Le Flog - Cultures et actualités politiques - Tag - Ellul-Charbonneau-Huxley-Histoires-de-passages2023-12-01T11:26:16+01:00Florence Louisurn:md5:85850d171d5a684a29c1b740f14ca1f8DotclearHuxley, Ellul,Charbonneau : Histoires de passagesurn:md5:9c9ccf24bb84565a70a92fc4e4cb017d2018-07-27T16:08:00+02:00Florence LouisCultureEllul-Charbonneau-Huxley-Histoires-de-passages <h2><img src="http://www.leflog.net/public/.CON-NEC-TER-_BD_def_m.jpg" alt="" title="Affiche-Histoires-de-passages4" /></h2>
<p lang="fr-FR" align="JUSTIFY">La quatrième édition d'<em><a href="http://histoiresdepassages.com/index.php/prog-en-cours" hreflang="fr">Histoires de passages</a></em> se consacrait du 19 au 22 juillet au thème
suivant : connecter / déconnecter. Une invitation aux sources
plurielles, dans différents villages de Xantrie, au cœur d'une
Corrèze luxuriante.
</p>
<p align="JUSTIFY">Des oiseaux, le vent et le
cadastre (Gilles Clément), au milieu des sculptures et des abeilles
(Jan Krizek), des vignes et des pommiers, créer un "no man's
time" (Thierry Paquot) au rythme de chacun, emporté dans une
énergie collective, découvrir son moi gastronomique (M. F. K. Fisher),
se souvenir de Lucrèce et de la Coopérative des mal-assis. </p>
<p align="JUSTIFY">Rencontrer Alexandra Kollontaï et Dziga Vertov dans une salle
obscure, saluer les milans royaux qui quittent Saint-Bonnet-les-tours
pour un automne africain.</p>
<p align="JUSTIFY"> Photographier, dessiner, discuter, contempler, rire, lire et rêver. </p>
<p align="JUSTIFY">Remercier, chaleureusement, Laurent Gervereau, tout jeune
Hautefageois, Claudine et Patrice Saintraymond pour leur hospitalité, et
toute l'équipe de bénévoles, si inspirée...</p>
<p align="JUSTIFY">En retour, des mots prononcés sous les
arbres, pour passer un peu de pensée vive, celle de trois grands
hommes qui nous inspire toujours.</p>
<p align="JUSTIFY"><img src="http://www.leflog.net/public/.DSC_0013_m.jpg" alt="" title="histoires-de-passages-Cabu" /></p>
<h1 class="western" align="JUSTIFY"><span lang="fr-FR">Huxley,
Ellul et Charbonneau : aux racines </span><span lang="fr-FR"><strong>de
l'écologie </strong></span>
</h1>
<h2 class="western">Des pensées incarnées</h2>
<p align="JUSTIFY"><span lang="fr-FR">« Ce que l'on
est dépend de trois facteurs : ce dont on a hérité, de ce que
le milieu a fait de vous et de ce que vous avez jugé bon de faire de
votre milieu et de votre héritage.» ( Aldous Huxley, </span><span lang="fr-FR"><em>L'éternité
retrouvée</em></span><span lang="fr-FR">)</span></p>
<p lang="fr-FR" align="JUSTIFY">Né en 1894 dans une
famille de l'aristocratie anglaise qui compte de grandes figures
d'intellectuels, Aldous Huxley reçoit une éducation moderne dans
une école dirigée par sa propre mère. La mort de celle-ci, la
disparition d'une sœur et d'un frère ainsi que la cécité qui le
frappe à l'adolescence provoquent une rupture dans la vie du jeune
étudiant : se soumettant à une rééducation difficile, il conserve
la vue , se tourne vers la littérature et quitte l'Angleterre.
Auteur d'essais et de romans, il se tourne dans les années trente
vers la Philosophie éternelle, celle « qui reconnaît qu'il y
a une réalité qui est la substance même des choses matérielles,
de la vie et de l'esprit » et qu'il retrouve dans les
grandes religions. Installé aux États-Unis à partir de 1937
avec son épouse, il s'intéresse à l'expérimentation des drogues
et aux mystiques orientales et devient ainsi une icône des Sixties.
