Base sous-marine,  samedi soir : un lieu lugubre et mystérieux, sombre, imposant, empli par moitié d'une eau inquiétante accueille le public des Grandes traversées, festival d'Art contemporain de Bordeaux. La Compagnie Matanicola est aux commandes. Musique inspirée, dizaines de ballons colorés illuminés de l'intérieur se promenant au bras des spectateurs, le lieu en béton semble animé d'une vie intense. Des artistes se baladent parmi les badauds (reconnaissables à la blouse blanche en plastique que la plupart a revêtue) : une femme et sa boule sur laquelle elle roule, danse, court ; des travestis aux talons immenses dont la silhouette gracile rappelle que la fragilité n'est pas inhérente aux femmes mais à l’accoutrement qu'elle acceptent de revêtir ; des couples de danseurs dont les échanges oscillent entre attirance, répulsion et marche forcée ; un peintre et son tableau en cours ; un homme nu (toujours de bon effet...) ; des personnages arrimés au plafond ou aux murs...

Tout ce monde s'est finalement regroupé pour un tableau gesticulant, les dizaines de ballons colorés postés autour d'eux.

Une seconde partie de soirée a alors débuté avec l'intervention d'une diva aux allures romaines, sorte de Néron poussant la vocalise sur la musique servie par son servant DJ. Après s'être envolé (littéralement harnaché ), notre chanteur a été remplacé par l'homme nu qui avait finalement revêtu une lourde perruque blonde  de la couleur de sa moustache, des hauts talons, une culotte et une énorme paire de seins en plastique. Accompagné de deux personnages encagoulés, il s'est livré à une danse grand guignolesque, plutôt soutenu par un public bon enfant. 

Je ne vous raconterai pas la suite car je me suis éclipsée, plutôt intriguée par les émotions suscitées par cette soirée. Il m'a semblé qu'à grands renforts d’artifices, (sinon d'art ?) Matanicola m'avait replongée dans mes souvenirs de rave-party, la Base sous-marine possédant en effet tous les atours des hangars qui accueillaient (je n'ose parler au présent !) dans les années 1990 les free-party parisiennes. Dans ce lieu tout à fait singulier, le mélange des ballons idylliques, des quidams se promenant au milieu de personnages outrageusement maquillés provoquait la curiosité, invitait à la déambulation, suscitait le désir de voir et d'entendre. Mais ce qu'il faut noter c'est que ces impressions étaient naturellement provoquées et non engendrées par la prise quelconque de drogue : la différence est de taille quand on réfléchit à la scission entre public et artistes. La drogue interdit cette nette distinction car le public qui sagement entourait les artistes du Matanicola Magical Mystery Tour n'aurait pas, sous acide, résisté à l'envie de sauter sur le trampoline géant ou de prendre les pinceaux du peintre en vadrouille...

Enfin j'ai quand même vu un homme utiliser un rétroprojecteur dirigé contre un immense mur vide, se mettant à jouer aux ombres chinoises... Quand il s'est arrêté j'ai compris qu'il s'agissait d'un gardien, qui lui aussi voulait participer...