Il dit : "N'approche pas ici ! Ôte tes sandales de tes pieds oui, le lieu sur lequel tu te tiens est une glèbe sacrée" (2)
C’est sans angélisme que j’ouvre la porte de mes mots par un souffle qui procure une anxiété. L’Afrique peut-elle tout à fait se comprendre sans les religions, les croyances sans divinités, les imaginaires ? Elle est encore peuplée de ces totems et fétiches ensorceleurs, habitée d’âmes ardentes ; des âmes forgées par une terre de soleil.
Mais pour combien de temps encore cette Afrique-là ? Du sacré qui contrôle le tout vers le profane (laïque?) permissif et réducteur explorant tous les possibles, les âmes rouges et noires aux corps bouillants tiédissent, la terre est mise à nu et on se partage sa tunique (3).
Me voilà revenu d’un séjour au Niger, dans un état second et semi-dépressif. Est-ce une hypersensibilité due à une carence, un trouble temporaire de mon foie intoxiqué, ou un réel constat apocalyptique, peut-être prophétique? Très concrètement, je ne sais pas si cela est dû à l’éloignement de la ritournelle médiatique mondiale, d’un retour à une réalité terrienne ; mais je sais que j’ai perdu le gout des saveurs et ma peau a changé d’odeur pour dégager à présent une odeur pestilentielle. Et puis, il y a des faits constatés dont le sens ne saute pas aux yeux. Alors, pour tenter de comprendre autrement, je décide de mettre mes lunettes TIA (This is Africa).
Plusieurs avant moi avaient déjà évoqué une malédiction, la présence de l’ombre de la mort (4). Comment peut-il en être autrement ? Le président de la chose publique, ancien directeur technique d’une filiale d’Areva, cette dernière en débâcle, prête serment sur le Coran, et ne cesse de parjurer. N’est-ce pas malédiction et multiplication de pain et poisson de malédiction? Et beaucoup mangent à cette table. Aveugles, ils suivent un aveugle vers l’abîme (5).
Dans le même temps, le peuplement humain sous-le-soleil et sur les rotules, se contente d’amuse-gueules tartinés de beurre de salives et d’œufs de mouches, trime quotidiennement, fait de l’huile, d’une huile malodorante et certainement frelatée qui provoquera un embrasement de tous les foies et la disjonction des cerveaux.
Pas d’eau, le bain de nos âmes depuis la fondation du monde. Coupures d’électricité intempestives au pays des producteurs d’uranate. Priorité de l’eau aux peuples sous-la-clim permanente : des militaires, USA et France se barricadant de ceux du drapeau noir pour efficacement rendre le mal sans avoir trop mal ; de l’eau fraîche pour des administrations aliénées, potable pour des industries décomplexées (Chine et consorts). Des millions de mètre-cube payés de millions de Francs CFA (vieux franc français), passant sans signature, de main à main, sont pompés pour des richesses invisibles localement, pour des projets de guerre ou d’élections.
A quelles fins ? Non. Pas du tout pour la terre, ni pour la nourrir mais pour finir de l’anéantir. On lui retourne l'eau crasseuse de nos fureurs, pour des âmes à contaminer sur du long terme, et de mort lente (6). Surtout pas d’effet immédiat et évident. Une autre stratégie de terre brûlée. La Terre polluée, piétinée, violée, souillée durablement. Même le puissant dieu Soleil, son plus fidèle compagnon céleste, n’y peut rien. Personne ne s’en soucie ni n’a de regard pour elle. Bien au contraire, tous, même le peuplement pastoral humain au nord comme celui du sud du Niger, tels des poux dans les cheveux, apprennent déjà à vivre hors sol, agissent en prédateur à son égard. Aucun ou presque n’a la conscience de la préserver, de la restaurer, parcelle par parcelle, de couvrir sa nudité pour l’avenir, pour un bien être personnel, y compris dans son propre carré. Comment peut-on prospérer avec si peu d’égard pour sa terre-mère, la nourricière, si peu pour ses animaux domestiques et de somme? Il faut pourtant l’aimer cette terre ! Ne plus adhérer à la terre, c’est régresser vers le sacré de la guerre.