Il s'éteint en 1963.</p>
<p lang="fr-FR" align="JUSTIFY"><img src="http://www.leflog.net/public/.IMG_4385_m.jpg" alt="" title="Veillée et contes occitans" /></p>
<p align="JUSTIFY"><span lang="fr-FR">Traduit en français
dès 1932, son roman </span><span lang="fr-FR"><em>Brave New World</em></span><span lang="fr-FR">
est lu par deux jeunes bordelais, Bernard Charbonneau et Jacques
Ellul. Les deux amis se sont rencontrés adolescents et ont noué une
amitié qui durera plus de soixante ans. Le premier, né en 1910, est
le dernier-né d'une famille bourgeoise aisée du Lot-et-Garonne.
Agrégé d’histoire-géographie, il s'installe à côté de Pau
avec sa famille, simple professeur d'une école normale
d'instituteurs. Il écrit de nombreux ouvrages qui restent largement
méconnus, surtout si l'on se réfère à la notoriété de son ami
Ellul.</span></p>
<p align="JUSTIFY"><span lang="fr-FR"><img src="http://www.leflog.net/public/.IMG_4270_m.jpg" alt="" title="livres-argentat" /><br /></span></p>
<p lang="fr-FR" align="JUSTIFY">Celui-ci naît en 1912,
enfant unique d'une famille pauvre, frappée par le chômage :
premier de la classe, Jacques travaille dès l'âge de quinze ans
pour se payer des études de droit. Il découvre Marx et reçoit
littéralement la révélation divine : il se tourne vers la
théologie protestante. Après avoir participé activement à la
résistance, il devient professeur de droit à l'université de
Bordeaux, auteur d'ouvrages très vite publiés dans le monde entier.
</p>
<p lang="fr-FR" align="JUSTIFY">Dès les années 1930 les
deux amis prennent conscience du bouleversement profond qui anime la
société. Ils organisent des cercles de réflexion, le groupe de
Bordeaux des Amis de la revue Esprit, version gasconne du
personnalisme. Ce courant fondé en 1932 à Paris essaie de sortir de
l'alternative capitalisme/communisme, matérialisme/idéalisme, en
privilégiant la personne, « chair et esprit », une
personne pensée comme ancrée dans sa communauté. Avec leurs
premiers textes ronéotypés les deux penseurs donnent naissance à
l'écologie politique : le constat est radical. L'humanité est aux
prises avec un changement total, que Charbonneau baptise « la
grande mue » : c'est la transformation d’un état à un
autre, le passage de sociétés traditionnelles, autonomes et hors
marché, vivant sur une organisation séculaire, au règne de
l’économique, de l’abstrait, de la technique, puissance
collective fascinante qui fonctionne en roue libre, instaurant un
système technicien démesuré. Face au culte du progrès, seul le
sentiment authentique de la nature permet de retrouver la liberté
personnelle, la conscience d'être incarné dans un lieu et dans un
temps, d'être « saisi » par autre chose que soit :
ce sentiment de la nature est une force révolutionnaire et les deux
hommes organiseront des séminaires en pleine nature avec des jeunes,
dans cette même campagne où ils se battent contre l'aménagement de
l'Etat visant à bétonner la côté aquitaine. « Penser
globalement, agir localement » : cette pensée d'Ellul a depuis
largement essaimé.
