C'est un assemblement de matériaux, ingénieuse bicoque à terrasse. Elle trônait initialement au cœur d'un square, unique espace vert du quartier de la gare.  Puis le rouleau compresseur urbanistique a entrepris d'aménager la Place : parking souterrain dans un premier temps, fermeture pour travaux indéfinis dans un second temps, pour deux ans... La Cabane a été autorisée à déménager sur le trottoir de la rue adjacente. A côté des Restos du cœur (à Bordeaux les pauvres comme les boîtes de nuit, on regroupe tout, ça fait plus propre).

Parce que la Cabane, que tous baptisent "la Cabane à gratter", reçoit les mille et un passants qui souhaitent un café, un sirop, un thé. Sur les tables dépareillées on tape le carton, on joue aux dames, on discute. L'atmosphère est bon enfant, pas d'alcool, pas de drogues, il faut dire qu'en plus des étudiants des Beaux-arts ou de l'IUT voisins elle accueille ces "populations à risque", ces dépossédés qui ailleurs se feraient refouler : sans-abri, sans papiers qui longtemps plantaient leur tente sur le gazon en plein hiver, jeunes filles-mères du foyer voisin... Tout ce petit monde s'assemble sans heurts autour d'un hôte de qualité, le président du lieu : Gervais offre son sourire à tout va, nouveaux venus, vieux habitués. Il s'intéresse, interroge, il sait faire la conversation quand le silence pèse. Il est le maître du temps dans cette cabane qui nous transporte, quand le soleil d'été est haut et que les degrés grimpent, au sud du Mississippi ou sur une île antillaise. 

Avec son allure bonhomme, Gervais a plus d'un tour dans son sac de vulcanologue canadien : c'est lui qui a sculpté le totem qui longtemps trôna au milieu du parc (à quelle occasion était-ce déjà ? quelle manifestation municipalo-culturelle avait cherché à avaler  la Cabane à grands coups de publicités ?), avant d'être démonté, comme tout le reste d'ailleurs. Car le parc de la Place André Meunier a réouvert après deux ans  de "travaux" : pourtant rien n'a bougé, sauf le petit coin pour les enfants qui a été détruit.

Il manque toujours la Cabane en son cœur.

Il manque maintenant, dans la Cabane délocalisée, et parmi nous, Gervais Cupit, dont le cœur s'est arrêté brutalement, répète t-on ici et là. Nous l'avions filmé, en 2010, et cela fait plaisir à voir.

Il reste une Cabane à reconstruire, sur cette place qui porte le nom d'un grand résistant : et il semble qu'à Bordeaux-Sud, contre le grand rouleau compresseur pré-cité, il va nous falloir la défendre, la Cabane à Gervais.

- Merci à ATD Quart Monde, association souvent présente dans la Cabane, pour la photo.