Le 22 janvier dernier, le Comité girondin pour le non au traité constitutionnel organisait une journée de réunion dans le quartier du Grand Parc, à Bordeaux.

L'événement se déroule dans la salle municipale, située au milieu des barres citadines d'une des rares cités placées au coeur de la ville. La matinée est consacrée à cinq ateliers débats, portant respectivement sur les services publics, l'Europe et la laïcité, l'Europe élargie et le monde, la régression sociale et la découverte du texte constitutionnel. Les responsables des débats appartiennent à différents mouvements  : citons la Fondation Copernic, le Conseil économique et social régional, la CGT, la Ligue des droits de l'homme, la Confédération paysanne, Attac, le Comité pour l'annulation de la dette du Tiers-monde, le monde universitaire, le PCF, la LCR, MARS, la CFDT, les Verts, le PS...

L'après-midi est l'occasion d'un meeting de trois heures. Une centaine de personnes est réunie. Le public est divers : si toutes les générations sont représentées, les 30/50 ans sont les plus nombreux. Attentifs, les auditeurs remplissent la salle et les derniers arrivés restent debout, au fond. Plusieurs interventions se succèdent, sans que l'identité des orateurs ne soit véritablement soulignée.

Le mot d'ordre est à l'unité de la contestation. Particulièrement diversifiée, l'origine sociale et politique des participants est présentée comme une richesse susceptible d'élargir la diffusion de la campagne contre le traité constitutionnel. Il s'agit de travailler ensemble afin d'ouvrir un large débat. Une relative proximité avec les électeurs et surtout les habituels abstentionnistes apparaît nécessaire pour rendre possible la réflexion sur un texte résolument opaque.

En effet, souligne Eric Coquerel du mouvement MARS, la constitution est un rouleau compresseur pour faire du libéralisme un droit quasi naturel. En clair, il s'agit d'imposer les valeurs libérales comme si elles allaient de soi, comme des vérités reconnues comme évidentes. Rappelons que sous l'Ancien régime, la noblesse était de la même manière comprise comme naturellement supérieure et digne de détenir le pouvoir. Au contraire, réfléchir et mettre en débat ces valeurs constitue une rupture avec les lieux communs. Le changement commence dans les têtes !

Jean-François Gau du PCF revient sur le texte dont il cite in extenso l'article I-3-2 : L'Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures et un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée. Une fois ce principe posé, le reste est un "habillage secondaire". Les droits fondamentaux énoncés ne créent par exemple aucune obligation nouvelle pour les Etats et renvoient à des explications annexées qui contredisent l'énoncé même de ces droits. Les droits proclamés sont plus étroits que ceux dont les textes nous dotent actuellement. La campagne du non s'adresse ainsi à tous ceux qui ont intérêt à voter contre un texte qui menace leur possibilité de vivre dignement. Plutôt que de libéraliser les services publics ( écoles, hôpitaux, poste... ) en les soumettant à la concurrence, il faut affirmer la nécessité vitale de disposer d'un service public de base.

Alain Krivine, leader de la LCR, expose ensuite les difficultés auxquelles la campagne contre la constitution doit faire face : faible politisation des populations et notamment des jeunes, largement soumis à la propagande pour le oui ; désintérêt devant la complexité et la longueur du texte... Il semble donc urgent de démontrer aux populations menacées que la constitution européenne représente la destruction des acquis du mouvement ouvrier et la constitutionnalisation de la guerre. En effet, l'article I-41-3 stipule que les Etats membres s'engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires et qu'une Agence dans le domaine du développement des capacités de défense, de la recherche, des acquisitions et de l'armement est créée. De plus, l'OTAN demeure le fondement de la défense collective, ce qui lui offrirait une reconnaissance constitutionnelle qui anéantirait toute volonté d'indépendance vis-à-vis des Etats-Unis, puissance pourtant de plus en plus belliqueuse. A l'image des USA, l'Union s'accorde le droit à l'article III-309 decontribuer à la lutte contre le terrorisme, y compris par le soutien à des pays tiers pour combattre le terrorisme sur son territoire.

En tant qu'ancien député européen, Alain Krivine relate enfin la lutte des parlementaires pour obtenir l'introduction de la mention droit au travailtel qu'elle existe dans la constitution française, et leur défaite, puisque la constitution n'assure aux citoyens européens qu'un imbéciledroit de travailler( article II-75 ) !

Un militant du Comité girondin signale que le quotidien SUD OUEST n'a toujours pas annoncé la création d'une cellule locale du comité à Saint-Macaire (33) : la campagne pour le non se fera dans le maquis !

Un représentant des Verts explique ensuite que la constitution européenne interdira toute reprise du débat sur les OGM : nous l'invitons à expliciter ses propos ! Il prend l'exemple de la division du PS sur la question de la constitution pour rappeler que les contestataires militeront pour le non, malgrè l'adhésion de leur parti à au projet constitutionnel. Il se déclare lui-même prêt à se positionner en rupture avec les Verts s'ils appelent à voter oui.

Un intervenant souligne l'urgence à proposer une alternative à l'extrême droite, le Front national étant à nouveau la seule proposition médiatisée, risquant d'apparaître comme une solution à la misère grandissante et à l'inquiétude populaire.

Claude Debons de la Fondation Copernic ajoute aux arguments soulevés le fait que le projet de constitution reconnaît les églises comme interlocutrices régulières. Si le terme « religion » ou « religieux » apparaît treize fois dans le texte, l'adjectif laïc en est absent alors qu'il définit pourtant la République française à l'article 1 de sa constitution. Pour conclure, faire le lien entre les luttes sociales et le projet de traité est avancé comme un impératif.

La campagne pour le non au traité constitutionnel brasse à la fois des constats négatifs ( concernant les droits de l'homme, l'économie, la défense, l'environnement, les libertés fondamentales, l'égalité... ) et des propositions positives ( sur la démocratie participative, le dialogue social, la responsabilisation des citoyens... ). Plus qu'ailleurs, on parle de l'Europe telle qu'elle est vécue au quotidien à Paris, à Bordeaux ou à Barcelone. Un samedi après-midi bien studieux pour un public qui ne quitte les lieux que parce que la salle doit fermer... et qui compte bien poursuivre la discussion ailleurs !