</p>
<p align="JUSTIFY"><span lang="fr-FR">C'est Aldous Huxley
qui présidera à la traduction en anglais de </span><span lang="fr-FR"><em>La
Technique ou l'enjeu du siècle</em></span><span lang="fr-FR">,
qu'Ellul publie en 1954. Originales, singulières et profondes, les
œuvres de Charbonneau, Ellul et Huxley entrent en résonance parce
que leur constat est sous de nombreux aspects convergent. <br /></span></p>
<p align="JUSTIFY"><span lang="fr-FR"><img src="http://www.leflog.net/public/.IMG_4307_m.jpg" alt="" title="Saint-Bonnet" /><br /></span>
</p>
<h2 class="western" lang="fr-FR" align="JUSTIFY">Résonances</h2>
<p lang="fr-FR" align="JUSTIFY">L'angle
d'attaque le plus aigu de la critique que porte nos trois penseurs
est bien sûr leur point de vue sur la technique. Il faut prendre
cette notion en un sens large : la technique ne se réduit pas
aux objets techniques. Elle englobe toutes les méthodes
d’organisation de la vie : la bureaucratie, l’agro-industrie,
le taylorisme sont des techniques. Elle
<span style="font-style: normal">consiste
à rechercher en toutes choses </span><em><span lang="en-US"><span style="font-style: normal">la
méthode la plus efficace</span></span><span style="font-style: normal">.
Est définie comme</span>
<span style="font-style: normal"><span style="font-weight: normal">efficace
une chose ou une personne qui agit effectivement : en matière
énergétique, thérapeutique, politique... </span></span></em>
</p>
<p align="JUSTIFY"><span lang="fr-FR"><span style="font-weight: normal">Elle
est le rapport entre les résultats obtenus par l’agent et les
objectifs qu’il s’est fixés. Dès 1977 Ellul met en avant le
caractère systématique de l'organisation technique : « Le
système est un ensemble d’éléments en relation les uns avec les
autres de telle façon que toute évolution de l’un provoque une
évolution de l’ensemble et que toute modification de l’ensemble
se répercute sur chaque élément » (J. Ellul, </span></span><span lang="fr-FR"><em><span style="font-weight: normal">Le
système technicien</span></em></span><span lang="fr-FR"><span style="font-weight: normal">,
éd. Calmann-Lévy, p. 88). </span></span>
</p>
<p align="JUSTIFY"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal"><span style="font-weight: normal">L</span></span></span><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">e
grand dessein à l’œuvre dans nos sociétés a pour finalité « la
parfaite intégration de l’homme dans le système technicien. »
C'est un tel univers que décrit Aldous Huxley dans son roman de
1932 : </span></span><span lang="fr-FR"><em>« Le
meilleur des mondes</em></span><span lang="fr-FR">
présente le tableau imaginaire et quelque peu licencieux d'une
société dans laquelle les efforts faits pour recréer des êtres
humains à la ressemblance des termites ont été poussées à la
limite du possible », explique Huxley dans son </span><span lang="fr-FR"><em>Retour
au meilleur des mondes</em></span><span lang="fr-FR">
en 1958 (éd. Omnibus, p.698). Dans la société qu'il imagine, les
enfants sont fabriqués en laboratoire, soumis à un conditionnement
différentié en fonction de la catégorie sociale à laquelle on les
assigne. Cet aspect rejoint une préoccupation majeure exprimée par
Charbonneau dans ses </span><span lang="fr-FR"><em>Chroniques
de l'an Deux Mille (</em></span><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">disponible
sur le site </span></span><a href="https://lagrandemue.wordpress.com/2016/01/25/chronique-de-lan-deux-mille-2/">La
Grande Mue</a><span lang="fr-FR"><em>)</em></span><span lang="fr-FR"> :
« Le pire qui pourrait arriver, la biologie transformée en
biologisme aidant, serait que la société se réserve de définir la
mutation positive, et de qualifier et fabriquer les individus :
qu'elle pratique « l’eugénisme » en éliminant tout ce
qui ne serait pas conforme à son modèle du beau et du bon ». <br /></span></p>
<p align="JUSTIFY"><span lang="fr-FR"><img src="http://www.leflog.net/public/.IMG_4288_m.jpg" alt="" title="Dordogne-Argentat" /><br /></span>
</p>
<p align="JUSTIFY"><span lang="fr-FR">Quant à Ellul, il
déclare plus de cinquante ans après l'édition du </span><span lang="fr-FR"><em>Meilleur
des mondes </em></span><span lang="fr-FR">: « On a beaucoup
parlé de </span><span lang="fr-FR"><em>1984</em></span><span lang="fr-FR">,
c'est en réalité le </span><span lang="fr-FR"><em>Brave New
World </em></span><span lang="fr-FR">d'Huxley qui est en vue.
