'avenir de nos enfants ; l'éducation et la formation de tous à des techniques nouvelles et à une éthique fondée sur des valeurs fortes : respect des individus (humain, animal comme végétal), partage du travail et de ses fruits, recherche et progrès scientifique... Mais pour mener à bien de tels projets, n'avons-nous pas nous aussi d'abord à réinvestir l'espace public... ou ce qu'il en reste ?

Pour les hispanisants, consultez El jugueterabioso, journal indépendant bolivien désormais distribué à Paris.