Rappel des faits : le 11 novembre 2008, 150 policiers débarquent dans le village de Tarnac, Corrèze, 63 km de Tulle. Vingt personnes appartenant à "l'ultra-gauche, mouvance anarcho-autonome", sont interpellées dans le cadre des investigations sur les actes de sabotage contre des caténaires SNCF survenus durant le week end. Michèle Alliot-Marie alors Ministre de l'Intérieur se félicite de ce qui est directement présenté comme un coup de maître et fait l'objet d'une standing ovation à l'assemblée nationale. 

Mars 2012  : L’instruction est toujours en cours. Son dossier compte près de 198 cotes et 32 tomes.

C'est à cette somme de procès-verbaux que s'attaque David Dufresne, journaliste indépendant, au sens fort du terme. C'est à une foule de témoins et d'acteurs de cette affaire qu'il soumet son interrogation centrale : comment s'est constitué ce dossier antiterroriste  ?  

Pour ce faire, la description et l'analyse de l'antiterrorisme révèle le lien entre la construction fantasmatique d'ennemis intérieurs et la réorganisation alors en cours de la police et de la gendarmerie française.

On n'est plus dans la police judiciaire, quand on est dans la police antiterroriste. On est dans la politique. L'idée maîtresse de l'affaire de Tarnac, c'était de dire que la fusion DST-RG (Direction de la surveillance nationale, ministère de l'intérieur police judiciaire - et Renseignements généraux, sous la direction de la police - ndlr), la réforme du renseignement, était bonne. On a vite compris qu'il ne fallait pas lutter contre la machine Squarini, le futur patron de la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur, ministère de l'intérieur - ndlr), le copain de Sarko. Une enquête sur initiative du parquet, comme l'a été cette affaire de Tarnac, c'est politique, c'est dangereux. Le politique s'est créé un outil, hors de contrôle, qui exécute les basses œuvres. Cette affaire en est un emblème. Elle inaugure une nouvelle ère.

Ainsi s'exprime Flathead, pseudo d'un lieutenant de la gendarmerie nationale. Il résume bien le contexte décrit par l'enquête de Dufresne.

Avant tout le besoin pour les ex-RG de se mettre quelque chose sous la dent : on apprend que le groupe antiterroriste chargé des "contestations et violences" se divisait en quatre cellules : "Corses", "Basques", cellule extrême droite et cellule extrême-gauche. A l’intérieur de cette dernière étaient distingués les "durs" et les "mous".

- Les mous ? (...).

- En gros, les militants antinucléaires, la Ligue communiste révolutionnaire, Attac.

Et les durs ? C'est en février 2001 que les RG commencent à dessiner l'ombre d'un nouveau mouvement chargé de représenter une menace terroriste venue de l'extrême gauche : le fichier "anarcho-autonomes" est créé.

En décembre 2002, une nouvelle fiche est ouverte. Elle porte le nom de Julien Coupat (le prétendu "chef" des inculpés de Tarnac- ndlr). Deux ans plus tard le fichier des personnes recherchées de la direction centrale des RG a explosé : près de quatre cents noms y figurent. Tout y passe, de la moindre occupation de faculté à la moindre action de chômeurs en colère. 

Les prétendus durs vont donc être surveillés, écoutés, une enquête est engagée lors de l'achat de la ferme des Goutailloux de Tarnac, là où les anarcho-autonomes sont censés préparer la révolution.

Car l'appareil de l’État dispose d'un document qui sert de "preuve" tout au long de l'affaire : peu importe que cet essai soit anonyme (il est signé par le Comité invisible). Malgré les dénégations de l'éditeur et de l’intéressé, il est mis au crédit de Julien Coupat, et tout ce qu'il recèle d'injonctions à la révolte est retenu contre lui. L'insurrection qui vient parait le 22 mars 2007 aux éditions la Fabrique. Alain Bauer, criminologue, conseiller de l'Elysée sarkozyste en achète quarante exemplaires et en refile à différents journalistes, ainsi qu'au directeur de la police nationale, Frédéric Péchénard.  Attention, l'ouvrage est en vente dans toutes les bonnes librairies, où à l'époque (j'appartiens au groupe des "mous" décrit ci-dessus...)  je l'ai moi-même déniché... Comment son contenu peut-il devenir une pièce à conviction dans un dossier antiterroriste ?

Comprendre cette paranoïa du pouvoir paraît indispensable à l'heure où la machine antiterroriste demeure en place, avec ses outils bien affûtés par Sarkozy et ses sbires. Tarnac, magasin général est une enquête passionnante au cœur de la société française, de ses villes et campagnes où certains essaient de vivre et de penser autrement. Pas comme des porcs, dirait l'autre.