Avec la spécialisation dès la naissance des individus utiles à tel
service dans la société et qui seront si parfaitement adaptés
physiologiquement qu'il n'y aura plus ni adaptation, ni révolte, ni
ouverture sur un ailleurs. La combinaison du génie génétique et de
la spécialisation éducative donnera un homme adéquat à ses
fonctions techniques . »(J. Ellul, </span><span lang="fr-FR"><em>Ce
que je crois</em></span><span lang="fr-FR">, 1987, p. 184)</span></p>
<p align="JUSTIFY"><span lang="fr-FR">L'ensemble social
prime sur l'individu qui n'est pas pensé comme une liberté, une fin
en soi, mais comme un « rouage de la mécanique sociale ».
Aux méthodes répressives des régimes dictatoriaux s'ajoutent
« renforcements et manipulations », propagande et
distractions ininterrompues, utilisées comme « opium du
peuple ». « Une société dont la plupart des membres
passent une grande partie de leur temps non pas dans l’immédiat et
l'avenir prévisible mais quelque part dans les mondes inconséquents
du sport, des feuilletons, de la mythologie et de la fantaisie
métaphysique aura bien du mal à résister aux empiétements de ceux
qui voudraient la manipuler et la dominer. » (A. Huxley, </span><span lang="fr-FR"><em>Retour
au meilleur des mondes, </em></span><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">éd.
Omnibus, p.708.)</span></span>
</p>
<p align="JUSTIFY"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">C'est
le règne de la matière qui refoule l'esprit à la surface de la
société : il n'en reste que la forme, que ce soit en art ou
dans la pensée, une civilisation de l'image qui remplace la relation
parlée qui seule permet à chacun « d'établir un rapport
personnel avec la Vérité, la réalité et autrui » :
« désormais nous vivrons sans doute dans un univers où des
hommes muets déambuleront dans un torrent d'images et de sons tandis
que dans un inaccessible saint des saints les prêtres de la
puissance technique, sans distinction de personnes ou de nations,
communiqueront parfaitement dans les signes mystérieux des
graphiques et des nombres » (B. Charbonneau, </span></span><span lang="fr-FR"><em>Le
paradoxe de la culture, </em></span><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">éd.
Denoël,</span></span><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">1965,
p.76)</span></span></p>
<p align="JUSTIFY"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal"><img src="http://www.leflog.net/public/.IMG_4232_m.jpg" alt="" title="Saint-Privat-EmilieSajot" /><br /></span></span></p>
<p lang="fr-FR" align="JUSTIFY"><span style="font-style: normal">Individus
épuisés par le règne de la jouissance « esthétique ou
sensuelle », passifs, « sans transcendance ni Nature »,
auto-centrés, qui « s'offrent en spectacle à d’autres
individus »... On retrouve le triptyque qu'Ellul dessine à la
fin de son ouvrage de 1988 </span><em>Le bluff technologique</em><span style="font-style: normal">
: sur le p</span>anneau principal apparaît l'homme adapté :
calmé par ses hypnotiques, jogging et autres entraînements. Sur le
volet de gauche l’homme fasciné fait face au joueur qui
figure sur le volet de droite , l'homme diverti : « jouez,
jouez, nous nous occupons du reste »...
</p>
<p align="JUSTIFY"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">Dans
</span></span><span lang="fr-FR"><em>Le</em></span><span lang="fr-FR"><em> meilleur des mondes</em></span><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">
comme dans le nôtre, des drogues licites prennent en charge toute
émotion qui dépasse le cadre normalisé des relations. Le Sauvage
qui dans le roman découvre la civilisation technicienne réclame
« le droit d'être malheureux, de vieillir, de devenir laid et
impotent » : « Je n'en veux pas du confort. Je veux
Dieu, je veux de la poésie, je veux du danger véritable, je veux de
la liberté, je veux de la bonté. Je veux du péché. » (A.
