Le 29 mai dernier, des jeunes veulent attaquer la maison du maire de Montfermeil : ce mouvement me semble riche d'enseignement sur les différents acteurs de notre société, la jeunesse, les populations déshéritées, les pouvoirs publics locaux, le gouvernement à travers sa politique, les médias via les valeurs qu'ils transmettent.

Pourquoi des jeunes Montfermeillois ont-ils voulu se rendre au domicile du maire et non directement à la Mairie ? On peut voir dans ce geste l'amalgame entre public et privé, entre le pouvoir représentatif d'une personne élue et le pouvoir effectif d'un clan, d'une famille, d'une personne privée. Il importe peu dans notre analyse de savoir si le maire de Montfermeil est honnête ou corrompu. Cet amalgame reflète le point de vue des habitants révoltés. Il répond en miroir à l'intrusion de la police dans leur cité en vue d'une arrestation, intrusion vêcue (c'est ma position) comme une violation de territoire car la Police n'est plus considérée comme défendant les intérêts de tous mais comme une sorte de milice aux ordres d'un pouvoir privé. Et le chef de cette milice serait le maire de la ville.

Comment expliquer un tel ressenti ? Nous pouvons d'une part évoquer le comportement de certains policiers. Dans un autre contexte, j'ai pu moi-même lire sur les murs d'un squatt vidé de ses occupants une inscription laissée par la police locale : "Police's house". Si on peut féliciter les agents pour leur bonne maîtrise de l'anglais, la mulitplication des bavures et l'exacerbation de la haine entre jeunes des banlieues et policiers peuvent expliquer une telle division de l'espace. Mais, d'autre part, se contenter de ces explications équivaudrait à regretter que le système ait des défauts alors que selon moi le système actuel tend de fait à exclure une partie de la population du bien commun . C'est pour cela que la défense de ce bien commun peut être ressentie comme étrangère voire hostile par ceux qui n'y ont pas accès. En ce sens, la loi Sarkozy votée hier, accentuant le pouvoir repressif des maires conduit à ce divorce entre population et intérêt commun. Si le maire devient effectivement shérif, il est aussi gérant de société, pourvoyeur d'emplois pour ses proches, grand propriétaire terrien fournisseur de logements, collecteur d'impôts, etc.

Le maire serait-il devenu roi ? Dans cette affaire de Montfermeil le casting des protagonistes est tout à fait singulier : une bande de révoltés s'attaque à une mère de famille qui protège ses sept enfants... D'un côté une mère malmenée chez elle par la police, que les jeunes veulent défendre, de l'autre la femme du maire et ses sept dauphins, protégés à son domicile par la police. Ce face à face cocasse renvoie aux journées d'octobre 1789 quand les femmes vinrent réclamer dans la Maison du Roi du pain... et le pouvoir politique. Et parce que cet imaginaire sert de fond à la sauce médiatique qui nous sert de culture, je ne peux m'empêcher de relier le maire et le roi, la Reine et la femme du maire. Pendant ce temps est mise en scène au cinéma une Marie-Antoinette tout occupée à dépenser la fortune qui manque au peuple, dans toute l'innocence et l'irresponsabilité d'une princesse de haut rang. Ceci ne peut qu'alimenter consciences et inconscients. Peindre la situation prérévolutionnaire en nous faisant rêver d'une héroïne pastel dans un conte de fées luxueux peut même sembler dangereux. En forçant le trait (et encore !) les salaires des grands PDG eux-mêmes, héritiers pour leur immense majorité de fortunes colossales, renvoient aux charges aristocratiques et à la rigidité de l'Ancien Régime. On saisit pourquoi la cour des médias fait mine de ne rien comprendre aux gestes et aux cris des jeunes de banlieues. Débiles, insolents, ingrats, ils feraient mieux si l'on en croit la presse d'aller s'émerveiller devant le Versailles de Coppola pour se sensibiliser et compâtir au sort des jeunes mères de famille nombreuse qui s'ennuient en mangeant des macarons sur du taffetas rose.

Reste que :

il y a des hommes qui travaillent huit heures par jour et font le grand effort de lire le soir pour s'instruire. Ils ne peuvent pas se livrer à des vérifications dans les grandes bibliothèques. Ils croient le livre sur parole. On n'a pas le droit de leur donner à manger du faux. Quel sens cela a-t-il d'alléguer que les auteurs sont de bonne foi ? Eux ne travaillent pas physiquement huit heures par jour. La société les nourrit pour qu'ils aient le loisir et se donnent la peine d'éviter l'erreur. Un aiguilleur cause d'un déraillement serait mal accueilli en alléguant qu'il est de bonne foi. A plus forte raison est-il honteux de tolérer l'existence de journaux dont tout le monde sait qu'aucun collaborateur ne pourrait demeurer s'il ne consentait parfois à altérer sciemment la vérité. (...) Tout le monde sait que, lorsque le journalisme se confond avec l'organisation du mensonge, il constitue un crime. Mais on croit que c'est un crime impunissable. Qu'est-ce qui empêcher de punir une activité une fois qu'elle a été reconnue comme criminelle ? D'où peut bien venir cette étrange conception de crimes non punissables ? (Simone Weil, L'enracinement)

Hélas l'aveuglement est proportionnel à l'orgueil. Marie-Antoinette ne craignait rien en octobre quand la colère montait et que la tête du maire de Troyes se promenait déjà sur une pique. Le gouvernement organise sa défense en plaçant les maires de France en première ligne. Ceux-ci ont bien raison d'alerter le pays du désarroi dans lequel ils se trouvent.

Premières marches vers le pouvoir, ils ne sont de toute façon que les premiers visés. Aux autres d'en prendre conscience, car, écrit Réné Girard reprenant Storr, il est plus difficile d'apaiser un désir de violence que de le déclencher...

Ainsi en dernière page du recueil de c7h16...

J'irai à l'Elysée brûler ma carte de résident/ Avant que les kisdés réalisent, j'aurais kidnappé la femme du président/ Je l'emmènerai dans ces coins sordides où les Français/ Vivent la mort au bide, l'esprit plein d'idées morbides/ J'lui collerai un voisin taré/ Cinq gosses dans un quarante mètres carrés/ Comme un papillon je lui couperai les ailes/ Le président dira que ça pue chez elle/ Elle aura un mari au chômage depuis deux ans/ Jean plein de poches rien dedans/ Elle vivra l'esprit torturé comme par une rage de dent/ J'lui ferai la peau mate couleur sombre que les flics matent/ Grillée jusqu'à l'épiderme sa vie en portera les stigmates/ Elle vivra comme elle peut parce qu'elle n'aura pas de taf/ Elle vivra de rien parce qu'elle aura pas de tafs/ Jverrai sa gueule quand elle verra le système et ses vices/ Quand on travaille dix heures, comment ne pas laisser traîner ses fils ?/ Décor sinistre des appels au secours au ministre/ La haine en elle s'administre/ Ses mômes rament, ces mots riment, le shit crame/ Y a pas de fumée sans feu, pas d'espoir sans crime/ Un gosse mort comme Clyde Barrow, un autre derrière les barreaux/ Le plus jeune tombe pour une Marlboro/ Son quotidien prison pleine, journal du soir crise en thème/ Son jardin secret, un champ de chrysanthèmes/ Elle pleure un boulard souille son honneur/ Elle saura pourquoi mes textes respirent le bonheur/ Charentaises Nike rosé meringue prose de poudre blanche/ Sa vie écrite à l'encre d'une seringue/ Puis je l'emmènerai au sommet d'une tour contempler sa nouvelle vie / Et je la laisserai là... seule devant le vide.