Extraits de Tsiganes, sur la route avec les Rom Lovara, de Jan Yoors (Ed. Phébus), témoignage d'un jeune hollandais adopté par une communauté tsigane dans les années trente.

Du savoir-vivre

"Au réveil, ils ne s'adressent pas la parole avant de s'être lavés. Ce serait manquer de la politesse la plus élémentaire. (...) A dire vrai les règles très strictes qui régissent la vie de la communauté ne concernent que les adultes. Les enfants, surtout les petits garçons, ont une conception très spéciale de la morale. A l'intérieur du camp, ils se comportent avec un minimum de décence, mais en présence d'étrangers ils se permettent à peu près tout. Les gadje [les non-Rom] ont souvent été les témoins d'exhibitions extrêmement osées. Comme ces gestes obscènes sont destinés à les scandaliser, ils ne sont pas désapprouvés par les parents."

"Pour les Rom, la privauté est un état d'esprit. Ils ne s'immiscent pas dans la vie d'autrui, non par indifférence mais par discrétion."

De la coquetterie

"Que tes vêtements se déchirent et tombent en loques mais que ta santé soit bonne et que tes vœux soient exaucés. "

Du vol

"Putzina m'expliqua que le vol est chose admise chez les Rom, à condition qu'il se limite à des objets de première nécessité. Ce qui est condamnable, c'est le désir de posséder, lequel rend esclave d'appétits que nous n'avons pas besoin de satisfaire. Il est naturel de ramasser du petit bois dans la forêt - si on ne le ramassait pas, il pourrirait - et naturel de faire paître les chevaux dans le pré de quelqu'un - l'herbe repousse d'elle-même."

"L'idée de voler des enfants paraît absurde aux Rom. N'en ont-ils pas assez à eux ?"

Symbolique

"Les Rom attachent beaucoup d’importance à "l'eau qui coule", qui symbolise pour eux la vie qui se renouvelle."

""Qu'est ce qui est plus grand, le chêne ou le pissenlit ? (...) Celui qui donne le meilleur de lui-même." Un pissenlit arrivé à maturité est plus grand qu'un chêne rabougri. La question de taille ou d'utilité n'entre pas en ligne de compte. Ce qui importe, c'est de se réaliser pleinement en restant fidèle à sa nature."

"Ce qui divise est mauvais, ce qui unit est bon. La vie qui s'écoule comme cette eau est un dialogue. La mort, c'est la solitude, elle mène au chaos et à la désintégration."

De la mort

"Les Tsiganes ne gardent rien qui ait appartenu à un mort."

"... les tables dépourvues de fleurs fraîches, les Rom pensant qu'elles font partie de la nature et ne doivent jamais être coupées. Elles étaient pour eux le symbole d'une mort prématurée et la fête qui se déroulait [un mariage] était celle de la perpétuation de la vie."

"Ils ne comprennent pas l’intérêt que l'Autre Monde suscite chez les gadje. Lorsqu'ils en parlent c'est pour dire : "tout le monde ira et quand on y sera on saura." Les Lovara [communauté Rom qu'a rejoint le narrateur] pensent qu'il y a des morts qui reviennent sur la terre pour hanter les vivants ; ce sont ceux qui ont quelque chose à se reprocher et viennent solliciter le pardon et ceux qui sont morts subitement ou prématurément. La mort soudaine est ce que redoutent le plus les Rom. Ils veulent quitter ce monde en pleine connaissance, au milieu des leurs. C'est ce qu'ils appellent une "grande mort"."

De la valeur des hommes

"Les Rom disent qu'on mesure la valeur d'un homme aux responsabilités qu'il est capable d'endosser."

"La seule forme de discipline que les Lovara reconnaissaient en fin de compte était l'autodiscipline, c'est-à-dire une discipline faisant appel à la responsabilité. Pour eux la peur était l'attribut symbolique de beng, le Mal, parce qu'elle détruisait l'âme humaine."

"Si les montagnes sont immobiles, les hommes bougent."

De l'organisation sociale

"Les Tsiganes ont leur propre jurisprudence, la Kris, qui repose sur un système complexe de lois et de liens légaux, ce qui contredit l'impression superficielle des gadje que les Romani mènent une vie complètement libre."

"Les Tsiganes ayant toujours souffert de l'animosité des gadje, trouvent tout naturel de s'entraider. De vieux Rom se souviennent du temps où ils étaient poursuivis comme des bêtes sur l'ordre de gouvernements tyranniques. Ils se cachaient dans les forêts et se nourrissaient de glands. Ils furent assez sages pour laisser passer l’orage : à quoi sert de se rebeller quand on n'a pas la force pour soi ? Les lois sont ce que les puissants en font. A en croire Pulika [père adoptif du narrateur], un gouvernement, qu'il soit communiste ou capitaliste, ne songe qu'à se procurer de l'argent, et, de cet argent, il devient l'esclave."

"Chez les Tsiganes, il n'y a pas de pouvoir central. Les kumpania sont autonomes, mais se secourent mutuellement."