Huxley, </span></span><span lang="fr-FR"><em>Le meilleur des mondes</em></span><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">,
éd. Omnibus, p. 202)</span></span></p>
<p align="JUSTIFY"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">Or,
comme le souligne Charbonneau, dès </span></span><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">1937
(</span></span><em><span lang="fr-FR"><em>Le
sentiment de la nature,</em></span></em><span lang="fr-FR"><em>
force révolutionnaire, </em></span><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">in</span></span><span lang="fr-FR"><em>
Nous sommes des révolutionnaires malgré nous, </em></span><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">Seuil,
2014 </span></span><span lang="fr-FR"><em>)</em></span><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">
« la synthèse entre une liberté indéfiniment accrue et un
confort indéfiniment accru est une utopie. » </span></span>
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm"><img src="http://www.leflog.net/public/.IMG_4352_m.jpg" alt="" title="fleurs-Saint-Bonnet-les-tours" /></p>
<p lang="fr-FR" align="JUSTIFY">Il est donc illusoire de
viser à la fois le confort, c'est-à-dire le bien-être matériel,
et la liberté, conçue en son sens le plus fort chez un penseur tel
que Charbonneau : « La liberté n'est pas un mot, mais un
cri des profondeurs. Elle n'est pas une idée, elle existe et par
conséquent, naît, vit et meurt. » « La liberté, c'est
un homme conscient de l'être, de sa pensée et de ses actes. Un
individu singulier, que ne désigne pas un numéro matricule mais un
nom, qui s'inscrira à la première seconde de sa vie, comme il la
scellera à tout jamais dans sa tombe. Toute société qui n'est pas
un simple bloc de matière est faite de ces pierres vives : si
elle n'existe pas dans l'univers, nous la créerons, ou nous en
mourrons. » (B. Charbonneau, <em>Je fus, essai sur la liberté,
</em><span style="font-style: normal">1980</span><em>).</em></p>
<p lang="fr-FR" align="JUSTIFY"><em><img src="http://www.leflog.net/public/.IMG_4386_m.jpg" alt="" title="Ponk et replonk" /><br /></em></p>
<p lang="fr-FR" align="JUSTIFY"><em>Exposition <a href="http://www.plonkreplonk.ch/nos-belles-expos/59-expositions-2018/172-plonk-replonk-se-recueillent-a-argentat-sur-dordogne" hreflang="fr">Plonk et Replonk</a> à Argentat<br /></em>
</p>
<h2 class="western" lang="fr-FR" align="JUSTIFY">Des fins
et des moyens</h2>
<p lang="fr-FR" align="JUSTIFY">Cet ultimatum oblige à
poser à nouveau frais une question classique en philosophie morale :
celle des fins et des moyens. Pour agir l'homme pose des fins qu'il
vise en s'appuyant sur des moyens. Si la liberté et le confort
entrent en contradiction, alors reste t-il une place pour la liberté
dans une société traversée de part en part par les impératifs
techniques ?</p>
<h2 class="western">Huxley : « ni ange ni démon »</h2>
<p align="JUSTIFY"><span lang="fr-FR">En 1937 Aldous
Huxley s'empare de la question dans son ouvrage </span><span lang="fr-FR"><em>La
fin et les moyens</em></span><span lang="fr-FR">, publié en France en
1939 ( évoqué par Ellul dès 1948 dans </span><span lang="fr-FR"><em>Présence
au monde moderne</em></span><span lang="fr-FR">). « Être un
homme complet, équilibré, c'est une entreprise difficile, mais
c'est la seule qui nous soit proposée. Personne ne nous demande
d'être autre chose qu'un homme. Un homme, vous entendez. Pas un
ange, ni un démon. Un homme est une créature qui marche
délicatement sur une corde raide, avec l'intelligence, la conscience
et tout ce qui est spirituel à un bout de son balancier, et le corps
et l'instinct et tout ce qui est inconscient, terrestre et mystérieux
à l'autre bout. En équilibre, ce qui est diablement difficile. »
</span>
</p>
<p lang="fr-FR" align="JUSTIFY">Huxley considère que
toutes les sociétés visent le même idéal, : la liberté, la
paix, la justice et l'amour fraternel. Seuls les moyens différent
pour y parvenir. Huxley met en avant le détachement comme voie
royale que les sagesses millénaires enseignent sur tous les
continents. Seul le changement personnel peut augurer d'un avenir
fait de paix, de charité et de tolérance. La fin ne justifie pas
les moyens : c'est en s'astreignant à bien choisir ses moyens
que chacun peut poursuivre des fins absolument bonnes.