Mais toute initiative croisera la route d’un imprévu national ou d’un mesquin, jaloux de vos idées, qui engagera son peu d’énergie à vous tirer vers le bas. Cet humain-là existe toujours. N’oubliez jamais, il s’empiffre à la même table : poulets hormonés congelés européens et brésiliens, beignets frits à l’huile de palme, sucreries et sodas. L’autre bombe à retardement… Pour exemples, la digue réalisée par les Chinois autour du fleuve obligeant des jardiniers sans terre à investir en motopompes. Ils ne bénéficieront plus du limon du fleuve. Les sols se dégraderont si rien ne compense. On construit dans le lit du Niger pour des loisirs citadins, pour des hôtels cinq étoiles. On détruit les arbres de la ceinture verte pour lotir. Le train d’essai déraille sur la toute nouvelle voie de chemin de fer Bolloré. Attendons de voir l’état de la plateforme après une saison des pluies... Vingt heures aujourd’hui pour se rendre en voiture de Niamey à Agadez ! Depuis quand cette route à péage est-elle chargée par les barils du cake jaunâtre à destination de Narbonne ? Depuis quand aurait-elle dû être rénovée ?
Ah ! J’ai vu le repliement des expats et du matériel d’Areva-Imouraren ce mois de mai 2015! Ce site même de la montagne Aïr qui a fait se soulever la société civile et mobiliser la rébellion de 2007 ! Huit ans après, repliement de chantier, plan social... Morts inutiles. Et on se presse d’abandonner la terre, de la rendre aux Ikazkazen... Reprenez le ce foutu pays, disent-ils, après l’avoir pourri! Où sont passés les polygames de l’époque, les donneurs d’ordre des choses publiques, les massacreurs de famille ? Ont-ils bon sommeil ? AVC, Diabète, cholestérol, impuissance ? On se soigne, le compte en banque bien pesé, le tuyau crevé, en pays tempérés, à Tunis ou à Pariss selon les galons ?
Ce ne serait pas surprenant que le Niger ait passé un pacte avec l’Administration de la Désertification. Moins d’arbres et d’humidité qu’il y a 50 ans. Chacun y va de sa main pour mutiler la terre, d’autres y vont d’une main mécanisée. Ah ! Ils peuvent toujours organiser leurs forums internationaux, réunions clim et sucreries, production d’études centenaires éternellement moribondes sur la désertification, l’AFD, le CILSS, l’OSS, etc. (7)
Entendez donc le cri sourd de la mort qui se prépare, que l’on nous mijote, à petit feu, dans des bureaux climatisés.
Que fera leur Dieu de ce pays de mesquins qui jurent sur le Coran, où les hurlements à la mort des chiens se mêlent de concert aux râles des muezzins? Un autre Sodome et Gomorrhe ?
Qui me délivrera du corps de cette mort ?
Grâces soient rendues à Dieu… (8)
 
(Sourire)
Thomas Fortuné, un internationaliste touareg, franco de port
 
  1. Par analogie au projet de « paix perpétuelle » de Kant
  2. Exode 3:5 (traduction A. Chouraqui)
  3. « ils se partagent mes habits ; pour mes vêtements, ils font tomber le sort » Ps 22 :19
  4. « pays d’une obscurité profonde, où règnent l’ombre de la mort et la confusion, et où la lumière est semblable aux ténèbres » Job 10 :22
  5. « quand un aveugle conduit un aveugle, ils tombent tous les deux dans la fosse » Matyah 15:14
  6. chanson de Brassens, "mourir pour des idées"
  7. Organismes d’aide au développement, de lutte contre la sécheresse, d’observatoire du Sahara, etc.
  8. Romains 7 :24