</p>
<p lang="fr-FR" align="JUSTIFY">Appliqué à la technique,
ce point de vue revient à soutenir la thèse de la neutralité de la
technique : toute technique peut être bonne ou mauvaise selon
l'utilisation qui en est faite. Il suffirait, pour reprendre les mots
de Charbonneau, de mettre les bœufs avant la charrue, c'est-à-dire
de diriger le progrès technique vers des buts moraux pour que tout
retrouve sens. </p>
<p lang="fr-FR" align="JUSTIFY"><img src="http://www.leflog.net/public/.IMG_4302_m.jpg" alt="" title="vaches-Corrèze" /></p>
<h2 class="western">Ellul : « crever les yeux du
rossignol »</h2>
<p align="JUSTIFY"><span lang="fr-FR">Ellul va justement
critiquer cet aveuglement. « Les idéalistes, explique t-il (J.
Ellul, </span><span lang="fr-FR"><em>Présence au monde moderne</em></span><span lang="fr-FR">,
in </span><span lang="fr-FR"><em>Le défi et le nouveau</em></span><span lang="fr-FR">,
éd. La Table ronde, 2007, p. 63) dans le genre de Huxley, prétendent
subordonner nos moyens à une nouvelle fin et en choisir les
meilleurs parce que de mauvais moyens vicient les fins; ces pensées
sont honorables, et objectivement vraies, mais elles sont aussi
déplacées dans notre temps que le combat contre un tank avec une
hache de pierre » : la technique n'est pas neutre, elle est
ambivalente. Elle porte en elle des effets bénéfiques et délétères
et il n'est pas possible de séparer les uns des autres. Toute
technique se paie : en payer le coût n'est jamais facultatif.</span></p>
<p align="JUSTIFY"><span lang="fr-FR">De plus la technique
est en elle-même sa propre fin : elle fonctionne par pure
causalité. « Quand on a l’instrument, il faut bien qu'on
l'utilise. (…) On l'a fait parce qu'on le pouvait. Un point c'est
tout. » Cela signifie qu'il n'y pas de finalités à apporter
de l'extérieur. Face au système technicien qui relie le phénomène
technique et le progrès technique, tout discours moralisant revient
à « parler pour ne rien dire ». Car si « rien
n'arrête le progrès » c'est parce que « la
technique avance dans un secteur jusqu'à l’extrême pointe de ce
qui est possible ». « On n'arrête pas le progrès cela
signifie qu'il est lancé comme une locomotive et qu'il possède sa
cause en lui-même ». (J. Ellul, </span><span lang="fr-FR"><em>Le
système technicien</em></span><span lang="fr-FR">, Le Cherche-Midi,
p.288-289).</span></p>
<p align="JUSTIFY"><span lang="fr-FR">De plus cette
omniprésence de la technique a pour conséquence que « tout
est devenu moyen,. Il n'y a plus de fin. Nous ne savons pas vers quoi
nous marchons. » (</span><span lang="fr-FR"><em>Présence au
monde moderne, </em></span><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">p.
56</span></span><span lang="fr-FR"><em>). </em></span><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">L'homme,
la Vérité, le bonheur, la liberté, le temps, la vie, la
sécurité... Tout doit servir, tout doit être utile. Par exemple
la vitesse est consacrée comme fin en soi : « L'homme est
parti à des vitesses astronomiques vers nulle part », regrette
Ellul (</span></span><span lang="fr-FR"><em>ibid</em></span><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">.,
p. 60).</span></span></p>
<p style="font-style: normal" lang="fr-FR" align="JUSTIFY">Le
moyen se justifie par lui-même, ce qui a pour conséquence d'une
part que l'homme n'est plus le maître de ses moyens, d'autre part
que la technique s'étend à tous les domaines de l'existence :
de la relation amoureuse à la mort, tout devient affaire de gestion.
Enfin, les moyens n'ont plus besoin de fin. En conséquence ils
deviennent totalitaires : ils détruisent ce qui s'opposent à
eux (la morale, l'humanisme, la gratuité, le sens critique) :
« autrefois on crevait les yeux des rossignols pour en faire de
plus parfaits chanteurs » avertit Ellul. « Nous sommes
pris au piège » conclut-il.</p>
<p style="font-style: normal" lang="fr-FR" align="JUSTIFY"><img src="http://www.leflog.net/public/.IMG_4353_m.jpg" alt="" title="paix-Saint-bonnet" /></p>
<p align="JUSTIFY"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">En
outre il est tout aussi illusoire de projeter un meilleur des mondes,
fruit véreux de la technique et de la science, que d'annoncer un
désastre inéluctable. « Le système technicien (...) est un
système sans régulation, déréglé. Ce manque d'auto-régulation
et un autre caractère de la technique, l'ambivalence, interdisent
d'avoir une prévision exacte de ce qui peut survenir. Nous sommes
toujours en présence des deux hypothèses : ou bien “le meilleur
des mondes” de Huxley, ou bien les désastres, que ce soit ceux de
la science-fiction ou ceux prévus par le Club de Rome. Ni l'une ni
l'autre de ces hypothèses n'est prévisible. Le meilleur des monde
de Huxley, où tout est normalisé, est absolument impossible. Les
désastres prévus par le Club de Rome me paraissent improbables dans
la mesure où toutes les prévisions précises à caractère
scientifique concernant le monde technicien me paraissent fausses.
Elles sont fausses précisément parce que nous sommes en présence
d'un système qui n'a pas d'auto-régulation et dont nous sommes
incapables de prévoir les développements effectifs.» (J. Ellul,
</span></span><em>Ellul par lui-même,</em> la Table ronde, 2008, p.
103-104)</p>
<p style="font-style: normal" lang="fr-FR" align="JUSTIFY">Seule
sa vision théologique permet au penseur d'envisager autre chose :
Ellul le théologien voit dans la position du chrétien une situation
révolutionnaire, « car depuis que la société existe,
l'esprit révolutionnaire, qui est une partie nécessaire de la vie
sociale, a toujours été l'affirmation d'une vérité d'ordre
spirituel contre l'erreur du moment, vérité qui est appelée à
s’incarner dans la société non par un mécanisme automatique mais
par l'effort désespéré de l'homme, par son sacrifice, à cause
d'une espérance qui le dépasse, par la puissance de sa liberté
dressée contre toutes les nécessités et les conformismes »
(<em>Présence au monde moderne</em>, p. 41). Rapprochant chrétiens
et anarchistes, il défend la possibilité d'ériger la résistance
en « style de vie » : « il s'agit d'être et
non d'agir ». Fin et moyen sont réconciliés dans une présence
au monde vivant qui retrouve une fin transcendante, « quelque
chose qui n'est pas inclus dans le monde » (<em>Ellul par
lui-même</em>, p. 149.) </p>
<p style="font-style: normal" lang="fr-FR" align="JUSTIFY"><img src="http://www.leflog.net/public/.IMG_4266_m.jpg" alt="" title="bibliothèque-argentat" /></p>
<h2 class="western">Charbonneau : « peut-être que Dieu,
la liberté, le hasard... »</h2>
<p lang="fr-FR" align="JUSTIFY">Si Ellul est protestant,
si Huxley est un catholique qu'on pourrait qualifié d’œcuménique,
Bernard Charbonneau se déclare agnostique post-chrétien. Aussi n'en
appelle t-il pas à « <span style="font-style: normal">l'intervention
du Saint-Esprit » comme Jacques Ellul ni « au retour à
la friche des religions » : « [Huxley] retombe dans
les plus grossiers travers de la bourgeoisie qu'il dénonçait. Il
nous propose de revenir à la sagesses des mages de l'Orient et de
nous retirer dans quelque thébaïde sise près d'Hollywood, ou de
reprendre contact avec les forces obscures du sang en pratiquant le
culte de Quetzalcóatl. (B. Charbonneau, </span><em>Le paradoxe de la
culture</em><span style="font-style: normal">, p.97 ) « Comme
personne ne préside à l'accouchement, notre meilleur des mondes
émerge des glaires et de la merde. » (</span><em>Chronique</em><span style="font-style: normal">...)</span></p>
<p lang="fr-FR" align="JUSTIFY"><span style="font-style: normal">Dos
au mur, l'homme se trouve au carrefour de trois voies conclut
Charbonneau dans son ouvrage </span><em>Le système et le chaos, </em><span style="font-style: normal">en
1973</span><span style="font-style: normal">(éd. Le sang de
la terre, p. 290). « Le chaos, ou le système. Tel est le
dilemme où nous enferme le développement exponentiel. Le système,
avec ses deux variantes du pire des États totalitaires ou du
Meilleur des Mondes scientifiques – mais d'abord c'est plutôt le
bâtard des deux qui nous attend. » </span>
</p>
<p lang="fr-FR" align="JUSTIFY"><span style="font-style: normal">Car
l'organisation génère du chaos et le chaos suscite encore davantage
de système. Comme l'écrit Ellul, « ce que l'on constate, en
fait, c'est qu'il y a un ordre technique à l'intérieur du chaos
croissant. » (</span><em>Ellul par lui-même</em><span style="font-style: normal">,
p. 107) </span>
</p>
<p style="font-style: normal" lang="fr-FR" align="JUSTIFY">Deux
voies qui n'en soit qu'une. « A moins d'en prendre une
troisième : mais c'est un sentier si humble qu'il échappe à
la vue bien qu'il commence à nos pieds. La voie de la liberté est à
inventer et nous ne la découvrirons qu'en faisant le premier pas. Et
l'on n'y passe qu'un à un ; cette porte étroite ne laisse
place qu'à une personne. Et ce chemin est aussi vieux qu'il est
neuf, car ce n'est pas d’aujourd’hui que l'homme est tenté de
céder au vertige du chaos ou du système. Entre l'un et l'autre,
entre l'ordre et le désordre, l'immobilité et la fuite en avant,
passe le chemin de crête de l'équilibre qui fut toujours celui de
la liberté. Jamais il ne fut aussi dur de se maintenir ainsi sur
terre à mi-chemin du ciel et de l'enfer. Que l'un est vide !
Que l'autre est impénétrable ! Mais jamais air plus vif n'a
balayé la cime. » (<em>Le système et le chaos, </em>dernier
paragraphe, p. 292).</p>
<p style="font-style: normal" lang="fr-FR" align="JUSTIFY">Face
au système qui contribue au chaos, il reste une place pour des
personnes libres, qui tissent un ordre, arrangent des mondes. Des
mondes à défendre à tout prix contre la destruction et les
illusions d'un nouveau monde techniciste. </p>
<p style="font-style: normal" lang="fr-FR" align="JUSTIFY"><img src="http://www.leflog.net/public/.IMG_4403_m.jpg" alt="" title="M-GHEDIRI-Tunisie" /></p>
<p style="font-style: normal" lang="fr-FR" align="JUSTIFY"><em>Affiche de Mariem Ghediri, des Beaux-Arts de Tunisie, une des lauréates du concours de graphistes des quatre continents organisé cette année autour du thème Connecter/déconnecter.</em></p>
<p style="font-style: normal" lang="fr-FR" align="JUSTIFY">Merci infiniment à Jean-Philippe Qadri pour son aide dans le repérage d’occurrences d'Aldous Huxley dans l’œuvre de Jacques Ellul !<em><br /></em></p>